L’article L. 181-18 du Code de l’environnement permet au juge, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, de prendre diverses mesures permettant la régularisation de ladite autorisation ou une reprise de l’instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité.
Voir :
- Le CE donne un mode d’emploi détaillé des contentieux des autorisations environnementales
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- Autorisation environnementale : quel sort réserver aux contentieux engagés avant l’ordonnance de 2017 ?
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- Régularisation d’une autorisation environnementale : attaquer le sursis à exécution ne suffit pas. Encore faut-il, pour le requérant, attaquer ensuite la décision du juge actant de la légalité de l’autorisation ainsi régularisée…
- etc.
Reste que cela pose un problème quant aux règles applicables au cas par cas, s’agissant notamment d’un droit qui évolue beaucoup et souvent… et alors que :
- le juge, en cas de plein contentieux des installations classées, applique les règles de forme et de procédure en vigueur à la date de l’autorisation
- alors qu’il utilise en revanche, pour les règles de fond :
- le droit en vigueur à la date à laquelle le juge se prononce…
- mais qu’en sus se trouve une exception s’agissant des règles d’urbanisme (dont le respect s’apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l’autorisation).
Sources : CE, 22 septembre 2014, Syndicat mixte pour l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères (SIETOM) de la région de Tournan-en-Brie, n° 367889, rec. p. 753 ; CE, 26 juillet 2018, Association « Non au projet éolien de Walincourt-Selvigny et Haucourt-en-Cambrésis » et autres, n° 416831, rec. p. 327 ; CE, 6 février 1981, n° 03539, rec. T. p. 829.
Comment appliquer ce mode d’emploi lorsque l’autorisation environnementale contestée méconnaît une règle de fond applicable à la date à laquelle le juge se prononce ? Notamment en matière de garanties financières ?
Le Conseil d’Etat vient de répondre à cette question délicate.
Il pose tout d’abord (pour citer les tables du rec. telles que préfigurées par celles de la base Ariane) :
« 2) a) Lorsqu’il relève que l’autorisation environnementale contestée devant lui méconnaît une règle de fond applicable à la date à laquelle il se prononce, le juge peut, dans le cadre de son office de plein contentieux, lorsque les conditions sont remplies, modifier ou compléter l’autorisation environnementale délivrée afin de remédier à l’illégalité constatée, ou b) faire application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement. »
Il décide ensuite que,
« Pour apprécier le respect des règles relatives aux garanties financières pour les installations produisant de l’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent prévues par les articles L. 515-46 et R. 515-101 du code de l’environnement, il appartient au juge de faire application des dispositions réglementaires applicables à l’installation dans leur rédaction en vigueur à la date à laquelle il se prononce.»
L’affaire en l’espèce est assez éclairante quant aux conséquences de ces choix.
Dans cette affaire, des requérants avaient attaqué un arrêté préfectoral de janvier 2019 autorisant la construction et l’exploitation d’un parc éolien, recours qui fut rejeté en 2021 par la CAA (dont on rappelle qu’elle est compétence en premier ressort, désormais, pour l’éolien terrestre).
La décision de janvier 2019 a été rendue, en matière de « constitution des garanties financières pour les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent », sur la base d’un arrêté du 26 août 2011 …
Sauf qu’entre la date où l’arrêté a été pris (2019) et la date de l’arrêt de la CAA (2021)… l’arrêté de 2011 a été modifié (par un arrêté du 22 juin 2020).
La CAA avait estimé que le recours devait être rejeté parce que les requérants ne démontraient pas, selon elle, en quoi les montants prévues méconnaissaient l’arrêté de 2011… modifié en 2020.
Ce raisonnement a été censuré par le Conseil d’Etat puisque c’est la mouture en vigueur en 2019 de cet arrêté de 2011 qu’il fallait, donc, appliquer (et, ce, avec possibilité pour le juge, lorsque les conditions sont remplies, de modifier ou de compléter l’autorisation environnementale délivrée afin de remédier à l’illégalité constatée, voire de faire application des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, précité) :
« 4. Il appartient au juge des installations classées pour la protection de l’environnement d’apprécier le respect des règles relatives à la forme et la procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation, et d’appliquer les règles de fond applicables au projet en cause en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d’urbanisme, qui s’apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l’autorisation. Lorsqu’il relève que l’autorisation environnementale contestée devant lui méconnaît une règle de fond applicable à la date à laquelle il se prononce, il peut, dans le cadre de son office de plein contentieux, lorsque les conditions sont remplies, modifier ou compléter l’autorisation environnementale délivrée afin de remédier à l’illégalité constatée, ou faire application des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement.
« 5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le montant initial des garanties financières, fixé à 324 565 euros par l’article 2.2 de l’arrêté attaqué, a été calculé sur la base d’un coût unitaire forfaitaire de 50 000 euros par aérogénérateur, quelle que soit la puissance de celui-ci, par application des dispositions de l’article 2 de l’arrêté du 26 août 2011 cité au point 3, dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté attaqué. Pour écarter le moyen tiré de l’insuffisance du montant des garanties de démantèlement et de remise en état du site, la cour a considéré qu’en se bornant à soutenir que l’arrêté litigieux serait illégal notamment en ce qu’il ne prévoit pas un coût unitaire initial d’au moins 66 000 euros par machine, en méconnaissance des dispositions de l’annexe I de l’arrêté du 26 août 2011 modifié par l’arrêté du 22 juin 2020, les requérants ne démontreraient pas que le montant prévu par la société pétitionnaire serait insuffisant. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de faire application des dispositions réglementaires applicables à l’installation dans leur rédaction en vigueur à la date à laquelle elle s’est prononcée, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit.
« 6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l’association Environnement et patrimoines en Pays du Serein et autres sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent. »
L’affaire est donc renvoyée vers la CAA de Lyon qui devra reprendre son ouvrage, pour comparer ce qui a été prévu par l’arrêté de 2019, en matière de garanties financières, à l’aune de l’arrêté de 2011, donc, dans sa version en vigueur en 2019 et non au jour où le juge statuait.
Source :
Conseil d’État, 9 août 2023, n° 455196, aux tables du recueil Lebon
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