Quand une administration refuse de s’expliquer alors qu’elle devrait le faire, s’appliquera une « Czabajification » (ou Czabajisation ?) de ses délais de recours contentieux (II), selon un mode d’emploi rendu compatible avec la position de la CEDH dans l’arrêt Legros (sécurité juridique garantie par un filet pour ceux que ce revirement pourra prendre au dépourvu).
Désormais :
- pour une demande de motifs antérieure à (ou faite le jour même de) la publication de l’avis contentieux du Conseil d’Etat du 2 octobre 2025 : le délai de recours « Czabaj » court à compter de ladite publication
- pour une demande de motifs à dater du lendemain de cette publication : le délai de recours « Czabaj » sera d’un an à compter de la demande de communication des motifs de la décision.
Mais rappelons déjà, très sommairement, ce qu’est la jurisprudence Czabaj, ce que furent sa vie et son oeuvre (I).
Au lecteur juriste chevronné le soin de passer le premier chapitre. Aux autres, la charge de lire d’abord ce « I. » en s’armant d’un café et d’un cachet d’aspirine.

I. Czabaj, sa vie, son oeuvre
Depuis bientôt dix ans, les actes individuels non notifiés ou mal notifiés ne peuvent plus être attaqués indéfiniment (un délai — indicatif — d’un an pour engager un recours étant alors appliqué par le juge mais avec des modulations au cas par cas). Telle était la révolution (contra legem) posée par l’arrêt M. Czabaj du Conseil d’Etat (13 juillet 2016, n°387763) :

Cette jurisprudence a été étendue :
- à l’exception d’illégalité d’une décision individuelle. Voir :
- CE, 27 février 2019, M. A. c/ ministre de l’action et des comptes publics, n° 418950
- Le Conseil d’État étend la jurisprudence Czabaj à l’exception d’illégalité d’une décision individuelle.
- et plus largement aux exceptions d’illégalité. Voir :
- CAA Nancy 18 janvier 2018, M. J., n° 17NC00817
- « La sécurité juridique n’a plus de limite » … ou en tous cas elle en a de moins en moins (extension de la jurisprudence Czabaj aux exceptions d’illégalité)
- … exception d’illégalités également rabotées dans leur possible portée par deux arrêts du 18 mai 2018 (Les moyens tirés de vices de forme ou de procédure dont serait entaché un acte réglementaire doivent-ils être jugés inopérants dans le contentieux du refus de l’abroger et lors de sa contestation par la voie de l’exception d’illégalité ? Le CE répond par la négative par deux arrêts qui forment un revirement de jurisprudence très notable, au profit du principe de sécurité juridique et au détriment du principe de légalité). Voir :
- Conseil d’État, 18 mai 2018, n° 411045 411045
- Conseil d’État, 18 mai 2018, n° 411583
- https://blog.landot-avocats.net/2018/05/18/le-conseil-detat-rabote-la-possibilite-de-soulever-une-exception-dillegalite/
- plus largement, cette série ayant été complétée par d’autres décisions rognant les exceptions d’illégalités, voici une vidéo que j’ai faite en 2023 à ce sujet : https://youtu.be/9Jn25D5QTDk
- aux titres exécutoires. Voir :
- CE, 9 mars 2018, Communauté d’agglomération du pays ajaccien, req. n° 401386
- Quel délai de recours contentieux contre un titre exécutoire ?
- aux décisions implicites de rejet :
- aux décisions d’espèce (voir « La sécurité juridique n’a plus de limite » … (encore une extension de la jurisprudence Czabaj… aux décisions d’espèce cette fois) : CE, 25 septembre 2020, n°430945 )
- aux rejets implicites de recours gracieux (Extension de la jurisprudence Czabaj… au rejet implicite d’un recours gracieux cette fois (mais avec une application souple de la date où il y a eu connaissance de la décision) :CE, 12 octobre 2020, n° 429185 )
- à certains contentieux contractuels mais pas tous (pour les contentieux « Tarn-et-Garonne » voir CE, 19 juillet 2023, Société Seateamaviation, n° 465308, aux tables du rec. ; voir aussi n° 465309 du même jour ; cf. ici une vidéo et là un article ; voir plus récemment la subtile décision CAA Marseille, 3 mars 2025, Communauté d’agglomération Cannes-Pays de Lérin, n° 24MA00756, Inédit au recueil Lebon ; voir ici un article et une vidéo où nous faisons un point plus général sur cette question).
- voir aussi :
- Une question préjudicielle… ne peut servir à contourner la jurisprudence CZABAJ (Conseil d’État, 2ème – 7ème chambres réunies, 29/11/2019, 429248 ; Voir auparavant : CE, Assemblée, 13 juillet 2016, M., n° 387763, rec. p. 340 ; CE, 19 mai 2000, Mutuelle de la RTAP, n° 208545, rec. T. pp. 858-906 et CE, 29 novembre 2019, Procureur de la République de Marseille c/ M. M…, n° 429248, à publier aux tables du rec.)
- quel est le délai de prescription en cas d’erreur dans le bulletin de paye d’un agent public ? (CE, 10 juillet 2020, n° 430769)
- voir cependant : Le principe de sécurité juridique a une limite : le contentieux indemnitaire (Czabaj : le retour de balancier) : CE, 17 juin 2019, n° 413097
NB en cas de fraude, des solutions subtiles s’imposent. Voir :
-
Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 05/02/2018, 407149
- Acte créateur de droits obtenu par fraude : quel recours pour les tiers, une fois passé les délais de recours contentieux ?
- voir aussi :
- Les tiers ne peuvent contester indéfiniment une décision administrative individuelle qui a fait l’objet d’une mesure de publicité à leur égard… même en cas de fraude (TA Versailles, 15 février 2017, n°1402665)
- Importante décision sur la conciliation entre la procédure fiscale et la jurisprudence Czabaj (CE, 21 octobre 2020, n° 443327).
Cette jurisprudence a connu une grande expansion en contentieux administratif, mais la Cour de cassation a refusé de l’intégrer à son corpus et la CEDH, pour certains litiges de l’époque, a censuré ce revirement soudain opéré par le Conseil d’Etat.
Sources : CEDH, 9 novembre 2023, AFFAIRE LEGROS ET AUTRES c. FRANCE, requête n° 72173/17 et 17 autres ; Cass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12.560, au Bull . ; Cass. plén., 8 mars 2024, n° 21-21.230, au Bull.

