Le Conseil d’Etat vient, par une décision de ce jour, de refuser de transmettre une QPC en matière de commissaires enquêteurs.
Rappel : ce régime est celui de l’établissement d’une liste d’aptitude des commissaires enquêteurs par une commission départementale, avec révision annuelle et radiation possible de la liste.
Or, ce rejet est aussi intéressant mais n’est pas à l’abri de tout débat car :
- le Conseil d’Etat y valide le régime de l’article L. 123-4 du code de l’environnement qui n’a pour sanction (pour méconnaissance aux obligations de l’article L. 123-15 de ce même code) que la radiation pure et simple. Le requérant soutenait avec à notre sens une certaine solidité que l’existence en pareil cas que d’une seule sanction possible, méconnaissait les principes d’impartialité et d’indépendance découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et aux principes de proportionnalité et d’individualisation des peines garantis par l’article 8 de cette Déclaration. Or, ce point est balayé par la Haute Assemblée qui rappelle qu’il y a bien une appréciation in concreto. Certes, mais avec une sanction unique possible ? Peu importe nous dit le Conseil d’Etat :
- « 7. Aux termes des dispositions contestées, la radiation de la liste des commissaires-enquêteurs est prévue en cas de manquement d’un commissaire-enquêteur à ses obligations. La limitation par la loi de la sanction à la seule radiation de la liste ne méconnaît pas, par elle-même, les principes de proportionnalité et d’individualisation des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dès lors qu’elle est prononcée en fonction de la gravité des manquements reprochés au commissaire-enquêteur, après un examen individuel par la commission et sous le contrôle du juge administratif.»
- … alors que le Conseil constitutionnel est devenu assez sévère pour imposer une vraie proportionnalité des peines (le Conseil d’Etat n’eût-il pas mieux sauvé ce régime en interprétant le texte comme prévoyant la radiation comme étant un maximum, avec de possibles suspensions — ce qu’il eût pu oser —, en lieu et place d’y voir et pur et simple maximum ?).
Sources : C. const., 86-215 DC, 3 septembre 1986, cons. 23 ; C. const., 2001-455 DC, 12 janvier 2002, cons. 85 ; C. const., 87-237 DC, 30 décembre 1987, cons. 16 et 17…
- le requérant estimait qu’il était un peu étrange que le juge administratif soit le juge ayant à connaître d’une décision d’une commission qu’il préside. Le Conseil d’Etat n’y a pas vu malice (et de fait cela se règle ensuite par les modalités de déport individuel des magistrats, même si là encore on pourrait en débattre, surtout en l’état de ce que peuvent être les inévitables faiblesses humaines face à l’esprit de corps mais bon…) :
« 4. M. Ullmann soutient que les règles relatives à la composition, à la saisine et au fonctionnement de la commission compétente pour prononcer la radiation d’un commissaire- enquêteur de la liste d’aptitude qu’elle établit méconnaissent les principes d’impartialité et d’indépendance découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
« 5. Toutefois, d’une part, s’agissant de la composition de cette commission, la disposition législative en cause se borne à prévoir sa présidence par le président du tribunal administratif ou le magistrat administratif qu’il délègue, ce qui constitue une garantie de l’impartialité et de l’indépendance de cette commission, les autres dispositions relatives à lacomposition de la commission étant fixées par voie réglementaire et ne pouvant, dès lors, être contestées dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.
« 6. D’autre part, eu égard à la nature de la mission du commissaire enquêteur, qui est désigné pour une enquête publique donnée, par le président du tribunal administratif, parmi les membres de la liste d’aptitude arrêtée par la commission, M. Ullmann ne saurait utilement soutenir que le législateur aurait dû, pour assurer le respect du principe d’impartialité garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, organiser une séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’impartialité et d’indépendance garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne peuvent qu’être écartés. »
En l’espèce, ce n’est d’ailleurs pas le Président du TA qui avait saisi la commission de radiation, c’est le préfet. Mais, couplé avec les moyens du requérant, cela a conduit à un examen de ce point de droit par la Haute Assemblée.
Au stade des instructions de certaines décisions environnementales, le juge avait su imposer par exemple aux préfets de ne pas être à la fois instructeurs et décideurs (CE, 20 septembre 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire c/ Association « Sauvons le paradis » et autres, n° 428274, B. ; CE, 21 août 2019, 406892 ; sur le fait que la frontière est de savoir si l’autorité a eu ou non la charge d’élaborer le projet, voir CE, 25 septembre 2019, France Nature Environnement, n° 427145, rec. T. pp. 611-845… mais par exemple pour l’article 6 de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 la séparation fonctionnelle est imposée entre l’autorisation et la consultation en matière environnementale pour que l’avis donné soit objectif sur le projet concerné). Plus récemment, voir CE, 16 février 2022, n° 437202, à mentionner aux tables du recueil Lebon ; et voir notre article : Cartes communales ou autres plans ou programmes : le préfet peut en amont statuer sur le besoin d’une évaluation environnementale, et en aval avoir un avis à rendre… ce n’est pas illégal tant qu’il n’a pas en sus élaboré ledit plan ou programme ).
Ceci dit, lorsqu’il s’agit d’indépendance entre juge administratif et juge administratif, le juge administratif est plus souple avec le juge administratif.
Exemples : compétence du Conseil d’Etat pour être juge des actes de son patron (i.e. son Vice-Président) en matière de charte de déontologie (CE, 25 mars 2020, n° 421149, publié au rec.) , où le Conseil d’Etat valide la décision de son Vice-Président (qui rappelons le exerce la vraie présidence de la Haute Assemblée) encadrant, via la charte de déontologie de la juridiction administrative, la liberté d’expression des juges administratifs, notamment sur les réseaux sociaux (voir aussi Décision n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017). Idem : quel juge pour connaître du tableau d’avancement des magistrats administratifs ? Réponse : en l’état du droit, l’entre-soi reste inévitable…et le Conseil d’Etat connaît des décisions du du tableau d’avancement des magistrats administratifs établi par le CSTA-CAA (ce qui quand on connaît l’importance du Palais Royal au sein dudit CSTA-CAA ne manque pas de sel : CE, 24 janvier 2022, n° 445786, à mentionner aux tables du recueil Lebon).
Alors c’est sûr que vu ces décisions 445786 et 421149… ce n’est pas la présidence d’une commissions par un magistrat qui allait entrainer une censure par le Conseil d’Etat.
Ceci dit, autant les décisions 445786 et 421149 posent problème et nous semblent imposer tout simplement une réforme législative dont le Conseil ne veut surtout pas, autant en l’espèce le conflit peut sembler moins net.
En tous cas, voici cette décision, évoquée ci-avant avec le nom du requérant car j’ai eu son accord et l’ordonnance à ce sujet dès notification ; ceci dit voici la version anonymisée ci-dessous :
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Mise à jour au 12 mai 2022 :
Les conclusions du rapporteur public, M. Nicolas AGNOUX, sont en ligne ici sur le site du Conseil d’Etat (base Ariane) :
On notera que les conclusions nous semblent, sur la fin, au moment où se noue le raisonnement, contradictoires entre l’autonomie / l’impartialité (l’indépendance eût été un mot mieux choisi…) et la qualité affirmées comme essentielles et les conclusions qu’on en tire en se fondant sur des analogies avec ces agents ou des situations qui ne sont pas en situations d’autonomie ou d’impartialité ou d’indépendance…

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