Depuis la célèbre jurisprudence Commune de Meung-Sur-Loire (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req., n° 288371), on sait que l’exercice du droit de préemption urbain n’est légal que, si, d’une part, la collectivité est en mesure de justifier l’exercice de cette prérogative par un projet réel (même si celui-ci n’est pas encore défini dans le détail) et si, d’autre part, la nature de ce dernier est indiquée dans la décision de préemption.
Dans une décision rendue le 15 juillet 2020, le Conseil d’Etat vient de préciser que le projet invoqué par la collectivité à l’appui de sa décision de préemption, pour qu’il puisse être considéré comme réel, doit aussi être réaliste, c’est-à-dire qu’il doit bien pouvoir être exécuté sur la parcelle préemptée.
Tel n’est pas le cas d’une parcelle acquise par voie de préemption dans le but d’y construire des logements, dès lors que cette opération n’apparaît pas dans le Programme local d’habitat (PLH), que ladite parcelle est enclavée sur trois côtés et qu’elle est située à proximité d’installations peu compatibles avec la présence d’habitations :
“Il ressort des pièces du dossier que la décision litigieuse est motivée par la volonté de la commune de construire des logements sur la parcelle préemptée, en vue de répondre à l’objectif du programme local de l’habitat de proposer une offre de logement suffisante et aux objectifs de livraison de logements fixés par ce programme pour la période allant de 2010 à 2015. Si elle fait ainsi apparaître la nature du projet d’action ou d’opération d’aménagement poursuivi, il ne ressort pas du programme local de l’habitat pour la période considérée qu’il envisagerait, dans le secteur de la parcelle préemptée, la construction de logements pour en accroître l’offre dans l’agglomération. Il ressort en outre des pièces du dossier que le ” schéma de faisabilité ” établi en août 2011 en vue de la construction de deux lots de logements sur la parcelle et sur la parcelle voisine appartenant toujours à Electricité de France était particulièrement succinct et que de fortes contraintes s’opposent à la réalisation d’un tel projet sur cette parcelle, qui est enclavée sur trois côtés, située dans la zone de dangers d’une centrale hydroélectrique et à proximité d’une plateforme chimique et classée par le plan local d’urbanisme en zone UA indice “ru” ne permettant la construction d’habitations que sous réserve de mesures de confinement vis-à-vis de ces aléas technologiques. Dans ces conditions, la réalité, à la date de la décision de préemption, du projet d’action ou d’opération d’aménagement l’ayant justifiée ne peut être regardée comme établie pour cette parcelle qui, au surplus, a été revendue par la commune à l’établissement public foncier local de la région grenobloise dans un but de réserve foncière en vertu d’un acte authentique du 20 janvier 2012 pris, après une délibération en ce sens du conseil municipal intervenue dès le 25 octobre 2011″.
Avant d’utiliser leur droit de préemption urbain, les collectivités compétentes doivent donc s’assurer que leur projet est bien faisable sur les parcelles mises en vente. Si ce n’est pas le cas, les probabilités sont fortes pour que la décision de préemption soit annulée en cas de recours.
Ref. : CE, 15 juillet 2020, Commune d’Echirolles, req., n° 432325. Pour lire l’arrêt, cliquer ici