Accord-cadre à bons de commande : le Conseil d’Etat adopte un positionnement très strict !

 

La décision de la CJUE du 17 juin 2021 Simonsen Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark (C-23/20) n’a pas manqué, ces derniers mois, d’inquiéter de nombreux acheteurs français et de remettre en cause les pratiques de ces derniers concernant la passation des accord-cadre à bons de commande, en imposant la fixation systématique d’un maximum de commande.

Dans les semaines qui ont suivi, les tribunaux administratifs français ont eu un positionnement contradictoire et plus ou moins sévère pour les procédures dont l’avis d’appel public à la concurrence a été publié antérieurement à cette jurisprudence de la CJUE.

Avec une décision du 28 janvier 2022, le Conseil d’État se prononce pour la première fois sur les indications à communiquer aux candidats dans le cadre d’un accord-cadre à bons de commande depuis la décision de la CJUE susmentionnée et adopte un positionnement particulièrement strict !

–> pour accéder à cette décision du 28 janvier 2022, ainsi qu’à une analyse complémentaire sur ce même arrêt ainsi qu’à des lignes de défense en cas de contentieux (sur l’intérêt à agir des requérants notamment) voir notre autre article publié sur ce même arrêt :

 

Au cas d’espèce, il confirme l’ordonnance du Tribunal administratif de Bordeaux (TA Bordeaux, ord., 23 août 2021, n°2103959) qui avait sanctionné une communauté de communes, pour l’absence de fixation de maximum dans le cadre de son accord-cadre de « collecte en porte-en-porte et en apport volontaire, tri et valorisation des déchets »  (cf. article de notre blog « Marchés à bon de commande ou accords cadres passés sans plafond : attention le juge français commence à frapper ! »).

La Communauté de communes avait lancé en mai 2021 (publication au BOAMP le 8 mai et le 11 mai au JOUE), via un avis d’appel public à la concurrence, l’appel d’offres, sans fixer dans l’avis ou dans les pièces du DCE un maximum. Autrement dit, cette procédure a démarré avant la décision rendue par la CJUE le 17 juin de la même année.

Un candidat évincé et classé en seconde position a contesté cette procédure devant le juge des référés précontractuels qui l’a annulé.

Par cet arrêt, le Conseil d’État suit le raisonnement du juge des référés en appliquant fidèlement la décision de la CJUE du 17 juin 2021, Simonsen Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark (C-23/20).

Il convient, néanmoins, de noter que le Conseil d’État distingue 2 situations différentes :

  • D’une part, comme dans le cadre de l’affaire en cause, celle où le marché entre dans le champ d’application de la directive du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, quand bien même il a fait l’objet d’une publication avant que la CJUE rende sa décision du 17 juin 2021. Dans cette configuration, il estime de façon très stricte que l’accord-cadre, mais dans la lignée du raisonnement de la CJUE (absence d’application différée dans le temps) qu’il doit obligatoirement comporter « la mention du montant maximal en valeur ou en quantité que prévoit le pouvoir adjudicateur ».

 

  • D’autre part, les accords-cadres qui ne sont pas soumis à la directive du 26 février 2014 et qui ont fait l’objet d’un lancement après la décision de la CJUE du 17 juin 2021 et une fois le décret n°2021-1111 du 23 août 2021 modifiant les dispositions du code de la commande publique relatives aux accords-cadres et marchés publics de défense ou de sécurité adopté. Dans cette configuration, le Conseil d’État estime que les acheteurs pouvaient se dispenser de fixer un maximum puisque le décret a différé l’entrée en vigueur de la modification de l’article R. 2162-4 du code de la commande publique, au 1er janvier 2022, pour éviter de « porter une atteinte excessive aux intérêts privés et publics en cause ».

 

Il convient, néanmoins, de noter que ce deuxième cas de figure envisagé par la Haute Juridiction est extrêmement limité. En effet, les marchés qui n’entrent pas dans le champ d’application de la directive concernent essentiellement les marchés dont la valeur estimée est inférieure aux seuils européens. Cependant, conformément à l’article R. 2121-8 du Code de la commande publique, dans sa version applicable jusqu’au 1er janvier 2022, lorsqu’un accord-cadre ne fixe pas de maximum « sa valeur estimée est réputée excéder les seuils de procédure formalisée ». Dès lors, la notion des marchés qui n’entrent pas dans le champ d’application de la directive doit certainement s’entendre dans cette décision comme les autres hypothèses que les marchés inférieurs aux seuils.

En tout état de cause, cette hypothèse ne s’applique qu’à un nombre très restreint de marché et sur une durée très courte puisque, les articles 2 et 4 du décret n°2021-1111 du 23 août 2021 susmentionné, sont entrés en vigueur pour tous les accords-cadres au 1er janvier dernier.

Au cas présent, le Conseil d’État considère que l’absence de toute mention dans l’avis de marché et dans les documents contractuels du montant maximal en valeur ou en quantité de l’accord- cadre contesté n’a pu permettre au candidat évincé de présenter « une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pourrait être amenée à répondre ».

Le Conseil d’État confirme le raisonnement du juge des référés et considère que la Communauté de communes a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence et que le requérant avait bien été lésé dans cette situation. Au cas présent, on peut s’étonner à nouveau de la sévérité du Conseil d’État concernant l’existence de la lésion.

Enfin, à noter pour les acheteurs, le Conseil d’Etat indique que la mention du maximum en valeur ou en quantité peut figurer dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents contractuels mentionnés dans cet avis (DCE).

*article rédigé avec la contribution de Mathilde Ifcic, avocate