Le château de Chambord sert à bien des captations d’image depuis fort longtemps. En 2010 par exemple, la bière 1664 de Kronenbourg utilisait l’image de ce château…
Droits photographiques : Sté Kronenbourg
Dès 2011, l’établissement public du domaine national de Chambord s’estimait donc fondé à émettre un titre de recettes contre cette société qui utilisait ainsi sans autorisation et sans valorisation financière ce domaine public.
Commençait une saga juridictionnelle soulevant des difficultés particulières.
Voici comment le CE lui-même résume les questions à lui posées :
L’image d’un immeuble appartenant au domaine public d’une personne publique est-elle au nombre des biens et droits mentionnés à l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques ?
A supposer que tel soit le cas, une telle image appartient-elle au domaine public de la personne publique propriétaire de l’immeuble ?
En cas de réponse positive à ces deux premières questions, faut-il considérer que l’utilisation à des fins commerciales de cette image constitue une utilisation du domaine public donnant lieu au paiement d’une redevance sur le fondement de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques ?
En cas de réponse négative à la première ou à la deuxième question, le juge peut-il décider, en l’absence de disposition législative en ce sens, de soumettre l’utilisation à des fins commerciales de l’image d’un immeuble du domaine public à une autorisation administrative préalable et, le cas échéant, au paiement d’une redevance et prévoir qu’à défaut d’autorisation régulièrement obtenue par la personne utilisant l’image, la personne publique propriétaire ou gestionnaire de l’immeuble peut réclamer à cette dernière une indemnité compensant la redevance qu’elle aurait pu percevoir ?
En l’absence d’un régime d’autorisation administrative, la personne publique propriétaire ou gestionnaire d’un immeuble appartenant au domaine public est-elle en droit de contester l’utilisation, notamment à des fins commerciales, de l’image de ce bien, dans quelles conditions et devant quel juge ?
Ajoutons un point central : ces événements sont antérieurs à :
- la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine et l’entrée en vigueur de l’article L. 621-42 du code du patrimoine (sur la « Gestion et exploitation de la marque et du droit à l’image des domaines nationaux »),
- au décret du 2 mai 2017 fixant la liste et le périmètre de domaines nationaux (dont le domaine de Chambord, bien naturellement).
Le sujet n’est pas totalement neuf.
Les articles L. 2125-1 et suivant du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) règlent une partie de ces questions avec un principe fort et simple (évidemment assorti d’exceptions ou de cas particuliers) :
« Article L. 2125-1 du CG3P
« Toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 donne lieu au paiement d’une redevance sauf lorsque l’occupation ou l’utilisation concerne l’installation par l’Etat des équipements visant à améliorer la sécurité routière [..].« Par dérogation aux dispositions de l’alinéa précédent, l’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement […]»
Et surtout
« Article L. 2125-3 du CG3P« La redevance due pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation.»
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2017-687 QPC du 2 février 2018 (Droit à l’image des domaines nationaux), Association Wikimédia France et a., reconnaissait la constitutionnalité de l’article L. 621-42 du code du patrimoine, susmentionné, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016. Le conseil constitutionnel y mettait en balance la protection dudit patrimoine avec la liberté du commerce et de l’industrie dans des conditions qui évoquent le lointain arrêt Daudignac (CE, Assemblée, 22 juin 1951, Daudignac, n° 00590, rec. p. 362).
Autre point : s’il s’agit de statuer sur la responsabilité qu’une personne privée peut avoir encourue à l’égard d’une collectivité publique, alors c’est au juge judiciaire d’en connaître (Tribunal des conflits, 12 avril 1976, Société des Etablissements Mehut, n° 02014, p. 698), sauf texte législatif spécial. Il en résulte que si le débat venait à être porté sur le préjudice subi, du fait de cette publicité, par le domaine de Chambord, alors le juge administratif n’était pas compétent pour en connaître.
Il n’en demeure pas moins que la démarche de l’EP gérant le domaine national de Chambord semblait fondée en droit. Ainsi dans un arrêt Commune de Tours, le CE (29 octobre 2012, n° 341173, rec. p. 368) posait-il que :
« 1) L’autorité chargée de la gestion du domaine public peut autoriser une personne privée à utiliser une dépendance de son domaine public mobilier en vue d’exercer une activité économique, à la condition que cette utilisation soit compatible avec son affectation et sa conservation. La décision de refuser une telle autorisation, que l’administration n’est jamais tenue d’accorder, n’est pas susceptible, par elle-même, de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, dont le respect implique, d’une part, que les personnes publiques n’apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi et, d’autre part, qu’elles ne puissent prendre elles-mêmes en charge une activité économique sans justifier d’un intérêt public.
