Indépendance des magistrats administratifs et réforme de la Haute fonction publique de l’Etat : le Conseil constitutionnel valide, en QPC, les modes de désignation des maîtres des requêtes au Conseil d’État et de conseiller référendaire à la Cour des comptes ainsi que certaines modalités propres aux inspections générales

Crédits photographiques : Conseil constitutionnel

Ce matin, le Conseil constitutionnel a validé, en QPC, les modes de désignation des maître des requêtes au Conseil d’État et de conseiller référendaire à la Cour des comptes, ainsi que celles des services d’inspection générale de l’État. Par delà des considérations qui peuvent sembler techniques, ce sont des sujets déterminants qui ont été tranchés :

I. Enjeux et solutions possibles. 

II. Choix opéré par le Conseil constitutionnel ; importance au regard de l’objectif d’indépendance statutaire de la magistrature administrative ; caractère malaisé de la question qu’avait à trancher le Conseil constitutionnel ; difficulté à sortir de l’entre-soi quelle que soit la solution adoptée, mais ce ne sont pas les mêmes « entre-soi »

III. Voici le communiqué, très clair, du Conseil (intéressant aussi sur les inspections générales, sur le champ du contrôle en QPC…), puis voici la décision n° 2021-961 QPC du 14 janvier 2022 elle-même. 

 

I. Enjeux et solutions possibles

Par delà une mesure qui peut sembler technique, c’est un échec grave pour ceux qui :

  • soit s’opposent à la réforme de la Haute fonction publique de l’Etat,
  • soit veulent que les magistrats administratifs soient rattachés à une fonction judiciaire mieux séparée de l’exécutif, d’une part, et du législatif, d’autre part, dans une perspective de stricte séparation des pouvoirs.

Car c’est en gros l’inverse, ou plutôt la pérennisation de l’inverse dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique de l’Etat, qui vient d’être validé par le Conseil constitutionnel.

Dans le cadre de ladite réforme, il était loisible :

  • 1/ soit de continuer à penser que les hauts magistrats des juridictions administratives générales et spécialisées devaient en réalité être des hauts fonctionnaires exerçant parfois des fonctions juridictionnelles avec quelques garanties plutôt minimales au regard des standards démocratiques internationaux (notamment ceux de la CEDH). Au nombre des défenseurs de ce régime, se trouvent, pour schématiser :
    • ceux qui font valoir l’importance y compris pour la fonction juridictionnelle d’avoir des cadres publics expérimentés connaissant le terrain… argument qui n’est pas sans pertinence
    • ceux qui signalent que ces grandes juridictions ont des fonctions consultatives ou d’expertise qui sont très importantes et conviendraient mal à des personnes ayant surtout une expérience surtout contentieuse, argument qui s’entend certes (mais on pourrait par exemple renforcer la distinction entre ceux qui siègent principalement dans les chambres ou sections contentieuses et les autres, ce qui existe déjà pour certains détails des statuts de ces personnels)
    • mais aussi ceux qui prennent le Conseil d’Etat ou la Cour des comptes surtout comme un lieu de transit entre deux mobilités.
  • 2/ soit de penser que la réforme de la haute fonction publique de l’Etat était, y compris par la grande fusion des corps ainsi opérée (déverrouillant potentiellement certaines mobilités pour des cadres), l’occasion de mettre à part tout ou partie des magistrats pour en faire des juges dotés de vraies garanties (y compris les garanties constitutionnelles demandées par le SJA et l’USMA)  d’indépendance, et donc aussi de carrière, avec en ce cas des passerelles plus grandes entre CRC/CTC et Cour des comptes, d’une part, et TA/CAA et Conseil d’Etat, d’autre part.

 

A ces sujets, voir :

 

Et voir surtout notre vidéo de 4 mn 32 intitulée « Magistrats administratifs : débats significatifs », avec des entretiens avec Mme Maguy Fullana Présidente du Syndicat de la juridiction administrative (SJA) et avec M. Emmanuel Laforêt Président de l’Union syndicale des magistrats administratifs (USMA)

https://youtu.be/5zJvNovYSXE

 

 

Il s’agit d’un extrait de notre chronique vidéo hebdomadaire, « les 5′ juridiques », réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés : http://www.weka.fr

 

II. Choix opéré par le Conseil constitutionnel ; importance au regard de l’objectif d’indépendance statutaire de la magistrature administrative ; caractère malaisé de la question qu’avait à trancher le Conseil constitutionnel ; difficulté à sortir de l’entre-soi quelle que soit la solution adoptée, mais ce ne sont pas les mêmes « entre-soi »

 

Clairement, dans les textes finaux, c’est la solution 1/ qui a prévalu et c’est ce qui n’a pas été censuré par le Conseil constitutionnel.

