Peut-on diffuser un film d’horreur à des élèves de 4e ? [suite]

Réponse… qui comporte elle-aussi sa part de sensations effrayantes :

OUI, selon un TA, en droit, car en l’espèce il s’agissait, en français, d’un travail accompagné et de la diffusion d’un film (« the ring » ou « le cercle ») ayant reçu un visa d’exploitation n’excluant sa diffusion que pour des mineurs de moins de 12 ans (et les élèves avaient tous au moins 13 ans en l’espèce).

Source : TA Lyon, 22 novembre 2021, n°2002610

et.. OUI selon la CAA à hauteur d’appel car :

« 5. En premier lieu, si les requérants soutiennent que le film ” Le Cercle ” serait déconseillé aux personnes de moins de 16 ans conformément aux préconisations du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel visant à la protection des mineurs, la seule circonstance qu’une plateforme privée de diffusion en ligne assortisse la diffusion de ce film de la mention ” Age : 16 + ” n’est pas de nature à établir l’existence de telles préconisations. En tout état de cause, ces dernières n’ayant aucune portée impérative dans le cadre d’une diffusion en milieu scolaire, les requérants ne peuvent utilement s’en prévaloir pour mettre en cause la responsabilité du chef d’établissement.
6. En deuxième lieu, il n’est pas sérieusement contesté que le visa d’exploitation du film en salle de cinéma restreint seulement sa projection aux mineurs de moins de 12 ans et il ne résulte pas de l’instruction que ce visa d’exploitation aurait été assorti d’un avertissement destiné à l’information du spectateur dans les conditions précisées à l’article R. 211-3 précité du code du cinéma et de l’image animée. Il est par ailleurs constant que tous les élèves de la classe étaient âgés de plus de 13 ans, y compris A… ….
7. En troisième lieu, il résulte de l’instruction que le film a été projeté à toute la classe en présence et sous la responsabilité du professeur de français, libre de ses choix pédagogiques, dans le cadre d’un travail général sur le thème du ” fantastique “, que cette projection a été accompagnée et commentée, et qu’elle a notamment a été suivie d’une évaluation écrite des élèves visant à les conduire à une réflexion sur les émotions induites par un événement de fiction et de nature à leur permettre de construire une analyse critique et distanciée de l’oeuvre.
8. Indépendamment de l’opportunité du choix de ce film ou de son classement dans la catégorie des films fantastiques ou des films d’horreur, il résulte de ce qui a été précédemment exposé que les conditions dans lesquelles son visionnage en classe a été organisé ne permettent pas de caractériser une faute ou une méconnaissance du programme ou un manquement au bon déroulement des enseignements.
9. En quatrième lieu, il ne résulte pas de l’instruction que le chef d’établissement aurait été informé de ce que l’état de santé psychologique de la jeune A… B… était susceptible de la rendre particulièrement sensible à ce type de fiction, ni que d’autres élèves de la classe auraient manifesté un état émotionnel particulier ou auraient été choqués à la suite de ce visionnage. Les conditions dans lesquelles le visionnage a pu être organisé ne permettent donc pas de caractériser un manquement du chef d’établissement à son obligation d’assurer la sécurité des personnes au sein de son établissement.
10. Il résulte de ce qui précède qu’aucun élément n’est de nature à caractériser une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service public de l’éducation nationale susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat et la circonstance que la cheffe du bureau de la division des élèves de la direction des services départementaux de l’éducation nationale du Rhône ait, par mail du 25 juin 2019 adressé aux parents de la jeune A…, indiqué qu’une enquête avait été diligentée et que tous les personnels étaient conscients du traumatisme subi par la jeune fille n’est pas, par elle-même, de nature à établir l’existence, ni même la reconnaissance, d’une telle faute. »

Source :

CAA de LYON, 20 octobre 2023, n° 22LY00183

 

Trois remarques me semblent utiles pour clore ce film juridique d’horreur :

  • ce point en opportunité pourrait évidement ensuite donner lieu à débats. Le juge avait à trancher du point de savoir si la décision était illégale, d’une part, et si cette illégalité avait pu causer un préjudice, d’autre part. Et le juge au delà des questions d’âge pour les visas d’exploitation n’allait sans doute pas entrer dans un contrôle poussé des motifs sur l’adéquation de la décision de ce programme pédagogique, sur le fond. Reste qu’à titre personnel, pour me hasarder à une remarque pédagogique non juridique, infliger cela à mes enfants , à cet âge là en tous cas, m’aurait fait vivement réagir.
  • Il est difficile de ne pas faire le lien avec cette affaire (qui va dans le même sens d’ailleurs que celui de la CAA de Lyon puisque dans cette affaire le Conseil d’Etat n’a pas saisi l’occasion qui lui était donnée, ou plutôt demandée, de prévoir au moins un âge minimum…) :
  • reste qu’aux « termes de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant signée à New York le 26 janvier 1990, publiée par décret le 8 octobre 1990 : ” Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale “ ».
    Cette partie de la convention est d’applicabilité directe en France (CAA Bordeaux, 17 décembre 2019, n° 19BX01772 ; voir aussi — mais de manière moins nette ou pour d’autres articles : CAA Nancy, 14 juin 2018 (n° 17NC02497 et 18 mai 2018 n° 17NC02554-17NC02555 ; CE, 26 juillet 2011, n° 335752 et CE, 27 octobre 2004, n° 252970 ainsi que CE, 5 février 2020, UNICEF France et autres – Conseil national des barreaux, n°s 428478 428826, B….).