La CJUE continue de démanteler le nationalisme juridictionnel de quelques Etats… dont le notre (en matière de questions préjudicielles ou de PIIC)

Crédits photographiques : Cour de justice de l'Union européenne - CJUE

Les débats entre la force juridique des décisions de l’Union européenne et des positions plus ou moins marquées par une forme de souverainiste juridique ne cessent d’être alimentés par des vents d’Est, avec récemment des décisions des tribunaux constitutionnels allemand puis polonais.

Mais la France n’est pas en reste : après avoir, un peu en 2004 et très clairement en 2006, créé la notion de « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France» (PIIC), en octobre 2021, le Conseil constitutionnel français dégage un premier de ces principes aux atours souverainistes.

Sauf que c’est exactement que ce, ce jour, la CJUE vient de condamner, fidèle à ses jurisprudences en ces domaines.

Dans le match entre primauté du droit européen et nationalisme de certaines cours (dont nos juridictions du Palais Royal), la CJUE vient de réaffirmer la primauté du droit européen et l’obligation de poser des questions préjudicielles et l’impossibilité de s’abriter derrière des validations par le juge national suprême qui pourraient être contraires à cette primauté. Derrière ce point, des positions comme celle de l’affirmation en France des PIIC par le Conseil constitutionnel, s’avèrent dès lors sans doute contraires au droit européen.

 

I. L’ascension du PIIC, en France, dans un contexte de regain de nationalisme juridique pour de nombreuses juridictions nationales au sein de l’Union

 

Révolution pour les uns, utiles garde-fous pour les autres, ces principes créés par le Conseil constitutionnel (A), en parallèle de l’évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat (B), vont donc maintenant devenir concrets, tangibles (C). Nul doute que classer tel ou tel principe selon son rang entre divers niveaux de principes va devenir un art taxinomique singulièrement délicat, réservé aux juristes avertis.

Les débats entre la force juridique des décisions de l’Union européenne et des positions plus ou moins souverainistes ne cessent d’être alimentés par des juridictions nationales soucieuses de poser quelques bornes à l’expansion du droit de l’Union :

Voir aussi CC italien, 13-21 avril 1989, SpA Fragd c/Amministratione delle Finanze, sent. n° 232/89, FI, 1990, I, p. 1855.

Voir aussi CC italien, 13-21 avril 1989, SpA Fragd c/Amministratione delle Finanze, sent. n° 232/89, FI, 1990, I, p. 1855.

Mais de telles positions sont à apprécier aussi à l’aune de l’évolution des positions du juge européen, plus souple qu’auparavant (CJUE 15 avril 2016, Pál Aranyosi et Robert Căldăraru, aff. C-404/15 et C-695/15 PPU).

Mais notre Conseil constitutionnel s’est doté de la possibilité de positions similaires, en parallèle à l’évolution du Conseil d’Etat, avec, en octobre 2021, une application un peu concrète.

 

I.A. Il y a 7, puis 5 ans, déjà…

 

En effet, avec constance désormais, le Conseil constitutionnel assujettit la transposition d’une directive ou d’un règlement au respect, ou non, d’un « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » : « La transposition d’une directive ou l’adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. »

Cette formulation s’est développée depuis quelques petites années. Voir :

  • décision n°2006-540 DC du 27 juillet 2006 (Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, considérant 19)
  • qui reprenait en réalité mais en en changeant la formulation, une notion dégagée par la décision n° 2004-496 DC, 10 juin 2004 (« il ne pourrait être fait obstacle à la transposition en droit interne d’une directive communautaire qu’en raison d’une disposition expresse contraire de la Constitution »)
  • réaffirmée avec constance depuis, mais sans contenu réel précis. Voir récemment : décision n° 2021-905 QPC du 7 mai 2021, Section française de l’observatoire international des prisons ; décision n° 2018-765 DC du 12 juin 2018.

