Confirmation à hauteur d’appel : ANTICOR chute… et perd son agrément (et en droit c’est logique, ce qui ne veut pas dire que cela ne soulève pas d’importantes questions)

La CAA de Paris vient de confirmer (sur conclusions en sens contraire) l’annulation de l’agrément donné à l’association ANTICOR.. En droit, cette annulation est logique… ce qui ne veut pas dire qu’elle était souhaitable ni que celle-ci ne soulève pas de sérieuses difficultés. 

Tentons d’en distinguer plusieurs éléments :

  • I. Derrière « l’affaire »… de possibles manoeuvres… des insuffisances certaines… et la question, délicate, sur ce que le Gouvernement eût du ou pu faire en 2020 et 2021. Car même sans manoeuvre(s), la situation d’Anticor était, à l’époque, fort délicate et celle du Gouvernement, paradoxalement, aussi. 
    • I.A. Un jugement puis un arrêt passionnants et logiques
    • I.B. Derrière la simplicité… de possibles stratégies subtiles. Mais avant de crier haro, inversement, sur le Gouvernement, en l’état du droit actuel… réfléchissons sur ce qu’étaient réellement les choix de l’Etat lors de l’octroi de cet agrément fragile en droit 
  • II. Au delà de l’affaire… des incertitudes de court terme et des réflexions que, à moyen terme, il faudra bien collectivement conduire. 
    • II.A. Des lendemains incertains
    • II.B. Un jugement puis un arrêt qui conduisent à s’interroger sur le régime français, qui tente d’éviter tant Charybde que Scylla… et qui finit par être aussi mauvais que les défauts qu’il tente d’obvier  
  • Annexe : voici les décisions du TA et de la CAA ; voir aussi une décision du CE sur une affaire connexe

 


 

Anticor est, pour citer l’auto-présentation faite par cette association sur son site Internet :

« ANTICOR est une association fondée en juin 2002 par Éric Halphen et Séverine Tessier pour lutter contre la corruption et rétablir l’éthique en politique. Son ambition est de réhabiliter le rapport de confiance qui doit exister entre les citoyens et leurs représentants, politiques et administratifs. L’association regroupe des citoyens et des élus de toutes tendances politiques engagés pour faire respecter les exigences démocratiques non partisanes.»

NB : précisons qu’Eric Halphen a choisi depuis quelques années de ne plus être membre d’Anticor. 

Présentée ainsi, l’association ANTICOR a, évidemment, vocation à recueillir l’amitié et la sympathie de chacun. De fait, nul doute que des associations de ce type (ANTICOR ; Transparency international…) remplissent un rôle tout à fait utile dans son principe même.

Mais il est difficile de :

  • tenir des structures locales qui s’improvisent justiciers et s’indignent parfois à tort et à travers (ou servent à des conflits locaux).
  • ne pas céder à la tentation du « tous pourris »… même si ces associations ont, chacune à leur manière, tenté aussi de remettre des prix pour récompenser les élus honnêtes et même si ces associations, au niveau national du moins, rappellent l’évidence : une très, très grande majorité d’élus sont d’une scrupuleuse probité.
  • combiner présomption d’innocence et envie de communiquer sur les recours que l’on a permis d’engager.
  • s’appliquer à soi-même la transparence que l’on exige d’autrui et qui est la philosophie épuratoire même de ces associations.

 

Qu’ANTICOR ait eu des combats discutables (voir ici par exemple) ou en tous cas éloignés de ses bases (voir là, quoiqu’on pense du fond), certes.

A titre personnel, en tant qu’avocat de personnes publiques, je puis témoigner qu’ANTICOR :

  • a eu parfois la main lourde, très lourde sur la base de simples soupçons (surtout sur les questions de prise illégale d’intérêts où l’infraction peut être constituée pour des broutilles objectivement involontaires).
  • a cependant (parfois ? souvent ?) su ne pas attaquer quand après plus amples recherches le dossier semblait en effet peu consistant.

Or, voici qu’ANTICOR a failli perdre son agrément, puis l’a obtenu… avant que de le perdre nettement par un jugement rendu le 23 juin 2023 : depuis c’est un déchaînement de positions tranchées alors qu’une analyse plus nuancée me semble s’imposer (I), conduisant à des incertitudes de court terme, mais aussi à de nécessaires questionnements de moyen terme (II).