« 2) a) La prise de vues d’oeuvres relevant des collections d’un musée, à des fins de commercialisation des reproductions photographiques ainsi obtenues, doit être regardée comme une utilisation privative du domaine public mobilier impliquant la nécessité, pour celui qui entend y procéder, d’obtenir une autorisation ainsi que le prévoit l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P).
« b) Une telle autorisation peut être délivrée dès lors qu’en vertu de l’article L. 2121-1 de ce code, cette activité demeure compatible avec l’affectation des oeuvres au service public culturel et avec leur conservation.
« c) Il est toutefois loisible à la collectivité publique affectataire d’oeuvres relevant de la catégorie des biens mentionnés au 8° de l’article L. 2112-1 du CG3P, dans le respect du principe d’égalité, de ne pas autoriser un usage privatif de ce domaine public mobilier sans que puisse utilement être opposé à ce refus aucun droit, fondé sur le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, à exercer une activité économique sur ce domaine public »
[résumé du rec. Lebon]
N.B. : voir aussi (sources citées par le CE lui-même) : CE, 31 mars 2014, Commune d’Avignon, n° 362140, rec. T. p. 652 ; Cass., 1èreciv., 10 mars 1999, Société Editions Dubray, n° 96-18.699, Bull. 1999 I n° 87 ; Conseil d’Etat, Le patrimoine immatériel des personnes publiques, Documentation française, collection Droits et Débats, 2013 ; Norbert Foulquier, « Hors CGPPP, le pouvoir quasi domanial sur l’image des biens du domaine public », AJDA 2016 p. 435 ; Thierry Revet « Image des biens », RTDCiv., 2004 p. 528 ; Pierre Kayser, « L’image des biens », Dalloz 1995 p. 291 ; Philippe Yolka, « Les meubles de l’administration », AJDA 2007 p. 964 ; Etienne Fatôme, « A propos des bases constitutionnelles du droit du domaine public », AJDA 2003 p. 1192 et p. 1404 ; Rozen Noguellou, « Le droit des propriétés publiques, aspects constitutionnels récents », AJDA 2013, p. 986.
I. Le Conseil d’Etat commence par une lecture restrictive de l’article L.1 du CG3P et par une quasi socialisation (non appropriation par la personne publique) du droit à l’image des personnes publiques sur leurs bâtiments. En résumé : la collectivité publique n’a pas un droit exclusif sur l’image de ses biens immobiliers ». Sur ce point, le Conseil d’Etat rejoint la position de la Cour de cassation.
L’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que :
« Le présent code s’applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l’Etat, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu’aux établissements publics ».
Le CE en déduit que :
« Les personnes publiques ne disposant pas d’un droit exclusif sur l’image des biens leur appartenant, celle-ci n’est pas au nombre des biens et droits mentionnés à l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques, ainsi que l’a jugé la cour administrative d’appel sans erreur de droit. Il en résulte que l’image d’un bien du domaine public ne saurait constituer une dépendance de ce domaine ni par elle-même, ni en qualité d’accessoire indissociable de ce bien au sens des dispositions de l’article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques.»
Le droit à l’image est-il un droit ? OUI, certes.
Ce droit est-il « à caractère mobilier ou immobilier » au sens ce code ? Ce point se discute mais on peut comprendre la position du CE.
Là où le CE est un brin plus audacieux, c’est quand il estime que ce droit à l’image n’est pas un accessoire indissociable du droit immobilier au sens de l’article L. 2111-2 du CG3P. Certes la notion d’accessoire indissociable est-elle liée à d’autres notions. Mais difficile de prétendre que le droit à l’image d’un bâtiment n’est pas l’accessoire, lato sensu, des droits détenus sur l’immeuble. Et la propriété intellectuelle sur un immeuble n’est pas détachable des droits immobiliers.
Mais cette position est conforme à celle de la Cour de cassation selon laquelle :
« Le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal. » (résumé du Bull sur Cass., Ass. Plén., 7 mai 2004, SCP Hôtel de Girancourt c/ SCIR Normandie et a., n° 02-10.450, Bull. Ass. plén. 2004 n° 10).