Lire à ces sujets : « Les règles ou principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France » : une supra-constitutionnalité ? », par Édouard Dubout, in Revue française de droit constitutionnel 2010/3 (n° 83), pages 451 à 482. Voir aussi la contribution de M. Dominique Rousseau in « L’identité constitutionnelle saisie par les juges en Europe », Sous la dir. de Laurence Burgorgue-Larsen, éd. Pédone 2011.

I.B. Une évolution parallèle à celle du Conseil d’Etat

Peu de mois après la décision fondatrice n°2006-540 DC du 27 juillet 2006, le Conseil d’Etat emboitait le pas de l’autre aile du Palais Royal sur ce thème, avec le célèbre arrêt Société Arcelor Lorraine (CE Ass., 8 février 2007, n° 287110).

NB : voir à ces sujets aussi A. Levade, « Le Palais Royal aux prises avec la constitutionnalité des actes de transposition des directives communautaires », RFDA, mai-juin 2007, p. 564-577.

Cet état du droit avait été retracé en 2017, le Vice-Président du Conseil d’Etat lui-même :

«En France, l’article 54 de la Constitution instaure la primauté des normes constitutionnelles, y compris sur les normes de droit international. […] pour examiner si un acte de transposition des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive méconnaît un principe de valeur constitutionnelle, [le juge français] doit d’abord rechercher si un principe similaire existe et se trouve effectivement protégé en droit de l’Union, auquel cas il lui revient de contrôler la conformité de la directive à ce principe, le cas échéant en posant une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union […]. Si, en revanche, le principe constitutionnel invoqué ne fait pas l’objet d’une protection effective en droit de l’Union, le juge administratif accepte de contrôler directement la conformité à la Constitution de l’acte contesté. »

Source : voir sur le site du CE, l’intervention de M. J.-M. Sauvé au Congrès du 25ème anniversaire de l’Académie de droit européen à Trèves le 19/10/17, « L’autorité du droit de l’Union européenne : le point de vue des juridictions constitutionnelles et suprêmes ». Lire aussi F-X, Millet, « Réflexions sur la notion de protection équivalente des droits fondamentaux », in RFDA, 2012, n° 2, p. 307.

Il en résulte parfois un refus net par le juge français d’appliquer l’interprétation de la CJUE dans tel ou tel domaine mais au tournant des années 2014-2015 il est devenu clair que la CJUE elle-même accepte de telles modulations par le juge national (CE Ass., 27 mars 2015, M. Quintanel, n° 372426 ; versus CJUE, 17 juillet 2014, M. et Mme Leone, aff. C-173/13).

NB : lire à ce sujet l’article — et surtout sa conclusion — suivant : Didier Girard, « Si, en théorie, l’égalité homme-femme est absolue, il existe, en pratique, des possibilités d’aménagements nationaux dans un but social », Note sous CE Ass., 27 mars 2015, Quintanel, n° 372.426 ‘ : Revue générale du droit on line, 2015, numéro 22550.

Le mode d’emploi a été affiné plus récemment par l’important arrêt « French Data Network et autres » rendu le Conseil d’Etat (21 avril 2021, French Data Network et autres n° 393099, 394922, 397844, 397851, 424717 et 424718.

Dans cette affaire la Haute Assemblée avait refusé de contrôler que les organes de l’Union européenne, et notamment la CJUE, n’ont pas excédé leurs compétences (contrôle dit de l’« ultra vires »).

Mais elle avait accepté en réalité un niveau de contrôle (de désobéissance ?) proche de ce qui était demandé par le Gouvernement.

En effet, le Conseil d’Etat s’est autorisé à « vérifier que le respect du droit européen tel qu’interprété par la CJUE ne compromettait pas les exigences de la Constitution française » (l’angle est habile car il porte sur les faiblesses de l’Union…)… y compris en s’autorisant à étudier si les exigences constitutionnelle en question bénéficient ou non, en droit de l’Union, d’une protection équivalente à celle que garantit la Constitution. Le Conseil d’Etat poursuit même sur cette lancée au point de s’autoriser à regarder si ce que propose la CJUE est, ou n’est pas, opérationnel et/ou possible… ce qui module, voire dépasse, les privautés que le Conseil d’Etat s’était déjà auto-octroyées en 2007.