 

I. Derrière « l’affaire »… de possibles manoeuvres… des insuffisances certaines… et la question, délicate, sur ce que le Gouvernement eût du ou pu faire en 2020 et 2021. Car, alors, chaque acteur avait des marges de manoeuvre très limitées. 

 

I.A. Un jugement puis un arrêt passionnants et logiques

 

C’est en 2020 que l’association Anticor a demandé le renouvellement de l’agrément au sens de l’article 2-23 du code de procédure pénale… Avec, très vite, une campagne de presse, version « attaque préventive » de la part d’Anticor, et ce afin de parer à tout éventuel refus.

De quoi parlons-nous ? Citons ledit article 2-23 du code de procédure pénale (cpp) :

« Toute association agréée déclarée depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile, se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions suivantes :
« 1° Les infractions traduisant un manquement au devoir de probité, réprimées aux articles 432-10 à 432-15 du code pénal ;
« 2° Les infractions de corruption et trafic d’influence, réprimées aux articles 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1 du même code ;
« 3° Les infractions de recel ou de blanchiment, réprimées aux articles 321-1, 321-2, 324-1 et 324-2 dudit code, du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent article ;
« 4° Les infractions réprimées aux articles L. 106 à L. 109 du code électoral.
« Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions dans lesquelles les associations mentionnées au premier alinéa du présent article peuvent être agréées.
« Toute fondation reconnue d’utilité publique peut exercer les droits reconnus à la partie civile dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que l’association mentionnée au présent article.»

Bref, ces associations réunissant les quelques conditions prévues par décret peuvent agir comme une partie civile pour la poursuite de certaines infractions, sur le modèle de ce qui existe pour d’autres nobles causes.

Pour son renouvellement d’agrément, ANTICOR devait donc, comme toute autre association placée dans cette situation, respecter les règles du décret n° 2014-327 du 12 mars 2014 :

« […]
« 1° Cinq années d’existence à compter de sa déclaration ;

« 2° Pendant ces années d’existence, une activité effective et publique en vue de lutter contre la corruption et les atteintes à la probité publique, appréciée notamment en fonction de l’utilisation majoritaire de ses ressources pour l’exercice de cette activité, de la réalisation et de la diffusion de publications, de l’organisation de manifestations et la tenue de réunions d’information dans ces domaines ;
« 3° Un nombre suffisant de membres, cotisant soit individuellement, soit par l’intermédiaire d’associations fédérées ;
« 4° Le caractère désintéressé et indépendant de ses activités, apprécié notamment eu égard à la provenance de ses ressources ;
« 5° Un fonctionnement régulier et conforme à ses statuts, présentant des garanties permettant l’information de ses membres et leur participation effective à sa gestion. »

Soit, pour schématiser :

  1. Cinq années d’existence à compter de sa déclaration : OK
  2. Une activité (continûment) effective et publique en vue de lutter contre la corruption et les atteintes à la probité publique, appréciée notamment en fonction de l’utilisation majoritaire de ses ressources pour l’exercice de cette activité, de la réalisation et de la diffusion de publications, de l’organisation de manifestations et la tenue de réunions d’information dans ces domaines  : OK
  3. un nombre suffisant de membres, cotisant soit individuellement, soit par l’intermédiaire d’associations fédérées : OK
  4. le caractère désintéressé et indépendant de ses activités, apprécié notamment eu égard à la provenance de ses ressources : c’est là que le bât blesse (1/2)
  5. un fonctionnement régulier et conforme à ses statuts, présentant des garanties permettant l’information de ses membres et leur participation effective à sa gestion : c’est là que le bât blesse (2/2)

 

Le Gouvernement a, dans un premier temps, prolongé (en application de l’article 2 du décret du 12 mars 2014) l’agrément de cette association… en plusieurs étapes, dont in fine :

  • l’arrêté du 13 février 2021 portant prorogation jusqu’au 2 avril 2021 de l’agrément de l’association ANTICOR en vue de l’exercice des droits de la partie civile (NOR : PRMX2105204A) :
    • « L’agrément délivré le 15 février 2018 à l’association ANTICOR ayant son siège social 37-39, avenue Ledru-Rollin, 75520 Paris Cedex 12, en vue de l’exercice des droits reconnus à la partie civile, est prorogé jusqu’au 2 avril 2021, terme du délai d’instruction de la demande de renouvellement. »

Cette prorogation faisait suite à des devancières de même nature (jusqu’au 10 février puis jusqu’au 12 février… puis donc jusqu’au 2 avril 2021).

