Le cadre des expérimentations est, aujourd’hui, rigide (et l’est plus encore en pratique qu’en droit pur) comme nous l’avions présenté par un tutoriel vidéo il y a quelques mois :
Ce thème a été remis à l’honneur dans le cadre du grand débat national :
- Vers un projet de loi « décentralisation » : en voici les pistes de travail
- Le droit à la « différenciation » dans le contexte du grand débat national
- Droit à la différenciation – Tentative d’esquisse de la future loi organique par un groupe de travail d’une commission de l’Assemblée Nationale
… et dans les projets de réforme institutionnelle présentés le 28 août 2019 :
C’est à la veille d’un possible éclatement du moule unificateur et homogène national, jacobin, que sort donc la première vraie grande étude sur ce thème, sous la houlette du Conseil d’Etat (avec l’aide de nombreux acteurs, peu mentionnés par le CE dans sa communication… et à notre sens un peu trop « d’entre soi » [quelle surprise 😁 !] dans la liste des personnes auditionnées, à quelques exceptions près bien sûr).
Pour mener ce qui est la première étude complète sur ce sujet, le Conseil d’État a associé dans un groupe de travail des représentants des trois grandes associations de collectivités territoriales, du Conseil économique, social et environnemental (CESE), de l’université et des administrations de l’État. Il s’est appuyé sur des dizaines d’auditions de parlementaires et d’élus locaux, de représentants des organisations syndicales et professionnelles, de directeurs de grandes administrations et établissements publics de l’État, d’organismes d’inspection et de contrôle de l’État, de chercheurs et universitaires, d’entreprises et d’organisations internationales.
Un regret en passant : il nous semble que l’unicité nationale, homogénéisante et selon nous asphyxiante, se caractérise par des débuts très timides en matière d’expérimentation, certes, mais aussi par un goût national pour l’unicité de régime, par une absence de différenciation qui nous paraît être un thème totalement connexe à celui de l’expérimentation. Il est donc regrettable que les sujets aient été disjoints.
Voici la présentation officielle faite par le CE de sa propre étude :
Le Conseil d’État publie aujourd’hui son étude « Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ? », réalisée à la demande du Premier ministre.
Dressant le bilan de près de vingt ans de pratique des expérimentations par l’État, les collectivités territoriales et leurs opérateurs, le Conseil d’État souligne que nombre d’entre elles n’ont pas suivi une méthodologie propre à assurer la plus grande fiabilité de leurs résultats, et qu’il pourrait y être recouru davantage dans certains domaines. C’est pourquoi le Conseil d’État propose aujourd’hui un guide de bonnes pratiques de l’expérimentation et formule des propositions au Gouvernement pour favoriser leur développement.
L’expérimentation, une méthode au service de l’innovation des politiques publiques qui s’est beaucoup développée
L’expérimentation est une méthode qui permet de tester sur le terrain, pendant une durée limitée, une mesure, une politique, un mode d’organisation, ou une nouvelle technologie, et d’en mesurer les effets de façon objective. L’expérimentation est un outil au service des politiques publiques innovantes et efficaces, qui permet d’associer le citoyen à leur élaboration. Elle a pour finalité d’éclairer les choix des décideurs publics.
Inscrite dans la Constitution depuis 2003, l’expérimentation permet de déroger à une loi ou un règlement durant un temps limité. Elle est aujourd’hui largement pratiquée dans l’action publique.
L’étude du Conseil d’État a pu dresser un bilan complet et inédit des 269 expérimentations conduites depuis 2003, en particulier dans les politiques sociales (85 expérimentations), les politiques environnementales et du transport (63 expérimentations) ou les politiques régaliennes, qu’il s’agisse de justice, de sécurité, ou de défense (35 expérimentations). Ces expérimentations ont porté sur les sujets les plus variés : RSA, garantie jeunes, « Pass culture », introduction d’espèces protégées, service militaire volontaire, etc. Toutefois, certains domaines pourraient davantage donner lieu à de véritables expérimentations, comme la fiscalité incitative ou la sécurité publique.
Une méthodologie pour améliorer les expérimentations, des propositions pour faciliter leur conduite
Malgré le recours croissant à l’expérimentation et la progression d’une culture de l’innovation et de l’évaluation des politiques publiques dans les administrations, beaucoup d’expérimentations souffrent encore de carences méthodologiques : définition d’objectifs contradictoires, faible association des acteurs et du public concernés par l’expérimentation, construction approximative de l’échantillon, généralisation de la mesure testée avant son évaluation, etc. Ces malfaçons fragilisent les résultats de l’expérimentation, au risque d’induire en erreur les décideurs publics. Certaines actions sont aussi présentées à tort comme des expérimentations, alors que leur conduite est dépourvue de méthode expérimentale ou qu’elles consistent à de simples préfigurations, l’autorité ayant d’ores et déjà pris la décision de mettre en œuvre la mesure.
C’est pourquoi le Conseil d’État propose un cadre méthodologique adaptable à toutes les expérimentations. Il recommande notamment que :
– le plus grand soin soit apporté à la préparation et à la conception de l’expérimentation : choix de sa durée, définition de ses objectifs, de ses critères de réussite et des modalités d’une évaluation objective ;
– des moyens suffisants y soient consacrés : fonds dédiés dans les ministères, appui des chercheurs…
– le public, les fonctionnaires, les élus, les organisations professionnelles, syndicales ainsi que les associations concernés soient le plus possible associés à la conduite des expérimentations, et que la plus grande transparence soit appliquée.
Le Conseil d’État recommande également au Gouvernement d’améliorer et de modifier la loi organique de 2003, afin de faciliter la participation des collectivités territoriales aux expérimentations dérogeant aux lois et règlements relatifs à l’exercice de leurs compétences, et de donner aux élus davantage de marges de manœuvre et de responsabilités.
A noter : les défauts dans les expérimentations actuelles sont bien étudiés par cette étude, qui de ce point de vue a réussi à sortir de la langue de bois. Mais cette étude sous-estime à notre sens totalement le blocage qui est en réalité une prudence, une inquiétude qui confine au blocage outrancier, de la part de nombre de services de l’Etat au stade de l’instruction de certains dossiers pour des raisons juridiques parfois très évanescentes (notamment pour les très nombreuses expérimentations qui au lieu d’être faites par le régime légal qui est rigide, se font par des décrets ou des lois ad hoc, de plus en plus à durée limitée).
Cette étude est intéressante aussi sur les bonnes pratiques à développer.
VOICI cette étude :
ETUDE PM_experimentations_VDEF
Et en voici les recommandations :
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