RAPO : avant l’heure ce peut être l’heure [confirmation et précisions]

Avec le décret JADE de 2016, nombre d’observateurs ont cru que désormais, après avant de former un recours pécuniaire  de plein contentieux exigeant une demande préalable, devant le juge administratif, le requérant allait devoir certes d’abord déposer, auprès de l’administration, un recours administratif, préalable obligatoire (RAPO)… mais encore allait devoir attendre que l’administraient ne ne soit explicitement ou, au terme d’un délai, implicitement, prononcé sur ce RAPO. 

Depuis 2019 on sait qu’il n’en est rien. Hier, 16 juin 2021, le Conseil d’Etat a même affiné sa jurisprudence en ce domaine. 

Bref, le décret JADE n’était, finalement, pas si dur que cela. 

 


 

Un grand nombre de recours de plein contentieux (pécuniaires pour l’essentiel), devant le juge administratif, imposent au requérant d’avoir d’abord déposé, auprès de l’administration, un recours administratif, préalable obligatoire (RAPO)… PUIS d’attaquer, ensuite.

Avant le décret JADE (du 2 novembre 2016), il était clairement possible de faire un RAPO (demande préalable)… PUIS de déposer son recours dans la foulée…. très vite. Le tout était que le juge statue alors qu’entre temps, durant l’instruction donc, une décision explicite ou implicite de refus de ce RAPO ait été prise par l’administration. De plus, accepter pour l’administration de débattre des moyens du requérants pouvait parfois lui faire perdre la possibilité de soulever l’irrecevabilité du recours contentieux de ce fait (pour schématiser à grands traits).

PUIS vint le décret JADE :

 

Ce décret a introduit à l’article R. 421-1 de ce code un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle ».

Les applications de cet article, depuis lors, ont été sévères. Voir :

 

Néanmoins, il était encore loisible jusqu’à 2019 de se demander si ces dispositions conduisent :

  • à abandonner la jurisprudence selon laquelle la condition de recevabilité d’une requête à objet pécuniaire, tenant à l’existence d’une décision de l’administration rejetant une réclamation de l’intéressé, s’apprécie à la date à laquelle le juge statue
  • ou bien à remettre seulement en cause la jurisprudence selon laquelle le contentieux peut être lié par une défense au fond de l’administration.

Sur ces points, le Conseil d’Etat a, clairement, en 2019, et à la surprise d’un très grand nombre de commentateurs (dont nous) :

  1. rejeté l’idée qu’une défense contentieuse « au fond » de l’administration puisse valoir décision préalable régularisant la requête non précédée d’une décision de l’administration
  2. posé que « les termes du second alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative n’impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l’existence d’une décision de l’administration s’apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l’administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l’intervention d’une telle décision en cours d’instance régularise la requête, sans qu’il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l’administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l’absence de décision».
    Voir CE, S. 27 mars 2019, n° 426472, publié au recueil Lebon
    Plein contentieux et décret JADE : la décision de refus peut, finalement, de nouveau, intervenir entre la requête et la date de jugement 

 

Conclusion : depuis 2019 on sait que, s’agissant de l’obligation de faire naître une décision administrative préalable lorsque la demande tendant au versement d’une somme d’argent, la décision de refus peut, finalement, de nouveau, intervenir entre la requête et la date de jugement 

 

PUIS VINT L’ARRET 440064 RENDU HIER.

Dans cette affaire, la Haute Assemblée

  • rappelle que l’institution d’un RAPO à la saisine du juge, vise à laisser à l’autorité compétente pour en connaître le soin d’arrêter définitivement la position de l’administration.
  • pose que, cependant, dès lors que le RAPO a été adressé à l’administration préalablement au dépôt de la demande contentieuse, la circonstance que cette dernière demande ait été présentée de façon prématurée, avant que l’autorité administrative ait statué sur le recours administratif, ne permet pas au juge administratif de la rejeter comme irrecevable si à la date à laquelle il statue, est intervenue une décision, expresse ou implicite, se prononçant sur le recours administratif.

On le voit, les formulations évoluent mais nous sommes pour l’essentiel sur une décision confirmative. Et en l’espèce, un RAPO et un recours contentieux LE MEME JOUR ont même été validés par le Conseil d’Etat. 

L’office du juge est précisé, à cette occasion :

« Il appartient alors au juge administratif, statuant après que l’autorité compétente a définitivement arrêté sa position, de regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l’annulation de la décision, née de l’exercice du recours administratif préalable, qui s’y est substituée. »

 

Source : Conseil d’État, 16 juin 2021, n° 440064, à mentionner aux tables du recueil Lebon