Le Conseil d’Etat vient de poser que le délai raisonnable d’un an, de recours, délai « modulable » au-delà duquel il est impossible d’exercer un recours juridictionnel s’étend aussi aux rejets implicites de recours gracieux. Avec des précisions importantes sur le point de départ alors de ce délai indicatif d’un an.
Détaillons cette importante et nouvelle évolution du principe de sécurité juridique, au détriment du principe de légalité.
Entre la défense de la légalité des actes (et donc la sanction des actes illégaux) et la sécurité juridique (et donc la non sanction des actes illégaux au delà d’un certain délai), l’équilibre ne cesse, depuis quelques années, de progresser en défaveur de la légalité des actes.
Bref, nous vivons en des temps où prévaut le principe de la sécurité juridique. Bref, celui de la tranquillité pour les auteurs d’actes administratifs illégaux passé un certain délai.
Ainsi les actes individuels non notifiés ou mal notifiés ne peuvent plus être attaqués indéfiniment (un délai — indicatif — d’un an pour engager un recours étant alors appliqué par le juge mais avec des modulations au cas par cas). Voir :
Or, cette jurisprudence CZABAJ vient donc d’être, une nouvelle fois, étendue.
A la base, on avait un texte de la partie réglementaire du Code de justice administrative qui posait que faute de notification en bonne et due forme des voies et délais de recours, c’était sans condition de délai que pouvait agir un requérant.
Plutôt que de demander au pouvoir réglementaire de modifier ce texte (le bonheur juridique pouvant être aussi simple qu’un coup de fil…), il a plu au juge administratif de se simplifier la tâche en posant que cette règle devait être contre-balancée par un principe de sécurité juridique conduisant donc à ce fameux délai indicatif d’un an au delà duquel le requérant ne peut plus agir.
- Voir :
- L’absence de voies et délais de recours ne permet plus d’attaquer indéfiniment une décision administrative individuelle
- Actes individuels mal notifiés : application stricte ou non du délai d’un an ? (TA Lille, 7 février 2017, n°1306508)
- La « sécurité juridique », principe réaffirmé avec force par le Conseil d’Etat
Cette jurisprudence a été étendue :
- à l’exception d’illégalité d’une décision individuelle. Voir :
- CE, 27 février 2019, M. A. c/ ministre de l’action et des comptes publics, n° 418950
- Le Conseil d’État étend la jurisprudence Czabaj à l’exception d’illégalité d’une décision individuelle.
- et plus largement aux exceptions d’illégalité. Voir :
- CAA Nancy 18 janvier 2018, M. J., n° 17NC00817
- « La sécurité juridique n’a plus de limite » … ou en tous cas elle en a de moins en moins (extension de la jurisprudence Czabaj aux exceptions d’illégalité)
- … exception d’illégalités également rabotées dans leur possible portée par deux arrêts du 18 mai 2018 (Les moyens tirés de vices de forme ou de procédure dont serait entaché un acte réglementaire doivent-ils être jugés inopérants dans le contentieux du refus de l’abroger et lors de sa contestation par la voie de l’exception d’illégalité ? Le CE répond par la négative par deux arrêts qui forment un revirement de jurisprudence très notable, au profit du principe de sécurité juridique et au détriment du principe de légalité). Voir :
- Conseil d’État, 18 mai 2018, n° 411045 411045
- Conseil d’État, 18 mai 2018, n° 411583
- https://blog.landot-avocats.net/2018/05/18/le-conseil-detat-rabote-la-possibilite-de-soulever-une-exception-dillegalite/
- aux titres exécutoires. Voir :
- CE, 9 mars 2018, Communauté d’agglomération du pays ajaccien, req. n° 401386
- Quel délai de recours contentieux contre un titre exécutoire ?
- aux décisions implicites de rejet :
- aux décisions d’espèce :
- voir aussi :
- Une question préjudicielle… ne peut servir à contourner la jurisprudence CZABAJ
- Quel est le délai de prescription en cas d’erreur dans le bulletin de paye d’un agent public ?
- voir cependant : Le principe de sécurité juridique a une limite : le contentieux indemnitaire (Czabaj : le retour de balancier)
NB en cas de fraude, des solutions subtiles s’imposent. Voir :
-
Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 05/02/2018, 407149
- Acte créateur de droits obtenu par fraude : quel recours pour les tiers, une fois passé les délais de recours contentieux ?
- voir aussi :
- Les tiers ne peuvent contester indéfiniment une décision administrative individuelle qui a fait l’objet d’une mesure de publicité à leur égard… même en cas de fraude (TA Versailles, 15 février 2017, n°1402665)
Cependant, le juge tient compte aussi du comportement de l’administration à ce stade. Voir :
- Voies et délais de recours, délai contentieux… les règles changent-elles si l’administration fait espérer une issue non contentieuse ?
- CAA Douai, 2ème chambre – arrêt n° 16DA00402 – 19 juin 2018
Or, le Conseil d’Etat, hier, a étendu ce régime en posant l’impossibilité d’exercer un recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable en cas de décisions implicites de rejet, de rejet implicite d’un recours gracieux plus précisément.
En l’espèce, la décision était de 2012 avec demande de remboursement de sommes perçues par une entreprise. La société a formé un recours gracieux contre cette décision, qui a été reçu le 13 juillet 2012.
Ce recours gracieux n’a pas fait l’objet d’un accusé de réception comportant les mentions des voies et délais de recours.
Par un ordre de reversement du 22 octobre 2012, l’Agence de services et de paiement a mis en recouvrement la somme concernée. A la demande de la société, adressée le 9 novembre 2012, l’Agence de services et de paiement a, par une décision du 22 novembre 2012, suspendu les poursuites. Elle a cependant repris la procédure de mise en recouvrement de cette somme en février 2014 et, en réponse à la société qui lui indiquait ne pas avoir reçu de réponse à son recours gracieux, lui a confirmé son ordre de reversement le 1er avril 2014.
La société a demandé au préfet en 2014 de se prononcer sur le recours gracieux qu’elle avait formé en 2012.
Cette demande a fait l’objet, d’une part, d’une réponse de l’Agence de services et de paiement, en date du 6 mai 2014, indiquant qu’elle la transmettait au préfet et qu’à défaut de réponse de ce dernier dans un délai de deux mois, elle devrait être regardée comme implicitement rejetée et, d’autre part, d’une décision de rejet explicite du préfet en date du 7 juillet 2014.
Le Conseil d’Etat en a déduit que le délai de recours contre la décision rejetant son recours gracieux et de la décision visée par ce recours gracieux ne pouvait courir qu’à compter du 7 juillet 2014.
La société a donc sur ce point gagné devant le Conseil d’Etat (rejet du recours de l’Etat).
CE, 12 octobre 2020, n° 429185, à publier aux tables :
http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-10-12/429185