Un acte réglementaire est abrogé avant son entrée en vigueur. Que devient le recours engagé, avant cette abrogation, contre cet acte ?

En REP, par défaut, on apprécie la légalité d’un acte à sa date d’édiction ou à défaut d’entrée en vigueur (I).

Par défaut, le juge pose qu’un recours conduit à un non lieu à statuer si l’acte a été retiré rétroactivement avant que le juge n’aie à statuer (II.A.), et ce non sans quelques subtilités cependant, notamment depuis 2018, pour limiter les cas de retrait/reprise d’actes (II.B.).

Le Conseil d’Etat a appliqué ce même mode d’emploi, en décembre 2021, dans le cas particulier des demande d’annulation de dispositions réglementaires… abrogées (et non retirées)… mais avant même leur entrée en vigueur, et ce par un acte devenu définitif , avec un non lieu à statuer en pareil cas si du moins l’acte pris ensuite est d’une teneur différente que celle de l’acte abrogé (III).

NB : il est à noter que cet arrêt du 15 décembre 2021 est également important en matière d’indemnisation des travailleurs privés d’emploi et de marges de manoeuvres gouvernementales en la matière. Voir ici. 

 

I. En REP, par défaut, on apprécie la légalité d’un acte à sa date d’édiction ou à défaut d’entrée en vigueur

 

Un des grands principes de base du recours pour excès de pouvoir (REP) est que c’est « en fonction de la situation de fait existant et des règles juridiques applicables à la date de son édiction (c’est-à-dire de sa signature) que sa légalité doit être appréciée  » (Chapus, Contentieux administratif, 11e éd., n°249 ; voir la nombreuse jurisprudence qui s’y trouve citée à la suite de l’arrêt classique CE, S.? 22 juillet 1049, Soc. auto. Berliet, rec. p. 367).

Comme toute règle générale, ce principe comporte de nombreuses exceptions :

 

II. Mais, également par défaut, le juge pose qu’un recours conduit à un non lieu à statuer si l’acte a été retiré rétroactivement avant que le juge n’aie à statuer… Non sans quelques subtilités cependant, notamment depuis 2018

 

II.A. Par défaut, le juge pose qu’un recours conduit à un non lieu à statuer si l’acte a été retiré rétroactivement avant que le juge n’aie à statuer…

 

Si, avant que le juge n’ait statué, « l’acte attaqué est rapporté par l’autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d’être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l’ordonnancement juridique de l’acte contesté », il y a alors non lieu à statuer contre l’acte ainsi rétroactivement annulé (CAA Marseille, 23 décembre 2013, n° 11MA01389). Il en va de même si le retrait rétroactif est opéré après l’introduction du recours (CE, 20 janvier 1956, Piette, rec. p. 26 ; même en cas de début d’exécution CE, 19 avril 2000, n° 207469, rec., p. 157).

Notons que les mêmes questions conduisent à des réponses un peu différentes en abrogation (l’arrêt de référence étant bien sûr CE, ass., 22 décembre 1978, min. Int. c/ Cohn-Bendit, rec., p. 524). Citons sur ce point précise Mme Hélène Pauliat dans son fasc. 70-15 du JurisClasseur Justice administrative (à jour 1/10/2020), dans le cas particulier de l’abrogation donc :

« Le juge exige donc deux conditions pour que le non-lieu s’impose à lui : il faut que l’acte n’ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive

 

II.B. Non sans quelques subtilités cependant, notamment depuis 2018, pour limiter les cas de retrait/reprise d’actes

 

MAIS le juge a apporté quelques limites à ces jeux de retraits d’actes quand ceux-ci donnent lieu à reprise, par l’administration, d’un autre acte.

Quand un acte est attaqué devant le juge administratif, il est parfois utile, donc, pour l’administration, de le retirer… pour mieux pouvoir le reprendre, mais purgé de tel ou tel vice, de légalité externe notamment (problèmes de forme, de procédure…) qui risquent de l’avoir entaché (sous réserve que ce soient des vices susceptibles d’affecter la légalité de l’acte. Sur ce point, voir ici).

Donc :

  • parfois retirer l’acte n’est pas possible
  • parfois le retirer n’est pas utile (si le vice identifié ne peut être régularisé ou s’il n’affecte par la légalité de l’acte).

