Nous avons signalé récemment les tribulations des arrêtés (préfectoraux ou municipaux) d’ouverture dominicale de commerces, plusieurs fois censurés, puis validé(s) devant le TA de Clermont-Ferrand au nom et/ou en dépit du Covid-19. Voir :
- TA Clermont-Ferrand, ord., 9 janvier 20202, n° 2100023
- TA Clermont-Ferrand, ord., 23 janvier 2021, n° 2100124, n° 2100122 et n° 2100120
- TA Clermont-Ferrand, ord., 1er février 2021, n° 2100177
Ces ordonnances sont accessibles depuis notre article les commentant :
Grâces soient rendues à M. Sébastien Brameret, Maître de conférences (droit public ; www.brameret.eu) qui a trouvé une intéressante décision du TA de Strasbourg qui va à rebours des premières décisions du TA de Clermont-Ferrand (et qui rejoint plutôt celle de ce même tribunal en date du 1er février 2021)-.
Ceci dit, on rappellera que le droit alsacien et mosellan diffère de celui de la France de l’intérieur pour ce qui est du travail dominical (mais pas pour ce qui est des pouvoirs des maires ou des préfets face à la pandémie) :
- Travail dominical en Alsace-Moselle : une position nuancée de la CAA
- Commerce le dimanche : le droit alsacien et mosellan confirme ses spécificités
- Ouverture dominicale des commerces : le Conseil d’Etat confirme un large déverrouillage (avec un régime différent confirmé en Alsace-Moselle)
Voici cette décision :
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE STRASBOURG
N° 2100441
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L’UNION DEPARTEMENTALE DES SYNDICATS CGT DU BAS-RHIN
SYNDICAT DÉPARTEMENTAL COMMERCE ET SERVICES CGT 67
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Mme Julienne Bonifacj
Juge des référés
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Ordonnance du 27 janvier 2021
___________
C
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
La juge des référés
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2021, l’union départementale des syndicats CGT du Bas-Rhin et le syndicat départemental commerce et services CGT 67, représentés par Me Rauch, demandent au juge des référés :
1°) de suspendre, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, l’exécution de l’arrêté du 14 janvier 2021 par lequel la préfète du Bas Rhin a autorisé l’ouverte des commerces les dimanches 17, 24 et 31 janvier 2021 sur le territoire de la commune de Strasbourg ;
2°) de mettre à la charge de l’État une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
• sur l’urgence :
– la condition relative à l’urgence est remplie dès lors que l’exécution de la décision risque de porter atteinte au droit à la vie, au repos des salariés et à la protection sanitaire de la population en les exposant à un risque accru de contamination ;
– elle est également justifiée par le fait que la décision a été prise à brefs délais, sans laisser aux salariés le temps nécessaire à l’organisation de leur vie personnelle alors que le code du travail prévoit un délai d’au moins sept jours ;
– cette décision induit une concurrence déloyale entre établissements inclus ou non dans le périmètre de l’autorisation, pouvant peser sur le niveau d’emploi et de rémunération des salariés ne travaillant pas ;
• sur l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
– l’arrêté contesté, en exposant les salariés à un risque accru de contamination, porte une atteinte grave aux libertés fondamentales que sont le droit à la vie et le droit à la protection de la santé ; la gravité du risque est incontestable au regard du taux d’incidence du virus dans le département du Bas-Rhin qui est en augmentation constante depuis le mois de décembre pour atteindre un taux de 198,9 pour 100 000 habitants ;
– il méconnaît les dispositions de l’article L. 3134-4 du code du travail dès lors que ni la période des soldes, ni la crise sanitaire ne peuvent être regardées comme des circonstances locales au sens de ces dispositions.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2021, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
– la requête est irrecevable en tant qu’elle est dirigée contre la dérogation au repos dominical accordée pour les dimanches 17 et 24 janvier 2021 ;
– les partenaires sociaux ont été consultés préalablement à l’édiction de l’arrêté contesté alors même que cette consultation n’est pas obligatoire ;
– alors que les gestes barrières prescrits les autres jours de la semaine sont également mis en œuvre le dimanche, l’arrêté contesté, qui a pour objectif d’éviter une trop forte concentration de personnes sur un seul jour du week-end, ne porte pas atteinte au droit la protection de la santé ;
– le délai était suffisant pour ne pas porter atteinte au respect de la vie privée ;
– alors que dans les communes autres que Strasbourg, Metz et Mulhouse, seuls les maires sont compétents pour prendre une mesure dérogatoire au repos dominical, le moyen tiré d’une concurrence déloyale n’est pas fondé ;
– l’arrêté est fondé sur les circonstances locales au regard de la situation sanitaire et de ses impacts sur l’activité économique à Strasbourg avec notamment l’annulation du marché de Noël et la baisse importante de la fréquentation touristique ;
– alors que l’arrêté prévoit qu’il ne peut être fait appel qu’aux seuls salariés volontaires, l’atteinte au droit au repos et au droit de mener une vie familiale normale n’est pas démontrée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la Constitution et notamment son préambule ;
– le code du travail ;
– le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Bonifacj pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique tenue le 25 janvier 2021 en présence de Mme Trinité, greffière d’audience :
– le rapport de Mme Bonifacj, juge des référés ;
– les observations de Me Rauch, avocate de l’union départementale des syndicats CGT du Bas-Rhin et du syndicat départemental commerce et services CGT 67 ;
– les observations de Mme Leitao, représentant la préfète du Bas-Rhin.