Soit au total :


II. Silences dans les motifs font plus que force ni que rage : ils font du Czabaj (avec un filet de sécurité pour les demandes antérieures à la publication de ce nouvel avis contentieux)
Non sans quelques méandres, le délai indicatif d’un an sera également modulé selon l’attitude de l’administration. Ce qui est déjà une incertitude à lever au cas par cas dans les dossiers.
Mais un des points qui restaient obscurs était le point de départ du délai indicatif d’un an quand l’administration s’obstine à ne pas motiver une décision qui devrait l’être.
Imaginons une décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration sur une demande alors que la décision qui aurait dû être motivée.
Saisi d’une question sur ce point, le Conseil d’Etat pose que :
- la demande de communication des motifs dans le délai de recours contentieux, le cas échéant correspondant au délai raisonnable au sens de la jurisprudence Czabaj… proroge par principe le délai de recours contentieux jusqu’à expiration du délai de deux mois suivant le jour de communication des motifs (art. L. 232-4 du CRPA)
- mais le recours devra être formé dans un délai d’un an à compter de la demande de communication des motifs
- avec des ajustements pour tenir compte de ce changement de jurisprudence (prise en compte de la jurisprudence Legros de la CEDH précité (sécurité juridique garantie par un filet pour ceux que ce revirement pourra prendre au dépourvu).
Il en résulte le mode d’emploi que voici :
« lorsqu’une décision implicite intervient dans le cas où une décision explicite aurait dû être motivée et que l’intéressé en a demandé les motifs dans le délai de recours contentieux, le cas échéant dans le délai raisonnable qui court à compter de la naissance de la décision implicite s’il est établi que l’intéressé a eu connaissance des conditions de naissance d’une décision implicite lors de la présentation de sa demande ou de la date établissant qu’il a eu connaissance de la décision, ce délai est prorogé jusqu’à l’expiration du délai de deux mois, prévu à l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), suivant le jour où les motifs lui ont été communiqués.
« Toutefois, en toute hypothèse, l’intéressé ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai d’un an à compter de la date à laquelle il a demandé communication des motifs de la décision litigieuse.»

Avec donc une mesure transitoire (au nom de la sécurité juridique et de la jurisprudence Legros donc) pour qui pourrait être surpris par ce qui reste un revirement (par rapport à CE, 29 mars 1985, Testa, n°45311, 46374, rec. p. 93… mais bon là le CE a été prudent car le revirement depuis Czabaj de cette jurisprudence de 1985 allait de soi) :
« 6. Lorsque la demande de communication a été présentée antérieurement à la publication du présent avis, le délai maximal d’un an court à compter de cette publication.»
Nous supposons que c’est la publication au JO prévue par ledit avis contentieux du CE lui-même ? Publication au JO qui ne semble pas encore avoir eu lieu.
DONC :
- pour une demande de motifs antérieure à (ou faite le jour même de) la publication de l’avis contentieux du Conseil d’Etat du 2 octobre 2025 : le délai de recours « Czabaj » court à compter de ladite publication
- pour une demande de motifs à dater du lendemain de cette publication : le délai de recours « Czabaj » sera d’un an à compter de la demande de communication des motifs de la décision.
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