Ce faisant, le Conseil d’Etat ne s’accorde pas, d’un point de vue théorique, la même souveraineté du droit national que le Tribunal constitutionnel allemand… tout en s’accordant en réalité presque la même marge de manoeuvre.

I.C. L’ascension du 1er PIIC

Donc depuis plusieurs années, « la transposition d’une directive ou l’adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti » avec un net parallèle avec l’arrêt Arcelor du Conseil d’Etat car un tel principe apparaît aussi quand les garanties du droit européen semblent moindres que ce qui est garanti en France.

Mais cette notion, révolutionnaire et souverainiste en son essence, n’avait pas encore d’application concrète avant que le Conseil constitutionnel ne rende le 15 octobre 2021 une décision « Société Air France », en QPC, validant l’obligation pour les transporteurs aériens de réacheminer les étrangers dont l’entrée en France est refusée. Le Conseil constitutionnel avait sur ce point à confirmer qu’il est en droit français des actions qui ne peuvent être données au secteur privé.

Ce sujet n’est en effet pas nouveau (pour un arrêt important à ce sujet, voir CE, 29 décembre 1997, n° 170606, mentionné aux tables du rec. ; cf. aussi les points 51 à 60 de C. Const., décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021)…. même s’il demeure doté de frontières parfois instables en droit administratif (TC, 30 juin 2008, C3671 ; CE, 7 octobre 1986, avis non contentieux n° 340 609 ; CE, 29 décembre 1997, n° 170606 ; CAA Lyon, 25 février 2020, 18LY00103 ; TA Montpellier, ord., 19 janvier 2016, Préfet de l’Hérault, n°1506697…).

Ce principe de « l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits », le Conseil constitutionnel a décidé de l’ériger au rang de « règle ou [de] principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ».

Au regard des formulations de l’article 55 de notre Constitution, nul doute qu’il s’est agi, en 2006, d’une innovation osée. Il aura fallu du temps pour qu’une telle borne soit ensuite concrètement posée face au droit de l’Union, dans un domaine où le même résultat eût pu être atteint sans avoir à invoquer ce nouveau type de principe. Sans doute les membres du Conseil constitutionnel ont-ils voulu rendre aussi intangible que possible leur création, et ce dans un domaine à forte acceptabilité politique…

Peut-être aussi ont-ils voulu parachever cette révolution, et ce sous la houlette d’un Président qui en ce domaine a une histoire personnelle qu’il veut sans doute traduire dans la grande Histoire…

Là encore, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, le fait est là : la France n’est, y compris constitutionnellement donc, absolument plus un pays poussant à «une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe», pour reprendre la formulation du traité sur l’Union européenne en date du 7 février 1992. A ce titre, l’érection de ce PIIC, c’est l’ascension d’un principe souverainiste par nature, tournant le dos aux sommets européens et à l’espoir de peser, ensemble, dans le vaste Monde. 

 

Extrait de cette décision

« 14. […] le droit à la sûreté, le principe de responsabilité personnelle et l’égalité devant les charges publiques, qui sont protégés par le droit de l’Union européenne, ne constituent pas des règles ou principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France. Il n’appartient donc pas au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces griefs.

15. […de] l’article 12 de la Déclaration de 1789 […] résulte l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits. Cette exigence constitue un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.

16. La décision de mettre en œuvre le réacheminement d’une personne non admise sur le territoire français relève de la compétence exclusive des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière. En application des dispositions contestées, les entreprises de transport aérien ne sont tenues, à la requête de ces autorités, que de prendre en charge ces personnes et d’assurer leur transport. […] ».

[Décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 »

Voici, à ce sujet, un dossier vidéo que nous avions fait à chaud, de 3 mn 50, principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la Francintitulé  « Constitution, Europe : l’ascension du PIIC », présenté par Me Eric Landot suivi par un grand entretien avec :

  • Monsieur Didier Maus, 
    Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel

https://youtu.be/o0EVBWwDh10

 

Il s’agit d’un extrait de notre chronique vidéo hebdomadaire, « les 5′ juridiques », réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés :

 

 

II. Dans le même temps, mais à contre sens de celui de l’ascension des PIIC, la CJUE en divers domaines prenait toute une série de mesures de nature à maintenir la primauté du droit de l’Union européenne 

 

Dans le même temps ou presque, la CJUE rendait des décisions en matière d’une part de questions préjudicielles et d’autre part de règles nationales et de latitude données aux juges nationaux, qui n’allaient pas du tout dans ce même sens.

Sources récentes : CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management, Catania Multiservizi SpA, contre Rete Ferroviaria Italiana SpA, C-561/19 ; CJUE, grande chambre, 23 novembre 2021, Pesti Központi Kerületi Bíróság, C‑564/19.

Voir aussi :

 

On le voit, nous sommes au coeur de tensions fortes entre juridictions nationales et européennes, au delà du cadre roumain.

Faire prévaloir la primauté du droit de l’Union impose que les juges posent des questions préjudicielles et se justifient quand ils ne le font pas (CJUE, 6 octobre 1982, Cilfit e.a., 283/81, EU:C:1982:335, point 21), conduisant à la censure des juridictions nationales quand celles-ci s’y opposent ou négligent de le faire. A défaut, l’Etat peut être condamné par une action en manquement, comme l’a été la France en raison des réticences du Conseil d’Etat à saisir la CJUE (voir (CJUE, 4 octobre 2018, aff. C‑416/17 ; voir notre article ici : Le Conseil d’Etat se fait gronder très, très fort par la Cour de Justice de l’Union européenne… au point que la France s’en trouve condamnée pour « action en manquement »). De telles positions sont à apprécier aussi à l’aune de l’évolution des positions du juge européen, plus souple qu’auparavant (CJUE 15 avril 2016, Pál Aranyosi et Robert Căldăraru, aff. C-404/15 et C-695/15 PPU).

Et donc, surtout, la CJUE a estimé qu’étaient démonétisées les sanctions ou les jurisprudences en sens contraire (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management, Catania Multiservizi SpA, contre Rete Ferroviaria Italiana SpA, C-561/19 ; CJUE, grande chambre, 23 novembre 2021, Pesti Központi Kerületi Bíróság, C‑564/19 ; voir notre vidéo et nos articles précités).

L’affaire Euro Box a aussi été l’occasion de censurer le nationalisme juridictionnel national de certains pays de l’Union à rebours de la construction de ces dernières décennies, selon des réactions que l’on trouve aussi dans les sociétés qui composent nos Etats.

Dans les affaires jointes C-357/19 Euro Box Promotion e.a., C-379/19 DNA- Serviciul Teritorial Oradea, C-547/19 Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România », C-811/19 FQ e.a. et C-840/19 NC, la CJUE a posé, le 21 décembre 2021, que le droit de l’Union s’oppose à l’application d’une jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans la mesure où celle-ci, combinée avec les dispositions nationales en matière de prescription, crée un risque systémique d’impunité.

La primauté du droit de l’Union exige en effet, selon la Cour, que les juridictions nationales aient le pouvoir de laisser inappliquée une décision d’une cour constitutionnelle qui serait contraire à ce droit, notamment sans courir le risque d’engager leur responsabilité disciplinaire.

Dans ce cadre, l’arrêt de la CJUE rendu le 21 décembre 2021, de nouveau relatif à la Roumanie, conduit à poser que le droit de l’Union interdit les jurisprudences et législations nationales pouvant conduire à risque systémique d’impunité en matière de fraude et de corruption… y compris là encore au point d’écarter le droit national et de protéger contre toute sanction les juges nationaux qui viendraient à écarter ledit droit national au nom du droit de l’Union (pour appliquer le droit de l’Union ou pour poser une question préjudicielle).