Odieuse pression sur l’association disaient les uns.

Sauvetage in extremis permettant à cette association de corriger le tir sur divers points diront les autres (moins nombreux, de fait, tant il est clair que sauver l’association n’était pas le rêve secret du Gouvernement !).

Ce sont des procès d’intention. Restons en aux faits.

Puis vint :

Le dispositif de cet arrêté est simple :

« L’agrément de l’association ANTICOR ayant son siège social 37-39, avenue Ledru-Rollin, 75520 Paris Cedex 12, est renouvelé pour une durée de trois ans à compter du 2 avril 2021. »

 

Les « considérants » de cette décision le sont moins. Et de loin.

Sur les points 1, 2 et 3, ainsi que sur une partie du point 4 à observer au sens du décret précité, le Premier Ministre d’alors, Jean CASTEX, constate qu’ANTICOR remplit les conditions prévues légalement :

« Considérant que l’association ANTICOR a pour objet la lutte contre la corruption aux termes de l’article 1er de ses statuts du 25 mars 2017 ;
« Considérant que l’association ANTICOR justifie de cinq années d’existence à compter de sa déclaration ;
« Considérant qu’au cours des trois années écoulées depuis l’octroi de l’agrément du 15 février 2018, l’association ANTICOR a participé activement et publiquement à la lutte contre la corruption et les atteintes à la probité à travers des publications, la participation à des réflexions et différents évènements et en se constituant partie civile dans différentes procédures judiciaires ouvertes des chefs d’atteintes à la probité ;
« Considérant que le nombre de ses membres parait suffisant eu égard au caractère effectif et public de son activité ;
« Considérant que les garanties de régularité en matière financière et comptable sont suffisantes, en ce que l’association établit chaque année les documents comptables imposés par l’article 4 de la loi n° 91-772 du 7 août 1991 relative au congé de représentation en faveur des associations et des mutuelles et au contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique, et respecte les dispositions de l’article 4-1 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987, ses comptes étant établis par un expert-comptable et rendus publics chaque année sur son site internet ;»

C’est après que cela se complique avec des éléments, clairement, à charge et qui soulève nettement des problèmes d’indépendance (critère n°4) et de fonctionnement régulier des instances de l’association (critère n°5) affectant la vie récente de cette association :

« Considérant en revanche que la composition du conseil d’administration de l’association a été renouvelée le 13 juin 2020 dans des conditions contestées ayant conduit certains adhérents, référents locaux et membres de l’ancien conseil d’administration à assigner l’association devant le tribunal judiciaire de Paris le 9 décembre 2020 aux fins de voir annuler, notamment, l’assemblée générale du 13 juin 2020 et l’élection du nouveau conseil d’administration ; que l’issue de ce contentieux n’est cependant pas connue à ce jour ;
Considérant également qu’une procédure d’information du conseil d’administration a été mise en place le 1er février 2020 pour les dons supérieurs à un seuil de 7 500 euros ; qu’il apparaît, au titre de l’exercice 2020, qu’un don de 64 000 euros a été effectué d’un même donateur et dont le paiement est intervenu en 10 mensualités de 5 000 euros les 10 premiers mois puis en 2 mensualités de 7 000 euros les deux derniers mois ; que ce don a représenté près de 17 % de ces ressources en 2020 ; que les documents transmis par l’association (extraits de procès-verbaux des réunions du bureau et du conseil d’administration de l’association en tant qu’ils se rapportent aux dons entre 2018 et 2020) n’établissent pas que le conseil d’administration ait été avisé le 1er février 2020 contrairement aux allégations des représentants de l’association ; qu’au contraire, un extrait de procès-verbal d’une réunion du bureau du 8 avril 2020 mentionne : « don régulier de 5 K€ et éventualité d’en parler en CA » ; que la première information du conseil d’administration n’intervient que le 8 mai 2020 ; qu’il ressort du procès-verbal dudit conseil d’administration que le principe même de ce don a alors été très discuté voire contesté au sein du conseil d’administration ; que l’identité du donateur a été tenue secrète des membres du conseil d’administration ; que l’une des administratrices a indiqué, à cette occasion, avoir appris incidemment que ce donateur avait également fait un don important l’année précédente, et que, faute d’informations, elle exprimait son opposition, à l’acceptation d’un tel don ; qu’il est constaté que les membres du conseil d’administration, ont été révoqués par l’assemblée générale du 13 juin 2020 qui élisait aussitôt de nouveaux membres ; que cette décision de révocation anticipée fait l’objet du contentieux en cours ; […] »

