Crimes de guerre et/ou contre l’humanité ; tortures : la Cour de cassation étend considérablement les critères permettant de fonder la compétence universelle de la justice française

Usuellement, notre cabinet ne traite que du droit public, essentiellement français.

Mais comment ne pas noter le fait que ce jour, la Cour de cassation confirme, en assemblée plénière, la compétence universelle de la justice française à l’égard de crimes des actes de torture, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre (et, donc, même lorsque les faits ont été commis à l’étranger et que ni leur auteur ni la victime ne sont français) ?

Il s’agit d’une spectaculaire (et extensive) application de l’article 689-11 du code de procédure pénale tel que modifié en 2010 et, surtout, en 2019.

En l’espèce, la Cour reconnaît à la justice française cette « compétence universelle » dans deux affaires qui concernent la Syrie (crimes contre l’humanité dans les deux affaires ; poursuites en sus pour actes de torture et crimes de guerre dans l’autres cas), avec une personne accusée d’avoir commis des atrocités du côté du régime (services de sécurité) et l’autre du côté des islamistes radicaux.

Pour cela, il a fallu que la Cour de cassation accepte de donner une acception large aux articles 689-1, 689-2 et 689-11 du code de procédure pénale (cpp) en matière :

  1. de résidence habituelle en France ;
  2. d’infraction comparable dans le pays où le crime a été commis ;
  3. de fonctions pouvant être reconnues à la personne poursuivie pour tortures

 

1/ Résidence habituelle

 

Il faut rappeler que cette compétence est activée pour « toute personne » sous réserve de résider en France (ou en tous cas de s’y trouver, plus simplement, dans le cas de la torture (avec des ambigüités, selon les infractions concernées, ce qui ajoute un peu de complexité), notamment en l’espèce.

Pour que la France soit considérée comme le lieu de résidence habituelle d’un ressortissant étranger, il faut qu’il existe entre la France et cette personne un lien de rattachement suffisant. Le juge doit apprécier la nature de ce lien sur la base d’un faisceau d’indices : la durée de cette présence sur le territoire, mais aussi les raisons de cette installation, les conditions dans lesquelles elle a eu lieu, les manifestations d’une volonté de résider durablement en France, l’existence de liens familiaux, sociaux, matériels ou professionnels.

C’est un point où la Cour de cassation a du innover (de manière extensive), la notion de résidence habituelle étant fort variable dans les autres régimes juridiques permettant de raisonner par analogie.

 

2/ Infractions comparables dans le pays où le crime a été commis

 

Un ressortissant étranger peut être jugé (s’il réside ou se trouve en France, avec des formulations différentes donc selon les crimes) devant une juridiction française à la condition que les faits qualifiés en droit français de crime contre l’humanité ou de crime ou délit de guerre soient punis par la législation de l’État où ils ont été commis.

Cela impliquait des difficultés s’agissant du droit syrien. Celui-ci sanctionne le vol, le crime, la torture… mais pas le crime contre l’humanité, par exemple. C’est là que la Cour de cassation fait oeuvre constructive (mais logique) : elle pose que, pour qu’il y ait double incrimination, il n’est pas nécessaire que les faits relevant en France des infractions de crime contre l’humanité ou de crime de guerre soient qualifiés de manière identique par les lois du pays étranger : il suffit que la législation étrangère punisse ces actes comme infraction de droit commun tels le meurtre, le viol ou la torture.

Là encore, c’est une approche très extensive qui est faite (sinon le crime contre l’humanité ou de guerre pourrait être poursuivi pour les pays où ces infractions sont reconnues comme telles, à savoir plutôt les régimes démocratiques… et pas dans les régimes autoritaires ou dictatoriaux qui ne prennent pas le risque d’insérer ces notions dans leurs infractions).

3/ fonctions pouvant être reconnues à la personne poursuivie pour tortures

 

S’agissant de la torture, précisément, une autre difficulté était à noter. Aux termes de l’article 689-2 du cpp, pour l’application de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l’article 689-1 toute personne coupable de tortures au sens de l’article 1er de la Convention. Se posait la question de savoir si la compétence universelle des juridictions françaises pour juger des actes de torture commis ne concerne que les actes commis par les agents de la fonction publique et les personnes agissant à titre officiel ? Car s’agissant de structures telle que le prétendu Etat islamique, la question se pose… 

Réponse : Oui. Cependant, la notion de personne ayant agi à titre officiel vise également une personne agissant pour le compte ou au nom d’une entité non gouvernementale, lorsque celle-ci occupe un territoire et y exerce une autorité quasi gouvernementale (ce qui était le cas en l’espèce, même pour la personne qui ne travaillait pas dans les services de sécurité syriens, mais qui se trouvait au sein de « l’organisation Jaysh Al- Islam [qui] exerçait, sur le territoire de la Ghouta orientale, qu’elle occupait à l’époque considérée, des fonctions quasi gouvernementales. »).

 

Sources :

 

Voir :

 

Vidéo de l’audience (passionnante !) :

 

 

Photo : coll. pers. (image de la partie pénale de notre bibliothèque)