Sources sur l’épisode précédent de cette même affaire : CJUE, 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C-83/19, C-127/19, C-195/19, C-291/19, C-355/19 et C-397/19 (voir également le CP n° 82/21).

C’est donc dans ce cadre que la CJUE a donc posé que :

  • le droit de l’Union s’oppose à l’application d’une jurisprudence de la Cour constitutionnelle conduisant à l’annulation des jugements rendus par des formations de jugement irrégulièrement composées, dans la mesure où celle-ci, combinée avec les dispositions nationales en matière de prescription, crée un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou de corruption.
  • figure parmi de telles obligations la lutte contre toute activité illégale, laquelle comprend les infractions de corruption, qui porte atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures dissuasives et effectives
  • l’exigence d’effectivité en découlant s’étend nécessairement tant aux poursuites et sanctions de ces infractions qu’à l’application des peines infligées dans la mesure où, en l’absence d’exécution effective des sanctions des infractions de fraude portant atteinte à ces intérêts et de corruption en général, celles-ci ne sauraient être effectives et dissuasives.
  • le respect de ces obligations incombe, au premier chef, au législateur national de prendre les mesures nécessaires aux fins de garantir
    que le régime procédural applicable auxdites infractions ne présente pas un risque systémique d’impunité.
  • mais ce respect s’impose aussi aux juridictions nationales, lesquelles doivent laisser inappliquées les dispositions internes faisant obstacle à l’application de sanctions effectives et dissuasives.
  • cela passe par des garanties d’indépendance des juges.
  • Le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que les décisions de la Cour constitutionnelle lient les juridictions de droit commun, à condition que l’indépendance de cette cour à l’égard notamment des pouvoirs législatif et exécutif soit garantie. En revanche, ce droit s’oppose à ce que la responsabilité disciplinaire des juges nationaux soit engagée par toute méconnaissance de telles décisions.
    Le principe de primauté du droit de l’Union s’oppose à ce que les juridictions nationales ne puissent, sous peine de sanctions disciplinaires, laisser inappliquées les décisions de la Cour constitutionnelle contraires au droit de l’Union.

CJUE, Grande Chambre, 21 décembre 2021, C‑357:19, C‑379:19, C‑547:19, C‑811:19 et C‑840:19

 

Voir pour de plus amples développements notre article de janvier dernier :

 

En 5 mn 50, en vidéo, fin 2021, j’avais tenté de présenter quelques éléments de ce dispositif défensif :

https://youtu.be/F1RlCTE-okM

 

 

Sources : CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management, Catania Multiservizi SpA, contre Rete Ferroviaria Italiana SpA, C-561/19 ; CJUE, grande chambre, 23 novembre 2021, Pesti Központi Kerületi Bíróság, C‑564/19.

Voir aussi :

 

III. C’est dans cette même veine (et dans le même dossier sur l’anti corruption en Roumanie) que la CJUE vient de donner un coup de canif dans le PIIC (et dans celui de ses équivalents dans les autres pays de l’Union)

 

NB : ce qui suit reprend en partie des éléments du communiqué de la CJUE de ce jour. 

 

Dans  l’affaire C-430/21 Presse et Information RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), ce jour, la CJUE a posé que le droit de l’Union s’oppose à une règle nationale en vertu de laquelle les juridictions nationales ne sont pas habilitées à examiner la conformité avec le droit de l’Union d’une législation nationale qui a été jugée constitutionnelle par un arrêt de la cour constitutionnelle de l’État membre. 