Alors que la solution 2/ eût fait glisser notre Pays vers une indépendance renforcée de la magistrature administrative.

Inversement, comme le législateur et le Gouvernement (via l’adoption de l’ordonnance du 2 juin 2021) ont tout de même par principe des marges de manoeuvre décisionnelles… censurer ce nouveau régime eût imposé que le Conseil constitutionnel imposât comme ayant valeur constitutionnelle un recrutement à part ne faisant pas, ou faisant moins, la part belle aux représentants de l’exécutif et du législatif. Or, si le recrutement antérieur du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes, voire des inspections générales, était antérieurement assuré avec une indépendance qui peut être brandie à défaut d’être toujours très convaincante… à tout le moins force est-il de constater que le recrutement du Conseil constitutionnel, lui, n’est absolument pas éloigné de ce que les parties requérantes avaient à critiquer. Ce qui en demande est toujours fâcheux.

Il eût donc été audacieux pour le Conseil constitutionnel de censurer un mode de recrutement qu’il connaît bien pour le vivre en sa chair et, même au nom du principe de non régression en ce domaine, qu’il n’est pas sans voir appliquer déjà à ce jour même si c’est de manière moins nette.

En opportunité de toute manière se pose la question des recrutements qui eussent été alternatifs. Comment en pareil cas — si le recrutement avait glissé vers une cooptation — éviter le piège de l’entre soi institutionnel déjà si fort dans ce monde ?

Plus précisément, il y a de toute manière une difficulté à sortir de l’entre-soi quelle que soit la solution adoptée, mais ce ne sont pas les mêmes « entre-soi » (risque de sentiment d’appartenance à l’administration qui est une partie au procès administratif voire d’intérêt de carrière au moins au stade des mobilités ? ou risque sinon d’entre-soi dans le recrutement au sein de la magistrature, qui permet une autonomie vis-à-vis de l’exécutif comme du législatif mais qui a aussi ses inconvénients endogamiques façon Parlement d’Ancien Régime?).

Bref, le sujet était important. Mais l’angle d’attaque au contentieux ne plaçait pas tout de même le Conseil constitutionnel en situation facile, sauf à estimer que certains pans de l’équilibre actuel étaient déjà, sinon inconstitutionnels, du moins fragiles, et ce pour schématiser certes à grands traits.

 

III. Voici le communiqué, très clair, du Conseil (intéressant aussi sur les inspections générales, sur le champ du contrôle en QPC…), puis la décision n° 2021-961 QPC du 14 janvier 2022 elle-même

 

III.A. Communiqué

 

Le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution certaines dispositions de l’ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État relatives aux commissions chargées de proposer la nomination aux grades de maître des requêtes au Conseil d’État et de conseiller référendaire à la Cour des comptes

L’objet de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 octobre 2021 par le Conseil d’État d’une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 6 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, des articles L. 133-12-3 et L. 133-12-4 du code de justice administrative, dans leur rédaction issue de la même ordonnance, et des articles L. 122-9 et L. 122-10 du code des juridictions financières, dans la même rédaction.

Les critiques formulées contre ces dispositions

Les requérants reprochaient, d’une part, aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 2 juin 2021 de ne pas entourer de garanties suffisantes les conditions d’exercice au sein des services d’inspection générale. Ils estimaient que ces dispositions étaient dès lors entachées d’incompétence négative dans une mesure affectant le principe constitutionnel d’indépendance des membres des services d’inspection générale de l’État, qu’ils demandaient au Conseil constitutionnel de reconnaître sur le fondement de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que, le cas échéant, de son article 16.

