Le TA de Paris a répondu, d’une ordonnance alerte, avec piquant, à un recours en référé des ligues de vertu qui voulaient que le film « Sausage party » soit censuré aux moins de 16 ans (au lieu de 12 actuellement). Face à une requête pédalant dans la choucroute, le film Sausage Party a sauvé son classement et la magistrature a prouvé son sens de l’humour.
Quels sont les faits ? Les voici retracés, de manière sage, par le magistrat :
« le film d’animation « Sausage Party » […] décrit la prise de conscience par des produits vendus dans un supermarché de l’inanité de leur soumission aux humains ; que ce divertissement parodique met en scène le parcours initiatique d’aliments humanisés, depuis la découverte de la réalité de leur condition jusqu’à la conquête de leur liberté, notamment en matière de sexualité et de croyance religieuse ; »
Premier grief : ce film diffuserait un message à caractère violent et viserait à corrompre les mineurs, en raison de la présence de scènes de viol et de l’incitation à des relations sexuelles prohibées par le code pénal. Rien de moins.
Le TA répond avec une distance amusée :
« d’une part, si une séquence, furtive, mime des relations sexuelles entre une boîte de gruau et une boîte de crackers, elle ne paraît pas, en l’état de l’instruction, figurer un viol à caractère raciste ; que l’aspiration par une poire à lavement du contenu d’une brique de jus de fruit ne peut être interprétée comme évoquant une agression à caractère sexuel que par des spectateurs en capacité de se distancier par rapport à ce qui leur est donné à voir ; qu’au surplus, ce comportement, qui est le fait du personnage auquel le rôle de « méchant » est assigné, figure le pôle négatif des relations amoureuses et sexuelles auxquelles aspirent les deux protagonistes positifs du film ;
« […] d’autre part, si, au cours de la dernière séquence du film, durant trois minutes, des aliments et autres produits de consommation, dont aucun ne figure au demeurant un mineur, simulent explicitement diverses pratiques sexuelles, cette scène se déroule dans un univers imaginaire, d’ailleurs expressément présenté comme une « illusion », et ne peut être interprétée comme incitant le spectateur mineur à en reproduire le contenu »
Bon que l’imaginaire et le désir fassent bon ménage, à deux ou à plus, rien de neuf. Que le spectateur n’aie pas envie de passer de l’illusion à l’acte reste à prouver cela dit.
Autre grief : ce film méconnaît les intérêts supérieurs de l’enfant et la protection de la jeunesse, en ce qu’il comporterait des scènes à caractère sexuel, montrerait des actes violents, présenterait sous un jour favorable la consommation de drogues et recourrait à un vocabulaire cru et obscène. La réponse est savoureuse :
« la dernière séquence du film, évoquée au paragraphe 12, comme la scène montrant la poire à lavement et une saucisse attachées au pantalon d’un employé du supermarché, qui ne présentent aucun caractère de réalisme et sont dépourvues de toute connotation violente ou dégradante, s’insèrent de façon cohérente dans le propos de l’œuvre qui est de dépeindre, sur un ton humoristique et délibérément outrancier, la rébellion des produits de consommation contre la domination humaine et ses interdits ; que, par ailleurs, les images stylisées de produits en lien avec l’intimité corporelle, tels des tampons hygiéniques ou des préservatifs, ou les regards et mouvements de tendresse d’un tacos envers un pain à hot-dog ne présentent pas le caractère de scènes de sexe ;
« […] si une scène suggère une consommation de cannabis et si une autre montre un employé du supermarché, qui caricature l’anti-héros, consommant de la cocaïne, l’usage des stupéfiants, qui apparaît comme avilissant et abrutissant, n’est pas présenté sous un jour favorable dans ces deux séquences ; que par ailleurs, les scènes figurant la préparation, la cuisson ou l’absorption d’aliments humanisés, dont la brutalité résulte essentiellement de l’effet de surprise, ne présentent pas un caractère de violence susceptible de heurter la sensibilité de mineurs de plus de douze ans ;
« […] si les dialogues emploient des termes crus, qui jouent souvent sur les polysémies, les locutions grossières ou obscènes, dont une partie n’a d’ailleurs été traduite ni dans le sous-titrage ni dans le doublage français, sont, quelque regrettable que soit cette circonstance, répandues dans l’univers quotidien des jeunes adolescents et ne paraissent, de fait, pas de nature à choquer des mineurs de plus de douze ans ; »
La dernière note relèvera d’un réalisme dont on ne sait s’il faut s’en réjouir ou le déplorer…
Troisième grief : l’interdiction de la représentation aux mineurs de moins de douze ans aurait dû être complétée, s’agissant d’un film qui emprunte son langage visuel aux films d’animation destinés à un public enfantin, par un avertissement informant les intéressés de la présence de scènes à caractère sexuel et de l’usage d’un vocabulaire cru. La réponse est nette et fait regarder l’épluchage d’une pomme de terre sous un autre angle qu’à l’accoutumée :
« le public est averti, du seul fait de l’interdiction aux moins de douze ans, exceptionnelle s’agissant d’un film d’animation, que celui-ci comporte des éléments susceptibles de choquer les plus jeunes ; que par ailleurs, le titre et l’affiche du film, qui font la part belle aux symboles phalliques, mettent en relief son caractère « subversif », qui y est d’ailleurs expressément mentionné, et l’omniprésence des connotations sexuelles ; que la bande annonce diffusée avant la sortie du film le présentait également comme « subversivement trash » et donnait à voir l’une des scènes les plus violentes du film (l’épluchage de la pomme de terre) ; qu’ainsi les conditions présentes de diffusion du film « Sausage Party » semblent permettre à ceux dont les choix éducatifs d’ordre privé sont susceptibles d’être heurtés par le visionnage du film de s’en prémunir »
Conclusion : circulez, y’a rien à voir. Sauf un film où les aliments semblent déguster. Et sauf une ordonnance de TA, que voici en version intégrale non sous-titrée, director’s cut :
sausage-party-ta-paris-20161214
Mise à jour : cette ordonnance a été annulée, mais sur le fond le Conseil d’Etat a rejeté les requêtes voir :
CE, 10e – 9e ch. réunies, 8 mars 2017, n° 406387, Lebon T.
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