L’application d’une telle règle porterait en effet atteinte au principe de primauté du droit de l’Union et à l’efficacité du mécanisme du renvoi préjudiciel

La Cour était en l’espèce appelée à se prononcer sur le principe de l’indépendance des juges, consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa TUE, lu en combinaison notamment avec le principe de primauté du droit de l’Union, dans un contexte où une juridiction de droit commun d’un État membre n’est pas habilitée, en application du droit national, à examiner la conformité au droit de l’Union d’une législation nationale, jugée conforme à la Constitution par la cour constitutionnelle de cet État membre, et où le juge national s’expose à des poursuites et à des sanctions disciplinaires s’il décide de procéder à un tel examen.

En l’espèce, RS a été condamné à la suite d’une procédure pénale en Roumanie. Son épouse a alors déposé une plainte visant, notamment, plusieurs magistrats pour des infractions prétendument commises lors de ladite procédure pénale. Par la suite, RS a introduit un recours devant la Curtea de Apel Craiova (cour d’appel de Craiova, Roumanie), en vue de contester le caractère excessif de la durée des poursuites pénales engagées à la suite de cette plainte.

Afin de se prononcer sur ce recours, la cour d’appel de Craiova estime devoir apprécier la compatibilité, avec le droit de l’Union, de la législation nationale ayant instauré une section spécialisée du ministère public chargée des enquêtes sur les infractions commises au sein du système judiciaire, telles que celle qui a été engagée en l’espèce. Toutefois, compte tenu de l’arrêt de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) 2, rendu après l’arrêt de la Cour dans l’affaire Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a. 3, la cour d’appel de Craiova ne serait pas habilitée, en application du droit national, à procéder à un tel examen de conformité. En effet, par son arrêt, la Cour constitutionnelle a rejeté en tant que non fondée l’exception d’inconstitutionnalité soulevée à l’égard de plusieurs dispositions de cette législation, tout en soulignant que, lorsqu’elle déclare une législation nationale conforme à la disposition de la Constitution qui impose le respect du principe de primauté du droit de l’Union 4, une juridiction de droit commun n’est pas habilitée à examiner la conformité de cette législation nationale avec le droit de l’Union.

Dans ce contexte (et c’était courageux), la cour d’appel de Craiova a décidé de saisir la Cour afin de clarifier, en substance, si le droit de l’Union s’oppose à l’absence d’habilitation d’un juge national de droit commun pour examiner la conformité avec le droit de l’Union d’une législation, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, et à l’application de sanctions disciplinaires à ce juge, au motif que celui-ci décide de procéder à un tel examen.

La Cour, réunie en grande chambre, juge qu’une telle réglementation ou pratique nationale est contraire au droit de l’Union.

Tout d’abord, la Cour considère que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ne s’oppose pas à une réglementation ou pratique nationale qui prévoit que les juridictions de droit commun d’un État membre, en vertu du droit constitutionnel national, sont liées par une décision de la cour constitutionnelle de cet État membre jugeant une législation nationale conforme à la Constitution dudit État, à condition que le droit national garantisse l’indépendance de cette cour constitutionnelle, à l’égard notamment des pouvoirs législatif et exécutif. Toutefois, tel n’est pas le cas lorsque l’application d’une telle réglementation ou d’une telle pratique implique d’exclure toutecompétence de ces juridictions de droit commun pour apprécier la compatibilité avec le droit de l’Union d’une législation nationale qu’une telle cour constitutionnelle a jugée conforme à une disposition constitutionnelle nationale prévoyant la primauté du droit de l’Union.

Ensuite, la Cour souligne que le respect de l’obligation incombant au juge national d’appliquer intégralement toute disposition du droit de l’Union d’effet direct est nécessaire notamment pour assurer le respect de l’égalité des États membres devant les traités, laquelle exclut la possibilité de faire prévaloir, contre l’ordre juridique de l’Union, une mesure unilatérale, quelle qu’elle soit, et constitue une expression du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, lequel impose de laisser inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la législation nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle du droit de l’Union d’effet direct.