Le Premier Ministre accorde cependant ce nouvel agrément en s’en expliquant, toujours dans les « considérants », avec les formulations que voici :

« Considérant que ces éléments, et en particulier l’absence de transparence sur ce don conséquent, sont de nature à faire naitre un doute sur le caractère désintéressé et indépendant des activités passées de l’association, et que l’absence de formalisation, par les statuts de l’association, des procédures d’information du conseil d’administration conjuguée à la non-information effective de celui-ci n’ont pas, par le passé, garanti l’information de ses membres et leur participation effective à la gestion de l’association ;
Considérant toutefois que l’association a, dans le cadre de la procédure d’instruction de sa demande de renouvellement d’agrément, manifesté l’intention de recourir à un commissaire aux comptes pour accroitre la transparence de son fonctionnement financier, ainsi qu’une refonte de ses statuts et de son règlement intérieur, »

Ce nouvel agrément fut attaqué par :

  • M. F… membre de l’association Anticor. Il aurait assez aisément pu être recevable à agir en Justice, si celui-ci n’avait maladroitement (ou en tous cas étrangement) non distingué son intérêt à agir de celui de l’association. Citons le TA :
    • « Dès lors qu’il fait uniquement valoir que son recours a pour objectif de défendre les intérêts moraux de l’association au motif que son fonctionnement ne lui permet pas d’exercer son action conformément à son objet, il ne peut pas être regardé comme justifiant d’un intérêt suffisamment personnel et direct à agir
  • M. C… n’est pas membre de l’association Anticor. Mais il est ancien vérificateur des comptes de l’association, membre de son comité d’éthique, et il avait, avant l’enregistrement de la requête, alerté le ministère de la Justice sur des dysfonctionnements de l’association puis avait été exclu de celle-ci « en raison des modalités selon lesquelles il avait dénoncé des dérives de fonctionnement » (avant que l’association ne dépose plainte contre lui pour dénonciation calomnieuse)…. Le juge ne pouvait que reconnaitre son intérêt à agir.
  • Enfin restait un Monsieur D… dont l’intérêt à agir était trop indirect, voire même un peu fantaisiste, pour être favorablement accueilli par le juge.

 

Dès lors qu’un requérant était jugé recevable, l’agrément était en danger, puisque l’acte attaqué lui-même démontrait la faiblesse du dossier, faiblesse qui eût été à mon sens aisée à constater même sans les « considérants » précités.

Rappelons qu’en pareil cas, l’Etat défend son acte, mais que le bénéficiaire de celui-ci peut présenter sa propre défense (soit comme partie soit, le plus souvent, comme intervenant volontaire à l’appui des observations de la défense, cela dépend des types de contentieux). Comme peut le faire un attributaire de marché quand ce dernier est attaqué, ou un pétitionnaire de permis de construire… Sauf qu’en l’espèce le greffe ne semble pas avoir averti très promptement l’association, même si celle-ci a pu se défendre. Là encore, pas de procès contre les greffes sur ce point : ce n’est pas rare que de telles difficultés soient à noter, et les explications n’en sont JAMAIS (sauf cas vraiment rarissime) à chercher dans le complotisme.

Sur le fond, le dossier était faible en défense : pour une association qui exige la transparence et qui doit se l’imposer à elle-même, il va de soi qu’avoir un don qui atteint 17% de ses ressources n’est pas un gage d’indépendance, à tout le moins. Que le cacher aux instances en violation de ses propres règles internes n’est pas glorieux, même en année pandémique. 

Pris ainsi, il est clair que les critères des points 4e et 5e du décret n’étaient pas réunis. Du tout. Ils ne l’étaient pas lors de la première date possible de renouvellement. Le fait d’avoir attendu avril 2021 donnait à tout le moins une ligne de défense, au lieu de fragiliser l’association, puisqu’on pouvait dire que ces critères redevenaient possibles dès que l’association avait lancé son nettoyage interne, en termes financiers etc. Ce qui n’était pas le cas en janvier 2021… et l’était un peu, un tout petit peu plus en avril 2021, semble-t-il.

Certes, que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre.. Même si cela fait désordre pour des parangons de vertu.

Mais les mois étaient passés.

La question en droit était de savoir si, en légalité interne donc, l’association remplissait les conditions, ou non, pour que soient également réunies les 4e et 5e conditions posées par le décret de 2014, précité.

