Il n’est pas inconstitutionnel qu’il appartienne aux chasseurs d’indemniser le monde agricole pour les dégâts commis par le grand gibier.

Le régime d’indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et récoltes agricoles, très discuté, fait reposer ces compensations sur les épaules des seuls chasseurs (art. L. 426-1 et suivants du code de l’environnement), sous certaines conditions. 

Et cela va rester ainsi car ce régime n’est pas jugé, par les sages de la rue Montpensier, contraire au principe d’égalité face aux charges publiques, ce qui pouvait pourtant être très vivement discuté. 

 

Voici le point par lequel en octobre dernier le Conseil d’Etat avait accepté de transmettre ces questions en QPC aux sages de la rue de Montpensier :

« 2. Il résulte des écritures de la Fédération nationale des chasseurs qu’elle doit être regardée comme demandant au Conseil d’Etat, à l’appui de sa requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d’abroger les dispositions des articles R. 421-34, R. 421-35, R. 421-37, R. 421-39 et R. 426-1 à R. 426-19 du code de l’environnement relatives à la procédure non contentieuse d’indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et récoltes agricoles, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions législatives qui font reposer sur les fédérations départementales de chasseurs la charge financière de l’indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles, dont les requérants soutiennent qu’elles méconnaissent les principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques garanties par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et le droit de propriété. Ces dispositions sont celles du troisième alinéa de l’article L. 421-5, de l’article L. 426-3 et des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 426-5 du code de l’environnement, à l’exclusion des autres dispositions législatives citées dans le mémoire, qui n’ont pas le même objet. »

Source : CE, 15 octobre 2021, n° 454722

 

L’audience, sur ce point, s’est tenue le 11 janvier 2022. La voici en vidéo sur le site du Conseil constitutionnel  :

 

Voici le raisonnement tenu par le Conseil constitutionnel, combinant analyse du caractère assez limité desdites charges, prise en compte des missions accomplies par ces fédérations les conduisant à se trouver dans une différence de situation dans ce cadre justifiant cette différence de traitement, et la finalité d’intérêt général dudit régime :

5. La fédération requérante, rejointe par les parties intervenantes, reproche à ces dispositions de méconnaître le principe d’égalité devant les charges publiques, au motif qu’elles font peser sur les seules fédérations départementales des chasseurs la charge de l’indemnisation des dégâts de grand gibier, alors que son montant a augmenté en raison de la prolifération de certaines espèces et que les chasseurs ne sont pas responsables de ces dégâts. Pour les mêmes motifs, il en résulterait également une méconnaissance du droit de propriété.

6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et assurent l’indemnisation des dégâts de grand gibier dans les conditions prévues par les articles L. 426-1 et L. 426-5 » figurant au troisième alinéa de l’article L. 421-5 du code de l’environnement et sur les troisième et quatrième alinéas de l’article L. 426-5 du même code.

7. Selon l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Si cet article n’interdit pas de faire supporter, pour un motif d’intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

8. Les dispositions contestées de l’article L. 421-5 du code de l’environnement prévoient que les fédérations départementales des chasseurs assurent l’indemnisation des dégâts causés par le grand gibier dont, en application des dispositions contestées de l’article L. 426-5 du même code, le financement est réparti entre leurs adhérents.

9. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer le financement de l’indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et récoltes agricoles. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général.

10. En deuxième lieu, il résulte de l’article L. 421-5 du code de l’environnement que les fédérations départementales des chasseurs sont chargées de participer à la gestion de la faune sauvage, de coordonner l’action des associations communales et intercommunales de chasse agréées, de conduire des actions de prévention des dégâts de gibier et d’élaborer un schéma départemental de gestion cynégétique, dans lequel figurent notamment les plans de chasse et les plans de gestion. Ainsi, la prise en charge par ces fédérations de l’indemnisation des dégâts causés par le grand gibier est directement liée aux missions de service public qui leur sont confiées.

11. En dernier lieu, d’une part, seuls les dégâts causés aux cultures, aux inter-bandes des cultures pérennes, aux filets de récoltes agricoles ou aux récoltes agricoles peuvent donner lieu à indemnisation. En outre, l’indemnisation, dont le montant est déterminé sur la base de barèmes fixés par la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, n’est due que lorsque les dégâts sont supérieurs à un seuil minimal et fait l’objet d’un abattement proportionnel. D’autre part, l’indemnité peut être réduite s’il est établi que l’exploitant a une part de responsabilité dans la survenance des dégâts et aucune indemnité n’est due si les dommages ont été causés par des gibiers provenant de son propre fonds. Par ailleurs, la fédération départementale des chasseurs a toujours la possibilité de demander elle-même au responsable de lui verser le montant de l’indemnité qu’elle a accordée à l’exploitant.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu de la charge financière que représente en l’état l’indemnisation des dégâts causés par le grand gibier, les dispositions contestées n’entraînent pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 13 de la Déclaration de 1789 doit dès lors être écarté. »

 

Décision n° 2021-963 QPC du 20 janvier 2022, Fédération nationale des chasseurs [Indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles], Conformité