Motivation des actes : silence vaut Czabaj

Quand une administration refuse de s’expliquer alors qu’elle devrait le faire, s’appliquera une « Czabajification » (ou Czabajisation ?) de ses délais de recours contentieux (II), selon un mode d’emploi rendu compatible avec la position de la CEDH dans l’arrêt Legros (sécurité juridique garantie par un filet pour ceux que ce revirement pourra prendre au dépourvu).
Désormais :

  • pour une demande de motifs antérieure à (ou faite le jour même de) la publication de l’avis contentieux du Conseil d’Etat du 2 octobre 2025 : le délai de recours « Czabaj » court à compter de ladite publication
  • pour une demande de motifs à dater du lendemain de cette publication : le délai de recours « Czabaj » sera d’un an à compter de la demande de communication des motifs de la décision. 

Mais rappelons déjà, très sommairement, ce qu’est la jurisprudence Czabaj, ce que furent sa vie et son oeuvre (I).

Au lecteur juriste chevronné le soin de passer le premier chapitre. Aux autres, la charge de lire d’abord ce « I. » en s’armant d’un café et d’un cachet d’aspirine. 


 

I. Czabaj, sa vie, son oeuvre

 

Depuis bientôt dix ans, les actes individuels non notifiés ou mal notifiés  ne peuvent plus être attaqués indéfiniment (un délai — indicatif — d’un an pour engager un recours étant alors appliqué par le juge mais avec des modulations au cas par cas). Telle était la révolution (contra legem) posée par l’arrêt M. Czabaj  du Conseil d’Etat (13 juillet 2016, n°387763) :

Cette jurisprudence a été étendue :

 

NB en cas de fraude, des solutions subtiles s’imposent. Voir :

 

Cette jurisprudence a connu une grande expansion en contentieux administratif, mais la Cour de cassation a refusé de l’intégrer à son corpus et la CEDH, pour certains litiges de l’époque, a censuré ce revirement soudain opéré par le Conseil d’Etat.

Sources : CEDH, 9 novembre 2023, AFFAIRE LEGROS ET AUTRES c. FRANCE, requête n° 72173/17 et 17 autres ; Cass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12.560, au Bull . ; Cass. plén., 8 mars 2024, n° 21-21.230, au Bull.

Voir : Czabaj : rapide point au lendemain des arrêts de la CEDH et de la Cour de cassation [article détaillé ; brève vidéo ; Nouvelle diffusion pour les 1 an de ces deux arrêts de la Cour de cassation ]

Image générée par Chat GPT. On reconnait sa signature (un bras en trop)

Soit au total :

 

II. Silences dans les motifs font plus que force ni que rage : ils font du Czabaj (avec un filet de sécurité pour les demandes antérieures à la publication de ce nouvel avis contentieux)

 

Non sans quelques méandres, le délai indicatif d’un an sera également modulé selon l’attitude de l’administration. Ce qui est déjà une incertitude à lever au cas par cas dans les dossiers.

Mais un des points qui restaient obscurs était le point de départ du délai indicatif d’un an quand l’administration s’obstine à ne pas motiver une décision qui devrait l’être.

Imaginons une décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration sur une demande alors que la décision qui aurait dû être motivée.

Saisi d’une question sur ce point, le Conseil d’Etat pose que :

  • la demande de communication des motifs dans le délai de recours contentieux, le cas échéant correspondant au délai raisonnable au sens de la jurisprudence Czabaj… proroge par principe le délai de recours contentieux jusqu’à expiration du délai de deux mois suivant le jour de communication des motifs (art. L. 232-4 du CRPA)
  • mais le recours devra être formé dans un délai d’un an à compter de la demande de communication des motifs
  • avec des ajustements pour tenir compte de ce changement de jurisprudence (prise en compte de la jurisprudence Legros de la CEDH précité (sécurité juridique garantie par un filet pour ceux que ce revirement pourra prendre au dépourvu).

 

Il en résulte le mode d’emploi que voici :

« lorsqu’une décision implicite intervient dans le cas où une décision explicite aurait dû être motivée et que l’intéressé en a demandé les motifs dans le délai de recours contentieux, le cas échéant dans le délai raisonnable qui court à compter de la naissance de la décision implicite s’il est établi que l’intéressé a eu connaissance des conditions de naissance d’une décision implicite lors de la présentation de sa demande ou de la date établissant qu’il a eu connaissance de la décision, ce délai est prorogé jusqu’à l’expiration du délai de deux mois, prévu à l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), suivant le jour où les motifs lui ont été communiqués.
« Toutefois, en toute hypothèse, l’intéressé ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai d’un an à compter de la date à laquelle il a demandé communication des motifs de la décision litigieuse.»

 

Avec donc une mesure transitoire (au nom de la sécurité juridique et de la jurisprudence Legros donc) pour qui pourrait être surpris par ce qui reste un revirement (par rapport à CE, 29 mars 1985, Testa, n°45311, 46374, rec. p. 93… mais bon là le CE a été prudent car le revirement depuis Czabaj de cette jurisprudence de 1985 allait de soi) :

« 6. Lorsque la demande de communication a été présentée antérieurement à la publication du présent avis, le délai maximal d’un an court à compter de cette publication.»

Nous supposons que c’est la publication au JO prévue par ledit avis contentieux du CE lui-même ? Publication au JO qui ne semble pas encore avoir eu lieu.

DONC :

  • pour une demande de motifs antérieure à (ou faite le jour même de) la publication de l’avis contentieux du Conseil d’Etat du 2 octobre 2025 : le délai de recours « Czabaj » court à compter de ladite publication
  • pour une demande de motifs à dater du lendemain de cette publication : le délai de recours « Czabaj » sera d’un an à compter de la demande de communication des motifs de la décision. 

 

Source : 

Conseil d’État, 2 octobre 2025, n° 504677, au recueil Lebon

Source : photo coll. pers. de notre bibliothèque (2024) – tables du rec. 1849-1874


En savoir plus sur

Subscribe to get the latest posts sent to your email.