Quelle est la frontière entre référendum local, droit de pétition et « décision d’association du public » ? Une commune peut-elle mélanger ces trois cadres juridiques à sa guise ?

Le maire de Grenoble avait voulu, en termes de démocratie participative, faire oeuvre créatrice en instituant une procédure d’interpellation et de votation citoyenne.

Cette démarche s’inscrivait dans un cadre bien plus large, innovant et audacieux, de démocratie participative (voir ici).

 

Aux termes d’un éditorial signé par ce maire, il s’agissait de confier aux grenoblois des :

« Des outils [leur donnant] la possibilité […] d’être à l’initiative de projets, d’intervenir au conseil municipal pour interpeller les élus sur une opinion ou des idées, et de décider directement, par la votation citoyenne, les choix budgétaires pour les réorienter au plus près de leurs besoins ».

 

Mais dans son enthousiasme, le maire a ratissé large en termes de public concerné :

  • ouverture aux habitants de la commune de Grenoble, âgés de plus de 16 ans ;
  • ouverture à tous les habitants (i.e. sans condition de nationalité semble-t-il ? mais le jugement n’est pas très clair sur ce point).

 

Ces conditions rendaient difficile le fait d’y voir un des régimes existants en ce domaine :

  • un référendum local (art. 72-1, 2e alinéa, de la Constitution ; art. LO 1112-1 et suiv. du CGCT). Ce régime en effet se trouve limité dans le temps, restreint aux électeurs (majeurs donc) de la commune (et non à tous ses habitants de plus de 16 ans)…
  • une consultation (non référendaire) des électeurs (art. L.  1112-15 et suivants du CGCT)… consultation limitée, elle aussi, aux électeurs.
  • ou le recours à un droit de pétition. Ce régime (art. 72-1, 1er alinéa, de la Constitution) s’avère lui aussi limité aux électeurs de la commune…

 

Restait pour le maire à prétendre :

  • soit que le maire est toujours libre d’inventer d’autres modalités de consultation de la population (mais le fait que ces régimes existent ne va pas en ce sens, hélas d’ailleurs selon nous) ; de plus, les moyens en défense de la mairie sur le fait qu’il fallait y voir un simple outil de dialogue, de consultation informelle de la population, buttaient sur les termes utilisés pour appeler ce régime (« procédure d’interpellation et de votation citoyenne » dans certains documents, de « votation citoyenne » dans d’autres). De plus, la commune et son maire s’engageaient à un quasi mandat impératif dans certains cas, ce qui est inconstitutionnel :

«que selon les schémas explicatifs figurant sur le site internet de la commune, l’interpellation citoyenne ouvre la faculté aux habitants de la commune de Grenoble, âgés de plus de 16 ans, de signer un projet de pétition relevant de la compétence du conseil municipal qui, s’il recueille 2 000 signatures, entraine son inscription à l’ordre du jour du conseil municipal ; qu’au cas où le conseil municipal n’adopte pas ce projet, il est soumis, après l’organisation d’une campagne, au vote des habitants de la commune de Grenoble âgés de plus de 16 ans ; que si la proposition recueille 20 000 voix, elle sera « mise en oeuvre » dans un délai de deux ans, le maire s’engageant à « suivre le résultat de la votation » ;»

  • soit qu’il fallait y voir une simple décision d’association du public au sens des dispositions de l’article L. 131-1 du code des relations entre le public et l’administration destinée à éclairer la commune sur l’élaboration d’un projet ou sur une décision en préparation… sauf que là encore l’argument ne tient pas (ne serait-ce que parce qu’alors les projets n’émanent pas de la mairie mais des habitants justement).

 

 

Le tribunal administratif de Grenoble a donc estimé que, compte tenu de son objet et de sa portée, la procédure d’interpellation et de votation citoyenne instituée par la commune de Grenoble, ouverte aux habitants de la commune de Grenoble, âgés de plus de 16 ans, devait être regardée comme ayant réglementé la mise en place combinée :

  • d’un droit de pétition au sens du 1er alinéa de l’article 72-1 de la Constitution (ce qui se discute peu selon nous)
  • et d’un référendum local au sens du deuxième alinéa de ce même article (ce qui se discute un peu mais allait en ce sens le fait que cette délibération imposait « la mise en oeuvre des décisions ayant recueilli 20 000 votes »).

Le TA a d’ailleurs estimé :

«  qu’à supposer même que le dispositif créé ne revête pas une portée décisionnelle, le recours à cette procédure comporte, en lui-même, des effets juridiques et constitue une décision qui nécessitait le vote du conseil municipal » 

… ce qui revient, pour le juge, selon nous, à confondre l’examen de la recevabilité du déféré préfectoral (possible même contre des avis ou des mesures préparatoires en effet) et la portée in concreto de ce régime de consultation de la population.  Mais peut-être le juge a ce stade a-t-il voulu n’examiner justement QUE la recevabilité de la requête.

 

Le tribunal a estimé également que cette procédure ne constitue pas une simple décision d’association du public au sens des dispositions de l’article L. 131-1 du code des relations entre le public et l’administration destinée à éclairer la commune sur l’élaboration d’un projet ou sur une décision en préparation… et de fait nous sommes plus au moins pour partie au stade de l’initiative que de l’avis de la population sur un projet précis.

 

Le tribunal a en conséquence jugé, d’une part, que l’extension du droit de pétition et du référendum local à diverses catégories de personnes n’ayant pas la qualité d’électeur de la collectivité territoriale viole les dispositions de l’article 72-1 de la Constitution, et, d’autre part, que la mise en place d’une telle procédure ne respecte pas le cadre constitutionnel et législatif défini aux articles 72-1 de la Constitution et aux articles LO 1112-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, et excède les pouvoirs de la commune en empiétant sur les compétences réservées au législateur.

 

Que retenir de cette affaire ? 

  • que si l’on veut instaurer une consultation de la population ou un droit d’initiative citoyen, mieux vaut :
    • soit bien sûr le faire en empruntant les voies légales en ce domaine (référendum ; consultation des électeurs ; droit de pétition) MAIS en respectant ces régimes et sans les mélanger entre eux
    • soit en mettant en place des régimes informels de consultation de la population ou d’initiative de la population, mais en ce cas clairement sans mandat impératif, sans la moindre confusion avec les régimes en ce domaine, juste au titre d’une consultation informelle des citoyens sans en passer par une vraie pétition ou par un régime ressemblant au référendum… et ce avec une grande prudence juridique…

 

TA Grenoble,  24 mai 2018, n°1701663 :

1701663

 

 

 

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