Au sein de l’Assemblée Nationale (Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation), un groupe de travail vient de rendre un intéressant rapport (n° 1687) du 14 février 2019 de 95 pages organisé en trois parties (VOICI le lien vers le rapport).
Il s’agit de travailler à la possibilité d’une différentiation des normes et des compétences sur le territoire national. Pour les uns, ce peut incarner un risque de perte d’égalité entre les territoires. Pour d’autres, ce peut être la fin d’un uniformisme niant les différences entre territoires.
I. Rappel des épisodes précédents
Pour rappel, l’article 15 du projet loi constitutionnelle introduit deux formes de différenciation à l’article 72 de la constitution qui seront encadrées par une future loi organique constitutionnelle (voir en ce sens article sur le droit à la différenciation dans le contexte du grand débat national) :
1/ la différenciation des compétences : la loi pourra « prévoir que certaines collectivités exercent des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas les collectivités de la même catégorie » ;
2/ la différenciation des normes : la loi et/ou le règlement pourront prévoir que les collectivités territoriales « peuvent (…) déroger , pour un objet limité, aux dispositions législatives ou règlementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences, éventuellement après expérimentation ».
II. Les positions et propositions du groupe de travail
Le groupe de travail a décidé de partir du postulat que ces deux formes de différenciation seraient adoptées sans aucune modification.
Sur la base de ce postulat, la méthode du groupe de travail a été la suivante :
1/ préciser les limites juridiques de la différenciation permises par les nouvelles dispositions constitutionnelles afin d’établir une grille de lecture juridique sur les projets envisagés ou portés par les collectivités territoriales ;
2/ étudier, sur la base de la grille de lecture, les projets déjà engagés par les collectivités territoriales qui pourraient s’appuyer sur les nouvelles dispositions constitutionnelles ;
3/ recueillir des projets présentés par d’autres collectivités que celles figurant sur la grille de lecture via la mise en ligne d’un questionnaire adressé pendant 3 semaines.
Dans ce cadre, voici les principales avancées proposées par ce groupe de travail.
Dans un premier temps, sans aucune surprise, le rapport se contente de rappeler que le droit à la différenciation n’est effectivement pas une nouveauté. Néanmoins, dans le cadre juridique actuel, cette possibilité n’est ouverte que dans le cadre restrictif du droit à l’expérimentation. En effet, la différenciation des normes existe depuis la réforme constitutionnelle de 2003 mais les dispositions dérogatoires ne peuvent être pérennes puisqu’à l’issue de la période d’expérimentation, elles seront soit généralisées soit abandonnées.
Dans un deuxième temps, conformément à ce que nous avions évoqués dans d’autres articles de blog, le groupe de travail présente les nouvelles dispositions sur le droit à la différenciation tout en soulignant que celles-ci ont pour objectif de « repousser les limites de ce qui est aujourd’hui possible ».
La troisième et dernière partie, exposant les limites juridiques de ce nouveau droit à la différenciation, est celle qui présente le plus d’intérêt.
1/ Le rapport précise que les deux formes de différenciation susmentionnées seront exclues lorsque sont en cause soit les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique soit un droit constitutionnellement garanti. Cette question de la conformité à ces droits et libertés fondamentales devra, préalablement à la présentation de tout projet de différenciation, être posée.
2/ Puis le rapport tente d’esquisser ce à quoi pourrait ressembler le futur projet de loi organique en présentant les limites propres à ce nouveau droit.
Il souligne, à ce titre, que la future loi organique devra :
- Prévoir des garanties suffisantes pour assurer le respect des principes de libre administration, de subsidiarité, de non tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre et de compensation financière des transferts de charges… ;
- Définir des conditions précises et protectrices des libertés locales ;
- Néanmoins, s’assurer de fixer des conditions qui ne seraient pas de nature à paralyser ce droit à la différenciation.