Mais ce droit, non exclusif, est-il totalement déconnecté des droits immobiliers ? Cela pouvait se discuter selon nous. Mais bon, le CE a tranché.
II. L’utilisation à des fins commerciales de l’image d’un tel bien ne saurait être assimilée à une utilisation privative du domaine public
Le CE déduit ensuite des dispositions du CG3P que :
« d’une part, que l’occupation ou l’utilisation du domaine public n’est soumise à la délivrance d’une autorisation que lorsqu’elle constitue un usage privatif de ce domaine public, excédant le droit d’usage appartenant à tous, d’autre part, que lorsqu’une telle autorisation est donnée par la personne publique gestionnaire du domaine public concerné, la redevance d’occupation ou d’utilisation du domaine public constitue la contrepartie du droit d’occupation ou d’utilisation privative ainsi accordé. Dès lors, si la personne publique est fondée à demander à celui qui occupe ou utilise irrégulièrement le domaine public le versement d’une indemnité calculée par référence à la redevance qu’il aurait versée s’il avait été titulaire d’un titre régulier à cet effet, l’occupation ou l’utilisation du domaine public dans les limites ne dépassant pas le droit d’usage appartenant à tous, laquelle n’est soumise à la délivrance d’aucune autorisation, ne peut, par suite, être assujettie au paiement d’une redevance.
« Si l’opération consistant en la prise de vues d’un bien appartenant au domaine public est susceptible d’impliquer, pour les besoins de la réalisation matérielle de cette opération, une occupation ou une utilisation du bien qui excède le droit d’usage appartenant à tous, une telle opération ne caractérise toutefois pas, en elle-même, un usage privatif du domaine public.
« En outre, l’utilisation à des fins commerciales de l’image d’un tel bien ne saurait être assimilée à une utilisation privative du domaine public, au sens des dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques.»
Donc si l’on veut schématiser à outrance :
- on demande une redevance pour une occupation privative du domaine, mais pas juste pour prendre comme tout à chacun quelques photos
- et par ailleurs n’es pas une telle occupation privative donnant lieu à redevance le fait d’utiliser commercialement l’usage d’un tel bien domanial (on retrouve, là encore, la même solution que dans Cass., Ass. Plén., 7 mai 2004, SCP Hôtel de Girancourt c/ SCIR Normandie et a., précité).
III. Le cas particulier des domaines nationaux depuis 2017 est précisé à cette occasion par le CE même si ce n’était pas nécessaire pour la résolution du litige en l’espèce.
Le CE précise ensuite que les domaines nationaux ont désormais un régime particulier de demande indemnitaire pour faute en cas d’usage non autorisé (et non rémunéré) de leur droit à l’image, et ce avec le droit :
- soit de saisir le juge administratif
- soit d’émettre un titre exécutoire.
Mais cette solution est limitée à la réunion de deux conditions :
- être un domaine national domaines nationaux, d’une part,
- et s’appliquer à un litige postérieur à l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2017, d’autre part.
IV. Et que faire sinon ?
En dehors de ce cas particulier des domaines nationaux depuis 2017, s’applique aussi un droit pour la personne publique à demander réparation d’un éventuel préjudice au titre de l’usage fait de son image. Mais il faut alors saisir le juge judiciaire comme le dit à mi-mots le CE :
« Dès lors, cependant, qu’il n’appartient pas à la juridiction administrative, en l’absence de disposition législative contraire, de statuer sur la responsabilité qu’une personne privée peut avoir encourue à l’égard d’une personne publique, une telle action indemnitaire relève de la compétence de la juridiction judiciaire. […]»
Voici cet arrêt important, rendu par l’Assemblée du CE et qui sera publié au rec. :
Conseil d’État
N° 397047
ECLI:FR:CEASS:2018:397047.20180413
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Laurent Domingo, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE, avocatsLecture du vendredi 13 avril 2018
REPUBLIQUE FRANCAISEAU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Les Brasseries Kronenbourg a demandé au tribunal administratif d’Orléans d’annuler les titres exécutoires n° 0000250 d’un montant de 143 520 euros et n° 0000251 d’un montant de 107 640 euros émis à son encontre par l’établissement public du domaine national de Chambord. Par un jugement n°s 1102187, 1102188 du 6 mars 2012, le tribunal a fait droit à ses demandes.