Mais quand retirer un acte est possible et est de nature à sécuriser la prise de nouveau de ce même acte… une des motivations des administrations publiques bien conseillées par leur avocat préféré était aussi, avant 2018… parfois… de leurrer le requérant si celui-ci n’était pas très « carré ». En effet, le premier recours tombait (l’acte était retiré)… et il pouvait arriver que le requérant omette d’attaquer le nouvel acte.

Cette ruse (qui ne fonctionnait pas très souvent même avant 2018…) ne fonctionne plus depuis lors car le Conseil d’Etat a posé que (citons le résumé des tables du rec.) :

« lorsqu’une décision administrative faisant l’objet d’un recours contentieux est retirée en cours d’instance pour être remplacée par une décision ayant la même portée, le recours doit être regardé comme tendant également à l’annulation de la nouvelle décision. Lorsque le retrait a acquis un caractère définitif, il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision initiale, qui ont perdu leur objet. Le juge doit, en revanche, statuer sur les conclusions dirigées contre la nouvelle décision.»`

DONC :

  • oui si un acte est attaqué, et qu’il peut légalement être retiré puis adopté de nouveau après avoir été purgé de ses vices AVANT que d’être jugé… alors autant le faire (cela n’a pas changé)
  •  MAIS alors, le juge passera de l’acte retiré à l’acte adopté de nouveau… (sauf sans doute changement majeur quant à l’acte adopté ? en tous cas, le recours ne tombe plus de plein droit).


Cette position du Conseil d’Etat avait été déjà anticipée par un jugement du TA de Lyon publié au rec. (TA Lyon, 13 avril 1989, n° 8904LYMPO, rec. p. 388) et pourrait éventuellement s’enorgueillir de remonter en réalité à 1970 (voir CE, S., 13 mars 1970, Epoux L…, n° 74278.. voir sur de point les conclusions de Mme Aurélie BRETONNEAU sur CE, 21 septembre 2015, n°369808 ; voir ici).

Voir CE, 15 octobre 2018, n° 414375, à publier aux tables du rec. Voir nos articles écrits en 2018 :

 

 

III. Le Conseil d’Etat a appliqué ce même mode d’emploi, en décembre 2021, dans le cas particulier des demande d’annulation de dispositions réglementaires… abrogées (et non retirées)… mais avant même leur entrée en vigueur, et ce par un acte devenu définitif.

 

Le Conseil d’Etat a appliqué ce même mode d’emploi, le 15 décembre 2021, dans le cas particulier des demande d’annulation de dispositions réglementaires… abrogées (et non retirées)… mais avant même leur entrée en vigueur, et ce par un acte devenu définitif.

Il estime qu’alors les conclusions de demandes d’annulation sont devenues sans objet (non lieu à statuer)… si du moins le nouvel acte pris ensuite après abrogation est bien d’une teneur différente de celui de l’acte abrogé (sinon il n’y a pas non lieu à statuer, ce qui est conforme à la jurisprudence n° 414375 de 2018 précitée).

Sont donc devenues sans objet des conclusions tendant à l’annulation de dispositions réglementaires dont l’entrée en vigueur était différée et qui n’ont pas produit d’effet avant l’entrée en vigueur d’un décret, devenu définitif du fait du rejet des conclusions tendant à son annulation, les remplaçant par des dispositions de portée différente.

Et les dispositions nouvelles eussent-elles été identiques que la solution de l’arrêt n° 414375 de 2018 précitée eût trouvé à s’appliquer (et en pareil cas le juge eût été automatiquement saisi du nouvel acte par substitution dans le recours initial).

 

IV. Voici cet arrêt

 

Source : CE, 15 décembre 2021, N° 452209 et autres, à publier en intégral au recueil Lebon

 

V. Pour un autre apport, important, de ce même arrêt, voir ici :

 

Il est à noter que cet arrêt du 15 décembre 2021 est également important en matière d’indemnisation des travailleurs privés d’emploi et de marges de manoeuvres gouvernementales en la matière en cas d’échec des négociations collectives, mais aussi en matière de pouvoirs d’appréciation reconnues par le Conseil d’Etat au Gouvernement en fonction du temps qui passe pendant ce processus.

Voir :