Ils critiquaient, d’autre part, les autres dispositions renvoyées en ce qu’elles prévoyaient que les commissions chargées de proposer la nomination aux grades de maître des requêtes au Conseil d’État et de conseiller référendaire à la Cour des comptes sont composées pour moitié de personnalités nommées par le Président de la République et les présidents des assemblées parlementaires, sans prévoir de règle de départage des voix. Il en résultait selon eux une méconnaissance des principes d’indépendance et d’impartialité des fonctions juridictionnelles ainsi que de la séparation des pouvoirs, protégés par l’article 16 de la Déclaration de 1789, en raison du risque d’immixtion des pouvoirs législatif et exécutif dans l’exercice des missions juridictionnelles et de blocage de l’activité des commissions.

Le contrôle des dispositions faisant l’objet de la QPC

* S’agissant de l’article 6 de l’ordonnance du 2 juin 2021, le Conseil constitutionnel rappelle, par la décision de ce jour, qu’il ne peut être saisi par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité que de dispositions de nature législative. Si les dispositions d’une ordonnance adoptée selon la procédure prévue à l’article 38 de la Constitution acquièrent valeur législative à compter de sa signature lorsqu’elles ont été ratifiées par le législateur, elles doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation, comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution dans les matières qui sont du domaine législatif.

Or, le Conseil constitutionnel juge, d’une part, qu’aucune exigence constitutionnelle n’impose que soit garantie l’indépendance des services d’inspection générale de l’État et, d’autre part, que l’article 6 de l’ordonnance du 2 juin 2021, qui se borne à définir les conditions d’affectation à des emplois au sein de services d’inspection de l’État, ne met pas en cause des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires de l’État.

Par conséquent, ces dispositions ne peuvent être regardées comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel en déduit donc qu’il n’y a pas lieu, pour lui, de statuer sur leur conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution.

* S’agissant des dispositions contestées du code de justice administrative et du code des juridictions financières relatives aux commissions chargées de proposer la nomination aux grades de maître des requêtes au Conseil d’État et de conseiller référendaire à la Cour des comptes, le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles.

À cette aune, il juge, en premier lieu, qu’il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que les personnalités qualifiées membres de ces commissions sont désignées en raison de leurs compétences dans un domaine précis et présentent des garanties d’indépendance et d’impartialité propres à prévenir toute interférence des autorités législatives ou exécutives dans les délibérations de la commission ou tout conflit d’intérêts.

En deuxième lieu, les articles L. 133-12-4 du code de justice administrative et L. 122-10 du code des juridictions financières précisent que la commission prend en compte l’aptitude des candidats à exercer les fonctions auxquelles ils se destinent et, en particulier, leur compréhension des exigences déontologiques attachées à ces fonctions ainsi que leur sens de l’action publique.

En dernier lieu, l’absence de règle de départage des voix au sein des commissions d’intégration, qui conduit à ce que ne peuvent être proposés à la nomination que des candidats pour lesquels une majorité s’est dégagée, est sans incidence sur l’indépendance et l’impartialité des juridictions.

Par ces motifs, le Conseil constitutionnel écarte le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et juge conformes à la Constitution l’article L. 133-12-3 du code de justice administrative et l’article L. 122-9 du code des juridictions financières, dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 6 juin 2021.

 

III.B. Décision n° 2021-961 QPC du 14 janvier 2022

 

Décision n° 2021-961 QPC du 14 janvier 2022
Union syndicale des magistrats administratifs et autres [Nominations au sein des services d’inspection générale de l’État, au grade de maître des requêtes du Conseil d’État et de conseiller référendaire à la Cour des comptes]
Conformité – non lieu à statuer

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 octobre 2021 par le Conseil d’État (décision nos 454719, 454775, 455105 et 455150 du 12 octobre 2021) dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par l’union syndicale des magistrats administratifs, pour le syndicat de la juridiction administrative par la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association des anciens élèves de l’École nationale d’administration et autres par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et pour l’association des magistrats de la Cour des comptes par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-961 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit :
– de l’article 6 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État ;
– des articles L. 133-12-3 et L. 133-12-4 du code de justice administrative, dans leur rédaction issue de la même ordonnance ;
– des articles L. 122-9 et L. 122-10 du code des juridictions financières, dans la même rédaction.