Par un arrêt n° 12NT01190 du 16 décembre 2015, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé par l’établissement public du domaine national de Chambord contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 16 février, 16 mai et 12 octobre 2016 et le 19 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’établissement public du domaine national de Chambord demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d’appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Les Brasseries Kronenbourg la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code de justice administrative ;Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l’établissement public du domaine national de Chambord et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la société Les Brasseries Kronenbourg ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Les Brasseries Kronenbourg a fait réaliser, au début de l’année 2010, des photographies du château de Chambord, qui appartient au domaine public immobilier de l’Etat, en vue de l’utilisation de l’image de ce château dans le cadre d’une campagne de publicité pour la bière ” 1664 “. Par courrier du 19 avril 2010, le directeur général de l’établissement public du domaine national de Chambord a indiqué à la société que l’utilisation de l’image du château de Chambord à des fins de publicité commerciale constituait une utilisation privative du domaine public justifiant le versement d’une contrepartie financière. Par courrier du 12 avril 2011, il a en conséquence transmis à la société deux états de sommes qu’il estimait dues par elle à ce titre. Deux titres de recettes exécutoires ont été émis le 21 avril 2011 à l’encontre de la société pour assurer le recouvrement de ces sommes. Par un jugement du 6 mars 2012, le tribunal administratif d’Orléans a fait droit à la demande de la société tendant à l’annulation de ces deux titres de recettes. Par un arrêt du 16 décembre 2015, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête de l’établissement public du domaine national de Chambord tendant, à titre principal, à l’annulation du jugement du tribunal administratif et au rejet des demandes de la société et, à titre subsidiaire, à ce que celle-ci soit condamnée à lui verser une indemnité équivalente à la redevance domaniale réclamée par les deux titres de recettes exécutoires, afin de réparer le préjudice dont il se prévalait. L’établissement public du domaine national de Chambord se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a statué sur les conclusions principales du domaine national de Chambord :
2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques : ” Le présent code s’applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l’Etat, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu’aux établissements publics “. Les personnes publiques ne disposant pas d’un droit exclusif sur l’image des biens leur appartenant, celle-ci n’est pas au nombre des biens et droits mentionnés à l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques, ainsi que l’a jugé la cour administrative d’appel sans erreur de droit. Il en résulte que l’image d’un bien du domaine public ne saurait constituer une dépendance de ce domaine ni par elle-même, ni en qualité d’accessoire indissociable de ce bien au sens des dispositions de l’article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques.
3. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : ” Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous “. Aux termes de l’article L. 2125-1 du même code : ” Toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 donne lieu au paiement d’une redevance (…) “. L’article L. 2125-3 du même code dispose que : ” La redevance due pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation “.
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, d’une part, que l’occupation ou l’utilisation du domaine public n’est soumise à la délivrance d’une autorisation que lorsqu’elle constitue un usage privatif de ce domaine public, excédant le droit d’usage appartenant à tous, d’autre part, que lorsqu’une telle autorisation est donnée par la personne publique gestionnaire du domaine public concerné, la redevance d’occupation ou d’utilisation du domaine public constitue la contrepartie du droit d’occupation ou d’utilisation privative ainsi accordé. Dès lors, si la personne publique est fondée à demander à celui qui occupe ou utilise irrégulièrement le domaine public le versement d’une indemnité calculée par référence à la redevance qu’il aurait versée s’il avait été titulaire d’un titre régulier à cet effet, l’occupation ou l’utilisation du domaine public dans les limites ne dépassant pas le droit d’usage appartenant à tous, laquelle n’est soumise à la délivrance d’aucune autorisation, ne peut, par suite, être assujettie au paiement d’une redevance.
5. Si l’opération consistant en la prise de vues d’un bien appartenant au domaine public est susceptible d’impliquer, pour les besoins de la réalisation matérielle de cette opération, une occupation ou une utilisation du bien qui excède le droit d’usage appartenant à tous, une telle opération ne caractérise toutefois pas, en elle-même, un usage privatif du domaine public.
6. En outre, l’utilisation à des fins commerciales de l’image d’un tel bien ne saurait être assimilée à une utilisation privative du domaine public, au sens des dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques.
7. La cour a estimé, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, qu’il ne résultait pas de l’instruction et n’était d’ailleurs pas soutenu que la réalisation des prises de vues du château de Chambord aurait affecté le droit d’usage du château appartenant à tous. Elle a suffisamment motivé son arrêt, compte tenu de l’argumentation qui lui était soumise par le domaine national de Chambord, et n’a pas commis d’erreur de droit, en en déduisant que la société les Brasseries Kronenbourg n’avait pas, en réalisant ces prises de vues, fait un usage privatif du domaine public. Elle n’a pas non plus commis d’erreur de droit en jugeant que l’exploitation commerciale de ces mêmes prises de vues ne constituait pas, en elle-même, une utilisation privative du domaine public immobilier du château de Chambord.