Or, on juge de la légalité d’un acte à la date de son adoption voir encore récemment CE Section, 19 novembre 2021, Association des avocats ELENA France et autres, n° 437141 et 437142).

Citons la toute première phrase des conclusions de Mme Sophie Roussel, Rapporteure publique, sur cette affaire :

« Le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte administratif à la date à laquelle celui-ci a été pris. Il n’est pas question aujourd’hui de vous proposer d’abandonner cette règle cardinale, aussi ancienne que le recours pour excès de pouvoir lui-même et à ce point évidente que, sans jamais la justifier, vous n’avez par le passé qu’exceptionnellement ressenti le besoin de la formuler 1 »
« 1. Voir en particulier la décision de section du 22 juillet 1949, Société des Automobiles Berliet, n° 85735 et 6680, p. 368 […] »
http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2021-11-19/437141

Donc le TA de Paris ne pouvait guère aboutir à d’autre décision que celle consistant à :

  • « le Premier ministre ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, se fonder sur la circonstance que l’association se serait engagée à prendre des mesures correctives visant à se mettre en conformité avec ses obligations postérieurement à la date de la décision d’agrément. »

Donc exit l’agrément d’ANTICOR.

Restait un droit d’accès au juge qui ne serait garanti que par ANTICOR, ce qui en droit ne tient vraiment pas la route en sus d’être d’une rare immodestie (il y a d’autres voies et de droit et, accessoirement, d’autres associations !) :

  • « 8. En second lieu, dès lors que la capacité pour une association à exercer les droits reconnus à la partie civile prévue par les dispositions de l’article 2-23 du code de procédure pénale est subordonnée à l’obtention d’un agrément que l’administration a la faculté de délivrer lorsque les conditions précitées sont remplies, l’association Anticor ne peut utilement soutenir qu’une éventuelle annulation méconnaitrait le droit à l’accès au juge. »

 

 

L’affaire a été jugée en même sens à hauteur d’appel.

En effet, par un arrêt de ce jour, et en dépit de conclusions en sens contraire de son rapporteur public, la Cour administrative d’appel de Paris rejette les requêtes par lesquelles l’association Anticor lui demandait l’annulation et le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris du 23 juin 2023 (n° 2111821), lequel, saisi par un membre et un ancien membre de l’association, avait annulé l’agrément délivré en avril 2021.

En premier lieu, la Cour a relevé que le Premier ministre avait constaté que l’association Anticor ne remplissait pas les conditions de délivrance d’un tel agrément tenant au caractère désintéressé et indépendant de ses activités et aux garanties de participation effective de ses membres à sa gestion. Elle en a déduit, ainsi que l’avait fait le tribunal, qu’il ne pouvait dès lors, sans commettre d’erreur de droit, procéder à la délivrance de l’agrément en se fondant sur les engagements de l’association à se mettre en conformité pour l’avenir.

En second lieu, la Cour a jugé, au vu des effets produits par l’agrément avant son annulation et de l’intérêt général qui pouvait s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, que les conséquences de l’annulation rétroactive du renouvellement d’agrément n’emportaient pas des conséquences manifestement excessives, qui auraient justifié de limiter pour le passé les effets de cette annulation. Elle confirme donc, également sur ce point, le jugement du tribunal.

 

 

 

I.B. Derrière la simplicité… de possibles stratégies subtiles. Mais avant de crier haro, inversement, sur le Gouvernement, en l’état du droit actuel… réfléchissons sur ce qu’étaient réellement les choix de l’Etat lors de l’octroi de cet agrément fragile en droit

 

Depuis que ce jugement, puis cet arrêt, ont été rendus, on aura tout entendu.

Voici que des juristes pourtant estimables signalent que de toute manière le Parquet en France est sous l’eau et ferait mal son travail… heu… y’a pas de parquet en contentieux administratif, camarade… retour en 2e année. Sans passer par la case départ.

Le plus habituel est de dire que Jean Castex aurait bien joué. Il aurait tout manipulé avec ses « considérants » qui affaiblissent le dossier.

Il est probable que les rédacteurs de cet arrêté se sont, en effet, procuré quelques plaisirs à rappeler à l’association qui avait adopté une attitude très offensive dans ce dossier alors que la passionaria de la pureté avait les mains sales… et oui les services de l’Etat se sont peut-être fait le plaisir de rappeler par avance au futur juge, les faiblesses du dossier au moment où depuis des mois les soutiens, nombreux, de cette association hurlaient au complot gouvernemental et à la volonté de l’Etat de museler ANTICOR…. dont les problèmes internes ne venaient tout de même pas, originellement, du Gouvernement, sauf nouvelle théorie qui n’a pas encore été, je crois, osée.