Au vu des textes suivants :

la Constitution ;
l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code des juridictions financières ;
le code de justice administrative ;
la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ;
la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;
l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, prise sur le fondement de l’habilitation prévue à l’article 59 de la loi du 6 août 2019 mentionnée ci-dessus, dont le délai, prolongé par l’article 14 de la loi du 23 mars 2020 mentionnée ci-dessus, est expiré ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :

les observations présentées pour l’association des anciens élèves de l’École nationale d’administration et autres par la SCP Foussard-Froger, enregistrées le 8 novembre 2021 ;
les observations présentées pour l’association des magistrats de la Cour des comptes par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le même jour ;
les observations présentées par l’union syndicale des magistrats administratifs, enregistrées le même jour ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 novembre 2021 ;
les observations en intervention présentées par M. Renaud F., enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées par l’union syndicale des magistrats administratifs, enregistrées le 23 novembre 2021 ;
les secondes observations présentées pour l’association des anciens élèves de l’École nationale d’administration et autres par la SCP Foussard-Froger, enregistrées le 24 novembre 2021 ;
les secondes observations présentées pour l’association des magistrats de la Cour des comptes par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations en intervention présentées par M. Renaud F., enregistrées le même jour ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Anthony Baudiffier, avocat au barreau de Paris, pour l’union syndicale des magistrats administratifs, Me Manuel Delamarre, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le syndicat de la juridiction administrative, Me Régis Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association des anciens élèves de l’École nationale d’administration et autres, Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association des magistrats de la Cour des comptes, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 6 janvier 2022 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 6 de l’ordonnance du 2 juin 2021 mentionnée ci-dessus prévoit :
« Les nominations, parcours de carrière et mobilités au sein des services d’inspection générale dont les missions le justifient et dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État sont régis par les dispositions qui suivent.
« Les chefs de ces services sont nommés par décret en conseil des ministres pour une durée renouvelable. Il ne peut être mis fin à leurs fonctions avant le terme de cette durée qu’à leur demande ou en cas d’empêchement ou de manquement à leurs obligations déontologiques, après avis d’une commission dont la composition est fixée par décret en Conseil d’État. Le sens de cet avis est rendu public avec la décision mettant fin aux fonctions.
« Les agents exerçant des fonctions d’inspection générale au sein des mêmes services sont recrutés, nommés et affectés dans des conditions garantissant leur capacité à exercer leurs missions avec indépendance et impartialité.
« Lorsqu’ils ne sont pas régis par les statuts particuliers des corps d’inspection et de contrôle, ces agents sont nommés pour une durée renouvelable. Pendant cette durée, il ne peut être mis fin à leurs fonctions qu’à leur demande ou, sur proposition du chef du service de l’inspection générale concernée, en cas d’empêchement ou de manquement à leurs obligations déontologiques.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article ».

2. L’article L. 133-12-3 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de la même ordonnance, prévoit :
« La commission d’intégration comprend :
« 1 ° Le vice-président du Conseil d’État, ou son représentant ;
« 2 ° Un membre du Conseil d’État en exercice ayant au moins le grade de conseiller d’État et un membre du Conseil d’État en exercice ayant le grade de maître des requêtes, nommés par le vice-président du Conseil d’État ;
« 3 ° Une personne particulièrement qualifiée en raison de ses compétences dans le domaine des ressources humaines, nommée par le Président de la République ;
« 4 ° Une personne particulièrement qualifiée en raison de ses compétences dans le domaine de l’action publique, nommée par le président de l’Assemblée nationale ;
« 5 ° Une personne particulièrement qualifiée en raison de ses compétences dans le domaine du droit, nommée par le président du Sénat ;
« Le mandat des membres de la commission, à l’exception de celui du vice-président est de quatre ans. Il n’est pas renouvelable immédiatement.
« Les cinq membres de la commission mentionnés aux 2 ° à 5 ° comprennent au moins deux personnes de chaque sexe. Un décret en Conseil d’État précise les modalités permettant d’assurer le respect de cette règle.
« Les membres de la commission doivent présenter des garanties d’indépendance et d’impartialité propres à prévenir toute interférence des autorités législatives ou exécutives dans les délibérations de la commission ou tout conflit d’intérêts ».