8. Il résulte de ce qui précède que le domaine national de Chambord n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque en tant qu’il a statué sur ses conclusions principales.
Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a statué sur les conclusions subsidiaires du domaine national de Chambord :
9. Devant la cour, l’établissement public du domaine national de Chambord demandait, à titre subsidiaire, que la société Les Brasseries Kronenbourg soit condamnée à lui verser une indemnité destinée à réparer le préjudice dont il se prévalait, qu’il évaluait au montant de la redevance domaniale réclamée par les deux titres exécutoires mentionnés au point 1. La cour a rejeté cette demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
10. L’autorité administrative ne saurait, en l’absence de disposition législative le prévoyant, soumettre à un régime d’autorisation préalable l’utilisation à des fins commerciales de prises de vues d’un immeuble appartenant au domaine public, un tel régime étant constitutif d’une restriction à la liberté d’entreprendre et à l’exercice du droit de propriété.
11. Le législateur, dans le but de protéger l’image des domaines nationaux et de permettre leur valorisation économique, a prévu, à l’article L. 621-42 du code du patrimoine, la possibilité pour les gestionnaires des domaines nationaux de soumettre à autorisation préalable l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent ces domaines, lesquels peuvent relever d’un régime de domanialité publique, et précisé que cette autorisation peut prendre la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat, assorti ou non de conditions financières, la redevance éventuellement mise à la charge du titulaire de l’autorisation tenant compte des avantages de toute nature que celle-ci lui procure. Il découle de ces dispositions que l’utilisation à des fins commerciales des prises de vues d’un immeuble entrant dans leur champ, sans qu’ait été au préalable obtenue l’autorisation qu’elles prévoient, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’utilisateur à l’égard du propriétaire ou du gestionnaire de l’immeuble, le préjudice subi par celui-ci consistant notamment en l’absence de perception de la redevance dont l’autorisation aurait pu être assortie. La victime du dommage peut, dans ce cas, en demander la réparation devant la juridiction administrative, alors même qu’elle aurait le pouvoir d’émettre un état exécutoire en vue d’obtenir le paiement de la somme qu’elle réclame.
12. Cette disposition n’a toutefois été instituée que par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, le domaine de Chambord n’ayant lui-même été défini comme domaine national que par le décret du 2 mai 2017 fixant la liste et le périmètre de domaines nationaux. Antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article L. 621-42 du code du patrimoine, le gestionnaire du domaine national de Chambord ne tenait d’aucun texte ni d’aucun principe le droit de soumettre à autorisation préalable l’utilisation à des fins commerciales de l’image du château. Dans ces conditions, une telle utilisation sans autorisation préalable ne constituait pas une faute. Le seul préjudice dont le domaine national de Chambord pouvait, le cas échéant, demander réparation était celui résultant d’une utilisation de cette image qui lui aurait causé un trouble anormal, dans les conditions définies par la jurisprudence de la Cour de cassation.
13. Dès lors, cependant, qu’il n’appartient pas à la juridiction administrative, en l’absence de disposition législative contraire, de statuer sur la responsabilité qu’une personne privée peut avoir encourue à l’égard d’une personne publique, une telle action indemnitaire relève de la compétence de la juridiction judiciaire. Ce motif de pur droit doit être substitué à celui retenu par l’arrêt attaqué, dont il justifie légalement le dispositif en ce qui concerne les conclusions subsidiaires de l’établissement public du domaine national de Chambord.
14. Il résulte de tout ce qui précède que l’établissement public du domaine national de Chambord n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Les Brasseries Kronenbourg qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’établissement public du domaine national de Chambord le versement au même titre à la société Les Brasseries Kronenbourg de la somme de 3 000 euros.
D E C I D E :
————–Article 1er : Le pourvoi de l’établissement public du domaine national de Chambord est rejeté.
Article 2 : L’établissement public du domaine national de Chambord versera à la société Les Brasseries Kronenbourg la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’établissement public du domaine national de Chambord et à la société Les Brasseries Kronenbourg.
Copie en sera adressée au ministre de l’action et des comptes publics et à la ministre de la culture.
Iconographie : edmondlafoto / 110 photos
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