Alors mettons nous deux secondes à la place du Gouvernement.

  • Tout d’abord, début 2021…
    Certains diront que le Gouvernement était alors gêné par le fait qu’ANTICOR ne remplissait pas, ou plus parfaitement, ces conditions. D’autres diront que cela arrangeait bien le Gouvernement. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont des procès d’intention.
    Restons en aux faits. Plutôt que de renouveler, ou de refuser l’agrément d’ANTICOR, le Gouvernement a, dans un premier temps, prolongé celui-ci comme cela a été souligné ci-avant (jusqu’au 10 février puis jusqu’au 12 février… puis donc jusqu’au 2 avril 2021).
    Quels qu’aient pu être les calculs de chacun, il est un fait peu contestable : plus le Gouvernement attendait, plus il différait l’octroi de cet agrément, plus il donnait des semaines à l’association pour se réformer, pour régler ces difficultés. Chance qu’elle n’a pas non plus saisie avec une grande promptitude, empêtrée qu’elle était dans ses difficultés internes, semble-t-il.
    Les chances que les choses se dénouent quand aux contentieux engagés entre membres de l’associations étaient faibles (pas dans un délai si prompt).
    Mais pour agir en termes de transparence, de finances, de gouvernance. Il y avait urgence… Et, donc, plus le Gouvernement attendait, plus il donnait crédit au fait qu’au jour de son arrêté l’association avait réglé ses difficultés… ou y aurait donné crédit si l’association avait été elle-même prompte à corriger le tir.
    Précisons que… Oui c’étaient, pour le Gouvernement, aussi des mois à mettre la pression sur l’association… mais celle-ci à tout le moins le rendaient bien au détriment du Gouvernement, accusé pendant toute cette période de tous les maux.
  • Ensuite, passons à avril 2021.
    La question en droit était de savoir si, en légalité interne donc, l’association remplissait les conditions, ou non, pour que soient également réunies les 4e et 5e conditions posées par le décret de 2014, précité.
    Les requérants n’avaient pas besoin de l’argumentaire inséré dans ces « considérants ». Chacun dans ce petit monde, à commencer par les requérants, savait quels arguments brandir. Et quelques mois de plus, c’étaient comme signalé ci-avant quelques mois de plus laissés à l’association pour lancer un audit financier, régulariser un certain nombre de choses, etc.
    Bref que ce soit dans les considérants ou pas, chacun savait que la question allait être de savoir si (après avoir entendu les requêtes, mais aussi les défenses de l’Etat comme de l’association) si les points 4° et 5° du décret étaient remplis.
    Or, attendre permettait à l’Etat… et à l’association, de tenter une ligne de défense qui, pour audacieuse qu’elle était, restait la seule susceptible d’être soulevée !  Il s’agissait de savoir si on devait juger les 5 critères du décret de 2014, précité, comme :

    • Hypothèse 1
      devant être réunis pendant les 5 années précédentes (par une sorte de lien entre critères) ? Cette option, radicale, plutôt peu probable, eût clairement interdit que l’agrément fût renouvelé
    • Hypothèse 2
      au jour d’adoption de l’acte, à savoir le 2 avril 2021  ?  En ce cas, là encore, puisque l’association n’avait pas encore accompli les mesures qui pourtant à l’évidence dès les fortes turbulences connues par l’association entre avril et juin 2020 (en pleine pandémie certes, encore une fois) et cette interprétation n’était pas non plus très favorable à l’association (alors même qu’en recours pour excès de pouvoir c’est l’interprétation la plus usuelle)
    • Hypothèse 3
      d’une manière prospective, en tablant sur l’avenir, en incorporant les réformes en cours quoique non mises en oeuvre ? C’est ce qu’a fait le Gouvernement, et qui avait peu de chances de prospérer.

Pourquoi cette hypothèse 3 était-elle perdue d’avance, ou presque ? Parce qu’en recours pour excès de pouvoir on juge de la légalité d’un acte à la date de son adoption  comme évoqué ci-avant (cf. arrêts précités CE Section, 19 novembre 2021, Association des avocats ELENA France et autres, n° 437141 et 437142 ; CE, S., 22 juillet 1949, Société des Automobiles Berliet, n° 85735 et 6680, rec. p. 368).