La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».
2. L’union départementale des syndicats CGT du Bas-Rhin et le syndicat départemental commerce et services CGT 67 demandent au juge des référés de suspendre, sur le fondement des dispositions précitées, l’exécution de l’arrêté du 14 janvier 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a autorisé l’ouverte exceptionnelle des commerces les dimanches 17, 24 et 31 janvier 2021 sur le territoire de la commune de Strasbourg.
3. Aux termes de l’article L. 3134-4 du code du travail applicable dans le département du Bas-Rhin : « Dans les exploitations commerciales, les salariés ne peuvent être employés le premier jour des fêtes de Noël, de Pâques ou de Pentecôte. / Les autres dimanches et jours fériés, leur travail ne peut dépasser cinq heures. (…) / Pendant les quatre dernières semaines précédant Noël ou pour certains dimanches et jours fériés pour lesquels les circonstances locales rendent nécessaire une activité accrue, l’autorité administrative peut porter le nombre d’heures travaillées jusqu’à dix ».
4. D’une part, il résulte de l’instruction que la crise sanitaire qui a conduit notamment à l’annulation du marché de Noël de Strasbourg avec une chute de la fréquentation touristique, a eu un fort impact sur l’économie locale, entraînant une baisse significative du chiffre d’affaires de l’ordre de 30 % au mois de décembre 2020 pour les commerçants du centre-ville. Eu égard aux conséquences économiques pour le commerce local, que les requérants ne contestent d’ailleurs pas, et quand bien même l’épidémie affecte l’ensemble du territoire national, la préfète du Bas-Rhin a pu, sans commettre d’erreur de droit ou d’appréciation, estimer que ces événements constituent, au sens des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 3134-4 précité, des circonstances locales rendant nécessaire une activité accrue et justifiant, par suite, qu’il soit dérogé à l’interdiction du travail dominical.
5. D’autre part, l’arrêté contesté de la préfète du Bas-Rhin a pour objet, en raison de la crise sanitaire et alors que la période des soldes entraîne une augmentation du flux de population notamment en centre-ville, de répartir la fréquentation des commerces sur deux jours. Si l’importance de la circulation du virus de la Covid-19 dans le département du Bas-Rhin n’est pas contestée, en revanche, alors que l’arrêté en litige n’a ni pour objet ni pour effet d’assouplir le protocole sanitaire renforcé qui s’impose dans les commerces, il n’est pas démontré que le risque de contamination serait sensiblement accru du seul fait que les commerces sont autorisés à ouvrir trois jours supplémentaires au cours du mois de janvier.
6. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la préfète du Bas-Rhin a porté une atteinte grave et manifeste au droit à la vie, à la protection de la santé et au repos des salariés. Par suite, et sans qu’il besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée en défense, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de l’union départementale des syndicats CGT du Bas-Rhin et du syndicat départemental commerce et services CGT 67 est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l’union départementale des syndicats CGT du Bas-Rhin, au syndicat départemental commerce et services CGT 67 et au ministre de l’intérieur. Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Fait à Strasbourg, le 27 janvier 2021.
La juge des référés,
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