Expérimentation : la fin du tout ou rien

Il résulte de l’article 37-1 de la Constitution que le pouvoir réglementaire peut, dans le respect des normes supérieures, instituer, à titre expérimental, des règles dérogatoires au droit commun applicables à un échantillon sans méconnaître par là même le principe d’égalité devant la loi, dès lors que ces expérimentations présentent un objet et une durée limités, que leurs conditions de mise en oeuvre sont définies de façon suffisamment précise et que la différence de traitement instituée est en rapport avec l’objet de l’expérimentation.

De fait, ce régime est à ce jour un peu lourd. Voir :

Et il est prévu d’en assouplir le régime :

Volant au secours de la victoire Exerçant leur fonction de conseil de l’Etat, les magistrats du Palais Royal ont présenté un intéressant rapport à ce sujet :

 

Voir aussi :

 

En attendant, disions nous, ce régime s’avère en réalité fort lourd. Aussi ne peut-on que noter la souplesse introduite par le Conseil d’Etat, au contentieux cette fois.

Celui-ci a posé que, dans l’hypothèse où les dérogations sont expérimentées en raison d’une différence de situation propre à la portion de territoire ou aux catégories de personnes objet de l’expérimentation et n’ont, de ce fait, pas nécessairement vocation à être généralisées au-delà de son champ d’application :

  • la différence de traitement instituée à titre expérimental doit être en rapport avec l’objet de l’expérimentation et ne pas être manifestement disproportionnée avec cette différence de situation
  • dans tous les cas, il appartient alors au Premier ministre, au terme de l’expérimentation de normes relevant de sa compétence et au vu des résultats de celle-ci, de décider :
    • soit du retour au droit applicable antérieurement,
    • soit de la pérennisation de tout ou partie des normes appliquées pendant l’expérimentation, pour le champ d’application qu’il détermine, sous réserve que le respect du principe d’égalité n’y fasse pas obstacle.

En l’espère, la Haute Assemblée en déduit que devait être écarté le moyen tiré de ce qu’un décret attaqué qui déroge, à titre expérimental, pour une durée de dix-huit mois, pour les demandes d’asile présentées en Guyane, à certaines des modalités d’introduction et de traitement des demandes d’asile fixées par les articles R. 723-1 à R. 723-3, R. 723-19 et R. 733-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, méconnaîtrait l’article 37-1 de la Constitution au seul motif que ces dérogations ne pourraient être généralisées à l’ensemble du territoire national.

A comparer avec Cons. const., 12 août 2004, n° 2004-503 DC, loi relative aux libertés et responsabilités locales, cons. 9. Cf. CE, 17 juin 2019, Association Les amis de la Terre France, n° 421871, à publier au Recueil (pour ce dernier arrêt, voir ici).

On y gagne en souplesse, mais une fois de plus l’unité du droit au niveau national y perd, ce qui désole les uns et réjouis les autres. L’on voit que ce thème s’avère fort lié à celui du futur pouvoir d’adaptation du droit national qu’il est prévu de développer et promouvoir :

  • d’une part avec la réforme précitée qui est envisagée par trois projets de loi adoptés le 28 août 2019 (voir ici)
  • d’autre part avec les annonces faites pour le futur projet de loi décentralisation annoncé pour le lendemain des municipales (voire, sans doute, au début de l’été 2020).

C’est la fin, ou en tous cas la possible fin au cas par cas, du tout ou rien qui était pour l’instant appliqué par prudence…

Voir :

Conseil d’État, 2ème – 7ème chambres réunies, 06/11/2019, 422207