Associations : les doubles casquettes… risquent de porter le chapeau

Un élu municipal siège au sein d’une association ? Quoi de plus banal ? Et pourtant, le conflit d’intérêt menace alors. Pour que cette double casquette ne finisse pas en migraine, quelques règles de cloisonnement entre les deux fonctions s’imposent.

Il peut sembler artificiel de cloisonner le monde associatif et celui de la commune. Nombre d’élus locaux ont commencé par être des acteurs du monde associatifs, quand le mouvement ne s’est pas fait dans le sens inverse. Et nombre d’adjoints au maire ont une délégation de fonctions dans le domaine où ils exercent des responsabilités associatives. Ou, parfois, ce sont des élus qui président, au nom de la commune, des associations. Ce n’est pas illégal. Mais ce peut être dangereux sauf à respecter de strictes mesures de prudence.

1er effet : l’illégalité

Le droit ne sanctionne pas ceux qui profitent d’être des deux côtés de la barrière. Il sanctionne le fait même d’avoir été des deux côtés de la barrière.

Si un maire ou qu’un adjoint au maire propose au conseil municipal une aide à l’association qu’il préside, la délibération du conseil municipal risque fort d’être déclarée illégale par le juge administratif, même pour une aide raisonnable et bien utilisée.

Cette illégalité est désormais à craindre même pour l’élu qui se trouve en charge de contrôler ou de proposer au conseil municipal d’aider une association au sein de laquelle ses proches joueraient un rôle déterminant (enfants ; parents ; cousins…).

Un tel élu — même s’il représente la commune au sein de l’association qu’il préside — a donc intérêt, par prudence, à s’abstenir de participer aux votes du conseil municipal relatifs à l’association (sortir de la salle lors du débat puis du vote, ne pas avoir préparé la délibération, etc.). De même ne doit-il pas passer de contrat au nom de la commune avec l’association (une procédure particulière permet au maire de se faire remplacer par un autre membre du conseil municipal, spécialement désigné à cet effet).

 

2e effet : la sanction pénale

Cet élu peut même encourir, à titre personnel, dans des cas graves, les foudres du tribunal correctionnel : c’est un délit pour un élu d’avoir « pris, reçu ou conservé un intérêt quelconque », pour soi même ou comme mandataire, dans une affaire dont il avait « l’administration ou la surveillance ».

 

Quelle infraction ?

En effet, aux termes du premier alinéa de l’article 432‑12 du Code pénal, constitue une prise illégale d’intérêts punissable :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir, ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement »

… à quelques rares exceptions près (qui concernent les communes de moins de 3 500 habitants … mais pour des cas qui peuvent difficilement concerner les associations). Une infraction à ne pas sous-estimer car, d’une part, elle peut toucher des personnes de bonne foi et, d’autre part, elle entraine des sanctions pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende !

 

Oui mais la plupart du temps les élus communaux aident des associations qu’ils président, certes, mais sans y être rémunéré. Ce n’est tout de même pas dangereux, alors, puisque les élus sont honnêtes ?

SI MÊME POUR LES ÉLUS HONNETES QUI NE RECOIVENT PAS LE MOINDRE SOU C’EST DANGEREUX. Le juge sanctionne toute prise d’intérêt qui peut « être de nature matérielle ou morale, direct ou indirect ».

Des élus ont été condamnés pour avoir aidé ou contrôlé des aides à des structures parapubliques où pourtant ils ne touchaient pas un euro, du seul fait qu’ils étaient « des deux côtés de la barrière ». Des élus ont été condamnés pour avoir certes embauché des proches à la mairie (pratique encore fréquente… mais devenue bien dangereuse !) ou pour avoir signé des contrats avec des sociétés tenues par des proches (même si c’étaient les mieux disantes)… pour l’instant, il n’y a pas eu encore, à notre connaissance de sanction pénale contre des élus subventionnant des associations qu’ils président ou qu’ils contrôlent mais en de pareils cas il y a eu des annulations administratives… fondées sur à peu près les mêmes critères que ceux du délit de prise illégale d’intérêts. Autrement dit, l’élu qui aide une association :

  • qui lui verse des avantages ou des remboursements de frais (ou, pire, dont des salariés sont membres de sa famille!) vit très, très dangereusement ;
  • qu’il préside ou qu’il contrôle, même au nom de la collectivité, alors qu’il ne reçoit rien de cette association et que celle-ci n’embauche personne de ses proches… alors cet élu a théoriquement commis cette même infraction mais le juge pénal n’a pas encore franchi ce cap à notre connaissance…

 

Il est donc interdit d’avoir un rôle notable dans une association que, par ailleurs, en tant qu’élu ou que cadre territorial, on aide ou que l’on contrôle… mais comment le juge apprécie-t-il le cas des élus qui ont un pouvoir ?