Mais dans un régime juridique un peu exotique comme celui-ci, après tout, promouvoir une règle prospective pouvait être tenté… avec l’énergie du désespoir certes, mais quand c’est la seule ligne de défense qui reste, on ne peut guère blâmer le Gouvernement d’avoir donné du crédit à celle-ci en donnant quelques mois de plus à l’association pour montrer les prémices de cette évolution positive.

Après, on m’objectera de nouveau que tout de même le Gouvernement s’est fait bien plaisir par la rédaction de ses considérants, comme on laisserait une mine exploser ensuite, au premier usage de ce terrain.

A ceci, la réponse est OUI. Oui il y a eu un considérant qui s’est retourné contre la légalité de cet arrêté et cela a sans doute été voulu. MAIS bon sang que pouvait faire un Gouvernement accusé par ANTICOR de tous les maux alors que ces reports de renouvellement donnaient pourtant grâce au Gouvernement… à cette association quelque possible planche de salut ?

Comment imaginer que le Gouvernement n’allait pas au minimum se justifier de ce dont il était, à l’époque des faits, si vertement accusé ? Le Gouvernement aurait-il été seulement crédible à passer sous silence les graves difficultés et manquements constatés dans ce dossier ? Sérieusement ? Seul un esprit très, très militant peut le croire deux secondes.

 

 

II. Au delà de l’affaire… des incertitudes de court terme et des réflexions que, à moyen terme, il faudra bien collectivement conduire. 

 

II.A. Des lendemains incertains

 

Bien entendu, ANTICOR peut outre son appel perdu demander un nouvel agrément (ce qui a été dès le lendemain du jugement du TA de Paris annoncé comme prochain… Gageons que ce fut fait prestement !).

 

 

Reste aussi à connaître l‘impact de cette censure sur les recours pendants au pénal. Citons sur ce point ce qu’en pense le TA lui-même…. via la demande de modulation dans le temps de l’annulation (différé d’entrée en vigueur de la décision du juge au sens de CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC! , n° 255886, rec. p. 197, GAJA 23e éd. 101)… mais qui repose sur des éléments de procédure pénale qui à tout le moins pourront donner lieu à quelques débats :

  • « 9. Par suite, M. C… est fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 2 avril 2021 par lequel le Premier ministre, exerçant les attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, a renouvelé l’agrément de l’association Anticor en vue de l’exercice des droits reconnus à la partie civile.
    « Sur la demande de modulation dans le temps des effets de l’annulation :
    « 10. L’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu. Toutefois, s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif – après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause – de prendre en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation. Il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation, ou, lorsqu’il a décidé de surseoir à statuer sur cette question, dans sa décision relative aux effets de cette annulation, que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l’annulation contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine.
    « 11. En l’espèce, l’association Anticor soutient que l’effet rétroactif de l’annulation de l’agrément serait susceptible, dès lors que les constitutions de partie civile formées par l’association pourraient être jugées irrecevables, de fragiliser les procédures concernées et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives sur les intérêts publics tirés de la lutte contre la corruption et, plus généralement, de la justice. Toutefois, à supposer que le juge judiciaire compétent retienne l’irrecevabilité des constitutions de parties civiles formées par l’association, il est constant que cet effet de l’annulation concernerait uniquement les constitutions de partie civile postérieures à la date de l’agrément attaqué. En outre, il ressort des articles 85 et suivants du code de procédure pénale et des articles 418 et suivants du même code, éclairés par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de Cassation, que, d’une part, l’irrecevabilité d’une constitution de partie civile formée en cours d’instance n’a pas d’effet par elle-même sur l’action publique, laquelle préexistait et que, d’autre part, l’irrecevabilité en cours d’instruction ou de jugement d’une plainte avec constitution de partie civile n’a pas par elle-même d’effet sur l’action publique, dès lors que la poursuite aura été valablement exercée par les réquisitions de ministère public. En outre, il sera en tout état de cause loisible à l’association Anticor d’interjeter appel, lequel a un caractère suspensif, des éventuelles décisions du juge judiciaire compétent relatives à l’irrecevabilité de ses constitutions. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’absence d’agrément permettant à l’association Anticor d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne certaines infractions financières serait susceptible de porter de façon manifestement excessive atteinte à l’intérêt général, alors qu’au surplus, il est constant que deux autres associations ont bénéficié sur la période écoulée depuis le 18 avril 2021, et bénéficient encore, d’un agrément leur permettant d’exercer ces mêmes droits. Dans ces conditions, au regard du moyen d’annulation retenu et alors que l’effet rétroactif de l’annulation aurait uniquement pour potentielle conséquence de faire perdre à l’association Anticor qualité pour participer au procès pénal, il ne résulte pas des éléments produits par l’association que cet effet serait par lui-même de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison des effets que l’agrément avait produit sur elle ou d’un intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets.
    « 12. Il résulte de ce qui précède qu’il n’y pas lieu de faire droit à la demande de l’association Anticor tendant à ce que soient modulés dans le temps les effets de l’annulation de l’agrément du 2 avril 2021.»