3. L’article L. 133-12-4 du même code, dans la même rédaction, prévoit :
« La commission d’intégration propose la nomination au grade de maître des requêtes des auditeurs et des maîtres des requêtes en service extraordinaire après audition des candidats. Elle procède de manière distincte pour les auditeurs, pour les maîtres des requêtes en service extraordinaire mentionnés aux articles L. 133-9 et L. 133-12 et pour les maîtres des requêtes en service extraordinaire relevant de l’article 9 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État et des règles de recrutement et de mobilité des membres des juridictions administratives et financières.
« Elle prend en compte, au vu notamment de l’expérience résultant de la période d’activité au sein du Conseil d’État, l’aptitude des candidats à exercer les fonctions consultatives et contentieuses et à participer à des délibérations collégiales, leur compréhension des exigences déontologiques attachées à ces fonctions ainsi que leur sens de l’action publique. Elle rend publiques les lignes directrices guidant son évaluation des candidats.
« À l’issue des auditions, la commission arrête la liste des candidats retenus par ordre de mérite dans la limite du nombre fixé par le vice-président.
« Sur demande du candidat, elle lui communique les motifs pour lesquels elle a refusé de proposer son intégration.
« Les nominations sont prononcées dans l’ordre établi par la commission ».

4. L’article L. 122-9 du code des juridictions financières, dans la même rédaction, prévoit :
« La commission d’intégration comprend :
« 1 ° Le premier président de la Cour des comptes, ou son représentant ;
« 2 ° Un magistrat de la Cour des comptes en exercice ayant au moins le grade de conseiller maître et un magistrat de la Cour des comptes en exercice ayant le grade de conseiller référendaire, nommés par le premier président de la Cour des comptes ;
« 3 ° Deux personnes particulièrement qualifiées en raison de leurs compétences dans le domaine des finances publiques et de l’évaluation des politiques publiques, nommées par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ;
« 4 ° Une personne particulièrement qualifiée en raison de ses compétences dans le domaine des ressources humaines, nommée par le Président de la République.
« Le mandat des membres de la commission, à l’exception de celui du premier président est de quatre ans. Il n’est pas renouvelable immédiatement.
« Les cinq membres de la commission mentionnés aux 2 ° à 4 ° comprennent au moins deux personnes de chaque sexe. Un décret en Conseil d’État précise les modalités permettant d’assurer le respect de cette règle.
« Les membres de la commission doivent présenter des garanties d’indépendance et d’impartialité propres à prévenir toute interférence des autorités législatives ou exécutives dans les délibérations de la commission ou tout conflit d’intérêts ».

5. L’article L. 122-10 du code des juridictions financières, dans la même rédaction, prévoit :
« La commission d’intégration décide de la nomination au grade de conseiller référendaire des auditeurs et des conseillers référendaires en service extraordinaire. Elle procède de manière distincte pour les auditeurs, pour les conseillers référendaires en service extraordinaire mentionnés à l’article L. 112-7 et pour les conseillers référendaires en service extraordinaire relevant de l’article 9 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État et des règles de recrutement et de mobilité des membres des juridictions administratives et financières.
« Elle prend en compte, au vu notamment de l’expérience résultant de la période d’activité au sein de la Cour des comptes, l’aptitude des candidats à exercer les fonctions de magistrat et à participer à des délibérations collégiales, leur compréhension des exigences déontologiques attachées à ces fonctions ainsi que leur sens de l’action publique. Elle rend publiques les lignes directrices guidant son évaluation des candidats.
« À l’issue des auditions, la commission arrête la liste des candidats par ordre de mérite dans la limite du nombre fixé par le Premier président.
« Sur demande du candidat, elle lui communique les motifs pour lesquels elle a refusé de proposer son intégration.
« Les nominations sont prononcées dans l’ordre établi par la commission.
« Les modalités d’application du présent article sont précisées par un décret en Conseil d’État ».

6. Certains requérants reprochent aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 2 juin 2021 de ne pas viser les services d’inspection générale relevant de leur champ d’application et de ne pas entourer de garanties suffisantes les conditions d’exercice des fonctions de leurs agents et de leurs chefs de service. Ces dispositions seraient dès lors entachées d’incompétence négative dans une mesure affectant le principe constitutionnel d’indépendance des membres des services d’inspection générale de l’État, qu’ils demandent au Conseil constitutionnel de reconnaître sur le fondement de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que, le cas échéant, de son article 16. Ils dénoncent également, pour les mêmes motifs, la méconnaissance directe, par ces dispositions, de ce même principe.