L’administration ou la surveillance d’une affaire peut tout d’abord être appréciée en fonction des pouvoirs juridiques dont dispose chacun : délégations de fonction, délégations de signature, suppléance… ou plus simplement pouvoirs propres (cas des maires….).

Mais le juge pénal prend aussi en compte les pouvoirs de fait, tels que ceux de certains élus « écoutés » en commissions, par exemple.

 

Que faire alors ?

Une règle de base : un élu ne devra en aucun cas avoir l’administration ou la surveillance d’une association dirigée, contre rémunération ou remboursement de frais, par son conjoint, ses ascendants, ses descendants… ni évidemment par lui-même.

 

Prenons le cas d’un adjoint au maire…

Si un adjoint aux sports préside le club de foot, le plus simple est que son maire le charge de tous les sports… sauf le foot. Et que cet élu sorte de la salle du conseil municipal dès que l’on parle des aides à son club.

Si l’élu siège au nom de la commune dans l’association, ou s’il la préside en tant que représentant de la commune, le risque est moins fort (à la condition que l’association reste autonome et ne soit pas prestataire de services : sinon d’autres risques sont à redouter). Mais, même en ce cas, il est souhaitable qu’alors ce soit un autre adjoint qui soit en charge de surveiller l’usage fait par l’association des aides communales… ce peut sembler strict, mais la sécurité juridique est, aujourd’hui, à ce prix.

 

Et pour le maire ?

Comme il vient de l’être signalé, l’adjoint au maire peut s’arranger pour n’avoir en aucun cas la surveillance de l’affaire en ayant certes des fonctions éminentes dans l’associations, mais en ne contrôlant en rien cette association du côté de la commune… en demandant au maire à être « déchargé de fonctions » (modification de sa délégation de fonctions) sur tout ce qui concerne cette association et en refusant de siéger où que ce soit « côté public » dès que la collectivité traite de cette association (commissions, conseil municipal…)… mais pour le maire ? Celui-ci ne peut pas dire qu’il ne contrôle pas l’association aidée par la commune puisqu’en tant que maire il contrôle tout…

En ce cas, le maire n’a qu’une seule :

  • soit ne plus exercer de fonctions au sein de l’association ;
  • soit ne plus aider l’association (sauf choses simples — hors subventions — telles que des prêts de salles en se faisant alors remplacer par un autre élu par délibération du conseil municipal pour signer une autorisation d’occupation domaniale).

 

C’est avec peine que l’auteur de ses lignes imagine l’indignation mêlée de stupéfaction chez nombre d’honnêtes lecteurs qui sont des « deux côtés de la barrière » côté association et côté collectivités, parce que pour deux ce sont les deux faces, indissociables d’un même engagement pour le Bien Public… la Loi est dure, mais c’est la Loi.

 

Exemple : l’annulation des aides aux associations présidées par le maire

Il y a bientôt 20 ans, le maire de la commune d’Oullins décidait de signer un bail avec l’association “Léo Lagrange Jeunesse et Tourisme”, qu’il présidait par ailleurs. Le juge a reconnu que cette association n’avait pas de but lucratif. Mais il a également estimé que les objectifs de cette association restaient distincts de ceux de la commune. Dès lors, il a annulé les actes administratifs ayant conduit à la signature de ce bail…

CE 16/12/94, Oullins (R.F.D.A., janvier‑février 1995, p. 212‑213, n. 15).

 

 

N.B. Associations para-municipales : les deux effets Kiss cool ®

En cas d’association para-municipale (cas classique, encore, de nombreux offices municipaux des sports par exemple), il y a donc deux effets kiss cool :

  • le premier, sujet du présent article : les aides à l’association risquent fort d’être annulées… voire pourraient donner lieu à poursuites pénales (aussi choquant que cela puisse paraître) ;
  • le second, c’est la gestion de fait. Le raisonnement des magistrats (ceux de la Chambre régionale des comptes statuant en tant que juridiction) est le suivant : l’argent public doit transiter par le comptable public ; au sein de l’association il en va de même si en réalité l’association est relativement fictive puisqu’elle est en fait contrôlée de l’intérieur par la commune… ce qui constitue une gestion de fait… ce qui n’est qu’un problème comptable, certes, mais que les habitants de la commune percevront (parce qu’il y a jugement de l’élu et/ou du cadre territorial etc.) comme étant une affaire pénale.