Le seul principe constitutionnellement garanti auquel on pourra déroger est le principe d’égalité sans jamais totalement l’écarter.
En effet, seules les atteintes au principe d’égalité inhérentes à la dérogation seront permises, mais les autres atteintes seront censurées.
III. Propositions concrètes du groupe de travail
Ces propositions (34 projets) sont détaillées en fin de rapport et font l’objet de fiches précises, réforme par réforme.
En voici la liste
A. PROJETS DE DIFFERENCIATION DES COMPETENCES……………………….. 55
1. Compétences communales et intercommunales …………………………………………….. 55
Projet n° 1 : Permettre des dérogations aux règles applicables aux différentes catégories d’intercommunalités ………………………………………………………………… 55
Projet n° 2 : Permettre aux communes accueillant des stations de ski ou touristiques d’exercer la compétence « Tourisme » à la place de l’EPCI………….. 56
Projet n°3: Permettre aux communes d’exercer les compétences «Eau» et
« Assainissement » ………………………………………………………………………………… 57Projet n° 4 : Permettre aux petites communes de délivrer les cartes d’identité ………. 58 2. Compétences départementales …………………………………………………………………….. 59
Projet n° 5 : Autoriser les EPCI à déléguer la compétence « GEMAPI » aux départements…………………………………………………………………………………………. 59
Projet n° 6 : Permettre à un département rural et/ou maritime d’intervenir dans les domaines de l’agriculture et de la pêche …………………………………………………….. 60
Projet n° 7 : Permettre à un département d’intervenir dans le domaine économique
au profit du commerce, de l’artisanat, de l’hôtellerie et de la restauration en milieu rural ou du commerce international pour les départements limitrophes
d’un État non membre de l’Union européenne…………………………………………….. 61Projet n° 8 : Permettre à un département frontalier d’intervenir dans le domaine économique pour assurer, avec les États voisins ou les collectivités de ces
États, la promotion d’une « marque » commune constituée par le territoire et le patrimoine géographique et culturel partagés ……………………………………………… 62
Projet n° 9 : Permettre à un département d’intervenir dans le domaine économique
en vue d’acquérir un bien immobilier à vocation économique et d’intérêt départemental ……………………………………………………………………………………….. 63Projet n° 10 : Permettre à un département frontalier de négocier avec les États voisins des accords spécifiques ………………………………………………………………… 64
Projet n° 11 : Permettre à un département d’exercer un service public d’ingénierie territoriale / étendre les domaines dans lesquels un département peut apporter
une assistance technique départementale / permettre la création d’une « agence départementale d’ingénierie et d’infrastructure »…………………………………………. 65Projet n° 12 : Permettre à un département d’assumer le rôle d’établissement public territorial de bassin ………………………………………………………………………………… 66
Projet n° 13 : Permettre à un département d’intervenir dans le domaine de la protection et de la mise en valeur de l’environnement ………………………………….. 67
Projet n° 14 : Confier à un département le co-pilotage et la gestion des fonds déconcentrés dans le cadre des politiques des solidarités territoriales ……………… 68
Projet n° 15 : Confier à un département un rôle de coordination par des politiques
et des financements en matière de handicap ……………………………………………….. 69Projet n° 16 : Permettre à un département d’exercer une compétence inter-SCOT
ou d’élaborer un SCOT départemental ………………………………………………………. 703. Compétences régionales……………………………………………………………………………… 71
Projet n° 17 : Faciliter les projets de développement des énergies marines renouvelables………………………………………………………………………………………… 71
Projet n° 18 : Étendre l’objet de la délégation de compétence que les régions peuvent recevoir de l’État en matière d’emploi……………………………………………. 72
Projet n° 19 : Donner compétence aux régions pour agir dans le domaine de la prévention de la délinquance……………………………………………………………………. 73