Dans ce contexte, la Cour rappelle avoir déjà jugé, d’une part, que la législation en cause relève du champ d’application de la décision 2006/928 et qu’elle doit, en conséquence, respecter les exigences découlant du droit de l’Union, en particulier de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, TUE 7. D’autre part, tant l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE que les objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption énoncés à l’annexe de la décision 2006/928 sont formulés en des termes clairs et précis et ne sont assortis d’aucune condition, si bien qu’ils sont d’effet direct 8. Il s’ensuit que, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation conforme des dispositions nationales avec ladite disposition ou avec lesdits objectifs, les juridictions de droit commun roumaines doivent écarter, de leur propre autorité, ces dispositions nationales.

À cet égard, la Cour relève que les juridictions de droit commun roumaines sont, en principe, compétentes pour apprécier la compatibilité avec ces normes de droit de l’Union des dispositions législatives nationales, sans avoir à saisir la Cour constitutionnelle d’une demande à cette fin. Toutefois, elles sont privées de cette compétence lorsque la Cour constitutionnelle a jugé que ces dispositions législatives sont conformes à une disposition constitutionnelle nationale prévoyant la primauté du droit de l’Union, en ce que ces juridictions sont tenues de se conformer à cette décision. Or, une telle règle ou pratique nationale ferait obstacle à la pleine efficacité des normes de droit de l’Union en cause, en tant qu’elle empêcherait la juridiction de droit commun appelée à assurer l’application du droit de l’Union d’apprécier elle-même la compatibilité de ces dispositions législatives avec ce droit.

En outre, l’application d’une telle règle ou d’une telle pratique nationale porterait atteinte à l’efficacité de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par le mécanisme du renvoi préjudiciel, en dissuadant la juridiction de droit commun appelée à trancher le litige de saisir la Cour d’une demande préjudicielle, et ce afin de se conformer aux décisions de la cour constitutionnelle de l’État membre concerné.

La Cour souligne que ces constats s’imposent d’autant plus dans une situation dans laquelle un arrêt de la cour constitutionnelle de l’État membre concerné refuse de donner suite à un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour, en se fondant, notamment, sur l’identité constitutionnelle de cet État membre et sur la considération selon laquelle la Cour aurait outrepassé sa compétence. La Cour relève qu’elle peut, au titre de l’article 4, paragraphe 2, TUE, être appelée à vérifier qu’une obligation de droit de l’Union ne méconnaît pas l’identité nationale d’un État membre. En revanche, cette disposition n’a ni pour objet ni pour effet d’autoriser une cour constitutionnelle d’un Étatmembre, au mépris des obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union, à écarter l’application d’une norme de droit de l’Union, au motif que cette norme méconnaîtrait l’identité nationale de l’État membre concerné telle que définie par la cour constitutionnelle nationale. Ainsi, si la cour constitutionnelle d’un État membre estime qu’une disposition de droit dérivé de l’Union, telle qu’interprétée par la Cour, méconnaît l’obligation de respecter l’identité nationale de cet État membre, elle doit saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle, en vue d’apprécier la validité de cette disposition à la lumière de l’article 4, paragraphe 2, TUE, la Cour étant seulecompétente pour constater l’invalidité d’un acte de l’Union.

En outre, la Cour souligne que, dès lors qu’elle détient une compétence exclusive pour fournir l’interprétation définitive du droit de l’Union, la cour constitutionnelle d’un État membre ne saurait, sur la base de sa propre interprétation de dispositions du droit de l’Union, valablement juger que la Cour a rendu un arrêt dépassant sa sphère de compétence et, partant, refuser de donner suite à un arrêt rendu à titre préjudiciel par cette dernière.

Par ailleurs, en s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure 9, la Cour précise que l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale permettant d’engager la responsabilité disciplinaire d’un juge national pour toute méconnaissance des décisions de la cour constitutionnelle nationale et, notamment, pour avoir écarté l’application d’une décision par laquelle celle-ci a refusé de donner suite à un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour.

 Source : CJUE, 22 février 2022, C‑430:21, Curtea de Apel Craiova (cour d’appel de Craiova, Roumanie