7. Les parties requérantes critiquent les autres dispositions renvoyées en ce qu’elles prévoient que les commissions chargées de proposer la nomination aux grades de maître des requêtes au Conseil d’État et de conseiller référendaire à la Cour des comptes sont composées pour moitié de personnalités nommées par le Président de la République et les présidents des assemblées parlementaires, sans prévoir de règle de départage des voix. Il en résulterait une méconnaissance des principes d’indépendance et d’impartialité des fonctions juridictionnelles ainsi que de la séparation des pouvoirs, protégés par l’article 16 de la Déclaration de 1789, en raison du risque d’immixtion des pouvoirs législatif et exécutif dans l’exercice des missions juridictionnelles et de blocage de l’activité des commissions. Pour les mêmes motifs, ils reprochent à ces dispositions d’être entachées d’incompétence négative dans une mesure affectant ces mêmes principes.

8. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur l’article 6 de l’ordonnance du 2 juin 2021, sur l’article L. 133-12-3 du code de justice administrative et sur l’article L. 122-9 du code des juridictions financières.

– Sur l’intervention :

9. Selon le deuxième alinéa de l’article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d’un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.

10. La seule qualité d’inspecteur général de l’administration n’est pas de nature à conférer à M. Renaud F. un intérêt spécial à intervenir dans la procédure. Par conséquent, son intervention n’est pas admise.

– Sur l’article 6 de l’ordonnance du 2 juin 2021 :

11. Aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article que de dispositions de nature législative.

12. Si les dispositions d’une ordonnance adoptée selon la procédure prévue à l’article 38 de la Constitution acquièrent valeur législative à compter de sa signature lorsqu’elles ont été ratifiées par le législateur, elles doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation, comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution dans les matières qui sont du domaine législatif.

13. D’une part, aucune exigence constitutionnelle n’impose que soit garantie l’indépendance des services d’inspection générale de l’État.

14. D’autre part, en vertu de l’article 34 de la Constitution, « La loi fixe les règles concernant … les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État ».

15. L’article 6 de l’ordonnance du 2 juin 2021, qui se borne à définir les conditions d’affectation à des emplois au sein de services d’inspection générale de l’État, ne met pas en cause des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires de l’État. Par conséquent, ces dispositions ne peuvent être regardées comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution.

16. Il n’y a donc pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur leur conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution.

– Sur les autres dispositions contestées :

17. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles.

18. L’article L. 133-12-3 du code de justice administrative fixe la composition de la commission d’intégration chargée de proposer la nomination au grade de maître des requêtes au Conseil d’État des auditeurs et des maîtres des requêtes en service extraordinaire. Cette commission est composée de trois membres du Conseil d’État et de trois personnalités qualifiées nommées respectivement par le Président de la République et les présidents des assemblées parlementaires.

19. L’article L. 122-9 du code des juridictions financières fixe quant à lui la composition de la commission d’intégration chargée de décider de la nomination au grade de conseiller référendaire à la Cour des comptes des auditeurs et des conseillers référendaires en service extraordinaire. Cette commission est composée de trois magistrats de la Cour des comptes et de trois personnalités qualifiées nommées respectivement par le Président de la République et les présidents des assemblées parlementaires.

20. En premier lieu, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que les personnalités qualifiées membres de ces commissions sont désignées en raison de leurs compétences dans un domaine précis et doivent présenter des garanties d’indépendance et d’impartialité propres à prévenir toute interférence des autorités législatives ou exécutives dans les délibérations de la commission ou tout conflit d’intérêts.

21. En deuxième lieu, les articles L. 133-12-4 du code de justice administrative et L. 122-10 du code des juridictions financières précisent que la commission prend en compte l’aptitude des candidats à exercer les fonctions auxquelles ils se destinent et, en particulier, leur compréhension des exigences déontologiques attachées à ces fonctions ainsi que leur sens de l’action publique.

22. En dernier lieu, l’absence de règle de départage des voix au sein des commissions d’intégration, qui conduit à ce que ne peuvent être proposés à la nomination que des candidats pour lesquels une majorité s’est dégagée, est sans incidence sur l’indépendance et l’impartialité des juridictions.

23. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.

24. Les articles L. 133-12-3 du code de justice administrative et L. 122-9 du code des juridictions financières, qui ne sont pas entachés d’incompétence négative et qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. – Il n’y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 6 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État.

Article 2. – L’article L. 133-12-3 du code de justice administrative et l’article L. 122-9 du code des juridictions financières, dans leur rédaction issue de la même ordonnance, sont conformes à la Constitution.

Article 3. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 janvier 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 14 janvier 2022.

ECLI : FR : CC : 2022 : 2021.961.QPC

 

 

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