Irrecevabilité pure et simple de conclusions indemnitaires dont la requête a été introduite avant l’obtention d’une décision de rejet de l’administration.

VOIR AUSSI 

Plein contentieux et décret JADE : la décision de refus peut, finalement, intervenir entre la requête et la date de jugement 

 

 

Par un jugement récent du 28 janvier 2019 (n° 1704285), le tribunal administratif de Bordeaux a tout d’abord eu à juger de l’irrégularité commise par un pouvoir adjudicateur qui s’est fondé sur des suppositions plutôt que sur les informations figurant dans l’offre de la société candidate pour attribuer une note au titre de la valeur technique dans le cadre d’un marché de plastification des livres de la bibliothèque municipale. 

Ensuite et surtout, au moment d’apprécier la recevabilité des conclusions indemnitaires présentées par la Société évincées, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté purement et simplement celles-ci en tant que la décision rejetant la demande indemnitaire préalable est intervenue postérieurement à la date d’introduction de la requête

Il faut rappeler en effet que l’article 10 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 (dit JADE) modifiant la partie réglementaire du code de justice administrative prévoit désormais, entre autres, qu’en matière de litiges indemnitaires, le contentieux tendant au paiement d’une somme d’argent doit être lié avant l’introduction de la requête par une décision. Autrement dit, la possibilité de déposer un requête indemnitaire immédiatement après la notification de la demande préalable sans attendre la naissance d’une décision, expresse ou implicite, de rejet n’est plus possible. Voir à ce sujet  nos articles écrits à l’époque :

 

Et des décisions ont déjà dans ce cadre été rendues. Voir 

Voir aussi : Le Conseil d’Etat valide « son » décret JADE 

 

Dans une nouvelle affaire, le juge a eu encore l’occasion de préciser l’application de ce décret « Jade ».

En espèce, la commune de Bordeaux avait lancé une procédure adaptée pour l’attribution d’un marché de plastification des livres de la bibliothèque municipale. Après examen des offres, la commune a informé la société Nordprint du rejet de son offre classée deuxième, le marché ayant été signé le même jour avec l’entreprise attributaire.

A cet égard, le pouvoir adjudicateur a notamment attribué à la société Nordprint une note de 1 sur 2 au critère de la valeur technique au motif que « l’acheminement des documents par avion rend la démarche en faveur du développement durable très moyenne »

Or, la Société évincée a contesté formellement cette précision qui ne figurait pas dans son offre. En effet, cette précision a été déduite par le pouvoir adjudicateur des mentions figurant sur le site internet de la Société. 

Dès lors, le tribunal administratif de Bordeaux considère qu’en « fondant sa note sur des suppositions et non sur les informations données par la Société », le pouvoir adjudicateur a entaché d’irrégularité la procédure d’attribution du marché. 

En outre, le juge de première instance souligne que préalablement à la prise en compte du critère technique, la Société Nordprint disposait de 0,28 point d’avance sur l’entreprise finalement attributaire.

Par conséquent, sans surprise, le tribunal administratif de Bordeaux a décidé de prononcer la résiliation du marché précitéétant donné que le vice se rapporte aux mérites respectifs des sociétés intéressées et méconnait donc le principe d’égalité de traitement des candidats dans la présente affaire. 

Par ailleurs, le tribunal administratif de Bordeaux a ensuite eu à analyser les conclusions indemnitaires présentées par la Société Nordprint. 

Pour mémoire, sur ce point, la Société requérante avait envoyé à la Commune de Bordeaux une demande préalable d’indemnisation de son préjudice par un courrier reçu le 4 octobre 2017, lequel a fait naître une décision implicite de rejet le 4 décembre 2017

Cependant, si la requête enregistrée en date du 2 octobre 2017 ne comportait aucune conclusion indemnitaire, celles-ci ont été présentées par la société Nordprint dans un mémoire ultérieur en date du 3 février 2018

Trop tard cependant pour le juge administratif qui fait une stricte application de la « nouvelle » rédaction de l’article R. 421-1 du CJA, applicable depuis le 1er janvier 2017, et selon laquelle :

« Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle ».

Par conséquent, en constatant en l’espèce que « la décision rejetant la demande indemnitaire préalable de la société Nordprint [était] intervenue postérieurement à la date d’introduction de la requête », le juge administratif n’a pu que constater l’irrecevabilité des conclusions indemnitaires.

En pratique, il importe donc peu qu’un mémoire ultérieur soit présenté à la suite de la décision de rejet, seule l’introduction de la requête compte !