Un constructeur dont la responsabilité est engagée par un tiers victime d’un dommage dû aux désordres affectant un ouvrage public peut-il appeler en garantie le maître d’ouvrage qui a prononcé la réception définitive sans réserve de cet ouvrage ?

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000038101448

Le Conseil d’État par un arrêt du 6 février 2019, sous le n° 414064, répond par l’affirmative sous conditions :

  • qu’il n’existe pas de clause contractuelle contraire
  • que ce constructeur ne peut pas être poursuivi au titre de la garantie de parfait achèvement ni de la garantie décennale
  • que la réception n’ait pas été acquise au constructeur qu’à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part

En l’espèce les faits étaient les suivants : 

Dans le cadre d’un projet de modernisation de l’usine d’incinération d’ordures ménagères de Plouharnel, le Syndicat intercommunal de valorisation des ordures ménagères (SIVOM) d’Auray Belz Quiberon a passé par un premier contrat, un marché de travaux dont le lot n° 2 a été attribué à la société Fives Solios. 

Par un second contrat, en 2000, l’exploitation de l’usine était confiée à la société Géval. 

La réception des travaux effectués par la première entreprise a été prononcée à effet du 1erjuillet 2001. 

Des désordres étant survenus, le SIVOM et la société Géval, exploitant ont saisi le tribunal administratif de Rennes qui a condamné la société Fives Solios à les indemniser.

La société Fives Solios avait demandé que soit appelé en garantie le maître d’ouvrage dans la mesure où il n’avait pas émis de réserve au cours des opérations de réception. La cour administrative d’appel de Nantes avait rejeté cette demande, estimant que le maître d’ouvrage n’avait pas commis de faute contractuelle en réceptionnant l’ouvrage sans réserve.

La cour administrative d’appel de Nantes ayant rejeté son appel en garantie contre le syndicat, le constructeur décidait de se pourvoir en cassation.

Le Conseil d’État considère que « lorsque sa responsabilité est mise en cause par la victime d’un dommage dû aux désordres affectant un ouvrage public,le constructeur de celui-ci est fondé, sauf clause contractuelle contraire, à demander à être garanti en totalité par le maître d’ouvrage dès lors que la réception des travaux à l’origine des dommages a été prononcée sans réserve et que ce constructeur ne peut pas être poursuivi au titre de la garantie de parfait achèvement ni de la garantie décennale. Il n’en irait autrement que dans le cas où la réception n’aurait été acquise au constructeur qu’à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part».

En pratique, il n’est pas rare qu’un acheteur décide de confier la réalisation de travaux sur des ouvrages publics à des constructeurs avant de confier l’exploitation de ces ouvrages à une autre entreprise.

Il s’agit de découper une même opération en confiant d’une part la réalisation de travaux portant sur des ouvrages publics à une première entreprise et d’autre part l’exploitation de ces ouvrages à une seconde entreprise via un contrat de concession ou de délégation. Dans cette hypothèse, l’acheteur choisit de ne pas recourir à la solution de la concession de travaux qui permet de confier la totalité de l’opération à une même entreprise.

Mais l’articulation entre ces deux phases n’est pas sans risque pour l’acheteur car comme le rappelle le Conseil d’État, en tant que maître d’ouvrage, l’acheteur qui a réceptionné les travaux peut ensuite, si jamais ces travaux occasionnent des dommages à l’exploitant, être appelé en garantie par ce dernier si sa responsabilité est recherchée. 

Aussi lorsque l’acheteur décide de confier à une première entreprise des travaux portant sur des équipements dont il entend ensuite confier l’exploitation à une autre entreprise, celui-ci fera preuve de prudence en introduisant, dans les documents du marché de travaux, une clause prévoyant que lorsque la réception est prononcée sans réserve, le constructeur dont la responsabilité est mise en cause par un tiers à l’occasion des dommages occasionnés par cet ouvrage ne pourra appeler en garantie la personne publique.