 

A voir si le juge pénal en sera d’accord…

 

Et puis n’oublions pas le volet HATVP de cette affaire. Voir à ce sujet :

 

II.B. Un jugement puis un arrêt qui conduisent à s’interroger sur le régime français, qui tente d’éviter tant Charybde que Scylla… et qui finit par être aussi mauvais que les défauts qu’il tente d’obvier

 

Au delà du cas précis d’ANTICOR, ce jugement puis cet arrêt pourraient être l’occasion de s’interroger sur le régime français (article 2-23 du code de procédure pénale et décret de 2014, modifié). Reconnaissons à ce dernier le mérite de tenter d’éviter :

  • de confier à toute association un pouvoir exorbitant permettant d’avoir autant (ou aussi peu…) de pouvoirs que les victimes se constituant partie civile. Elargir le régime actuel à un plus grand nombre d’associations serait dévastateur : on verrait fleurir des associations d’un camp politique donné en chasse à leurs adversaires. Il n’y aurait plus de limites à l’exacerbation de la vindicte du public…
  • le défaut inverse qui consisterait à désarmer les requérants. Comme dans les autres domaines où de telles associations existent (nature / environnement ; enfance….) il s’agit de donner une voix et des armes à ceux qui n’en ont pas ou qui n’oseront pas, ou qui ne se sentiront pas assez concernés pour agir. La corruption, par ses réseaux de complicité, par la passivité du grand public (pensons à la réélection de M. Balkany…), a sans doute besoin de porte-voix et d’outils.

 

Alors que faire ?

Une solution serait de faire donner l’agrément par une autorité administrative indépendante… Mais on risque inversement, en pareil cas, de favoriser plus encore l’entre-soi dans un monde, un tout petit monde, celui des professionnels du nettoyage.

Une autre solution serait de laisser ce régime d’agrément tel quel, mais avec des contrôles et des critères plus objectifs. Cependant, cette solution n’est pas optimale car on en reviendra toujours à des notions d’indépendance financière et de transparence qui, par essence même, restent susceptibles de donner lieu à débats.

A moins qu’il ne faille élargir l’agrément, le donner plus libéralement mais en rendant facile son retrait… par exemple via des conditions de contrôle financier et éthiques très renforcés, donnés par exemple à des juridictions (décisions conjointes d’une commission composée pour moitié de juges au pénal et pour moitié de membres de la Cour des comptes sur la base d’un contrôle de l’association opéré par l’institution de la rue Cambon ?). Mais, là encore, les juges concernés seraient-ils une meilleure garantie dans l’équilibre des relations avec l’exécutif ? Les juges au pénal seront-ils neutres ? Ceux de la Cour des comptes sont parfois adminitrateurs eux-mêmes… Ces dernières années, en matière de relations entre exécutif et judiciaire, peuvent conduire à quelques inquiétudes sur un tel schéma, même si celui-ci pourrait, sur le papier, sembler idéal.

Le régime actuel en tous cas qui conduit à un contrôle de l’Etat qui sera décrié quoiqu’il fasse, donné in fine à très peu d’associations, a le mérite de tous les entre-deux. Il évite les dérives des solutions extrêmes, tout en étant bigarré, pétri de possibles contradictions. Une machine à fabriquer des ornithorynques. Et après on est surpris que cela soit légèrement brinquebalant…

Iconographie : Platypus (ornithorynque)

 

 

 

Annexe : voici cette décision du TA puis l’arrêt de la CAA ; voir aussi une décision du CE sur une affaire connexe

 

TA Paris, 23 juin 2023, n°No 2111821 6-1

CAA Paris, 16 novembre 2023, n°23PA03811, 23PA03813

 

Sur le volet HATVP de cette affaire :