Projet n°20: Permettre à une région de financer et d’accompagner des expériences de développement de la télémédecine en milieu rural ………………….. 74
B. PROJETS DE DIFFERENCIATION DES NORMES …………………………………… 75
1. Fonctionnement des intercommunalités ……………………………………………………….. 75
Projet n° 21 : Permettre aux intercommunalités comprenant un grand nombre de communes membres de déroger aux dispositions exigeant, pour certaines décisions, une majorité qualifiée ou une unanimité………………………………………. 75
2. Urbanisme ………………………………………………………………………………………………… 76
Projet n° 22 : Adaptation des lois littoral et ALUR…………………………………………… 76 3. Aménagement foncier ………………………………………………………………………………… 78
Projet n° 23 : Étendre la compétence des SAFER et renforcer leur droit de préemption……………………………………………………………………………………………. 78
4. Obligations applicables en matière de mise aux normes et d’accessibilité des bâtiments et de défense extérieure contre l’incendie ……………………………………… 80
Projet n° 24 : Permettre aux petites communes de déroger aux normes prévues en matière de mise aux normes et d’accessibilité des bâtiments et de défense extérieure contre l’incendie ……………………………………………………………………… 80
5. Insertion …………………………………………………………………………………………………… 81
Projet n° 25 : Favoriser l’insertion dans l’emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active……………………………………………………………………………………… 81
Projet n° 26 : Accompagner la reprise d’emploi par les personnes bénéficiaires du
RSA en assouplissant, pendant la durée d’un contrat d’insertion, les règles relatives au nombre d’enfants pouvant être accueillis par un assistant maternel
ou en garde collective …………………………………………………………………………….. 826. Action sociale……………………………………………………………………………………………. 83
Projet n° 27 : Faciliter l’accueil des personnes handicapées dans les établissements médico-sociaux ………………………………………………………………… 83
Projet n° 28 : Élargir les cas de non versement du revenu de solidarité active……….. 84 7. Environnement………………………………………………………………………………………….. 85
Projet n° 29 : Faciliter la réalisation de projets d’aménagement impactant des
zones humides ………………………………………………………………………………………. 858. Relations entre l’État et les collectivités……………………………………………………….. 86
Projet n° 30 : Déroger au contrôle de légalité exercé par le représentant de l’État
dans le département sur les actes pris par le département………………………………. 86C. PROJETS « MIXTES » DE DIFFERENCIATION DES COMPETENCES
ET DES NORMES …………………………………………………………………………………….. 871. Aménagement foncier ………………………………………………………………………………… 87
Projet n° 31 : Faciliter la rénovation et le changement de destination des vieux bâtiments agricoles ………………………………………………………………………………… 87
2. Adaptation territoriale autour d’une métropole ……………………………………………… 88
Projet n° 32 : Doter une métropole de nouvelles compétences transférées par l’État……………………………………………………………………………………………………. 88
3. Action sociale……………………………………………………………………………………………. 89
Projet n° 33 : Permettre la création d’une agence départementale des solidarités réunissant l’ensemble des partenaires institutionnels afférents sous le pilotage
du Conseil départemental et aboutir à la création d’un dossier social unique
pour les usagers …………………………………………………………………………………….. 894. Transports ………………………………………………………………………………………………… 90
Projet n° 34 : Permettre l’élaboration par le département d’un schéma directeur
des mobilités alternatives et/ou permettre l’intervention du département en tant
que coordinateur des actions planifiées en matière d’aide à la mobilité des usagers…………………………………………………………………………………………………. 90
IV. Méthodologie
Voici deux graphiques méthodologiques qui se révèlent intéressants à l’analyse :
V. Voir aussi
Les autres articles ou tutoriels en lien avec cet article :
- Voir article de Blog en lien : Avis du Conseil d’Etat sur les pré-projets de réforme constitutionnelle
- https://blog.landot-avocats.net/2018/04/04/resume-des-pre-projets-de-reforme-constitutionnelle/
- Expérimentation et collectivités territoriales [MINI TUTO VIDÉO]
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