La condamnation pénale de Alain Soral pour injure raciale et contestation de crime contre l’humanité ne porte pas atteinte à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon une décision de ce jour de la CEDH.
Dans sa décision rendue dans l’affaire Bonnet c. France (requête no 35364/19), la Cour européenne des droits de l’homme déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable comme manifestement mal fondée.
L’affaire concerne la condamnation pénale par les juridictions françaises du requérant, Alain Bonnet, connu sous le nom d’Alain Soral, pour injure publique à caractère racial envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et contestation de crime contre l’humanité. Le requérant invoquait devant la Cour une violation de son droit à la liberté d’expression protégé par l’article 10 de la Convention.
Cette condamnation faisait suite à la publication, sur le site Internet « Égalité et Réconciliation », d’une page intitulée « Chutzpah Hebdo », parodiant une Une de l’hebdomadaire Charlie-Hebdo, contenant un encart indiquant « historiens déboussolés » et un dessin représentant le visage de Charlie Chaplin devant une étoile de David, qui posait la question « Shoah où t’es ? » à laquelle répondaient des bulles indiquant « ici », « là » et « et là aussi », placées devant des dessins figurant du savon, un abat-jour, une chaussure sans lacet et une perruque.
La Cour considère que les juridictions internes ont fourni des motifs pertinents et suffisants qui précisent les raisons pour lesquelles elles ont conclu que les différents éléments que comporte le dessin litigieux visaient directement la communauté juive. La Cour est d’avis que le dessin litigieux et le message qu’il véhicule ne sauraient être considérés comme contribuant à un quelconque débat d’intérêt général et que ce dessin relève d’une catégorie dont la protection est réduite sur le terrain de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
S’agissant du contexte, la Cour relève que les autorités françaises ont déjà eu à répondre à des propos ou des discours s’apparentant au négationnisme et au révisionnisme alors que l’Holocauste fait partie de la catégorie des faits historiques clairement établis.
S’agissant de l’ensemble des éléments touchant à la nature, au support et au contexte du dessin litigieux, la Cour considère que les juridictions internes ont examiné en détail l’affaire et ont effectué la mise en balance des intérêts en cause, à savoir le droit à la liberté d’expression du requérant et la protection des droits d’autrui, sur la base de motifs suffisants et pertinents.
La Cour relève enfin qu’alors qu’une peine d’emprisonnement était encourue, le requérant a été condamné en appel à une amende d’un total de 10 000 euros ce qui représente une somme importante mais une peine moins lourde que celle infligée en première instance.
A supposer même que l’article 10 de la Convention trouve à s’appliquer, la Cour en conclut que l’ingérence dans l’exercice, par le requérant, de son droit à la liberté d’expression, était nécessaire dans une société démocratique et rejette le grief comme manifestement mal fondé.
Source : CEDH, 24 février 2022, Alain BONNET contre la France, n° 35364/19
Compléments :
Cette décision est confirmative même si la CEDH est souvent plus stricte que le juge français dans l’équilibre entre liberté d’expression et droit de ne pas être diffamé ou injurié.
Les élus locaux ou nationaux, notamment minoritaires, ont en effet de plus en plus de droit d’expression, notamment dans l’arène politique (expression partisane, expression dans les chambres). En effet, la CEDH (et, même, le TUE) censurent souvent le droit pénal français en matière de diffamation au nom du droit à l’expression et, à mi-mots, du besoin d’avoir des lanceurs d’alerte.
Pour voir quelques exemples, cf. :
- voir par exemple CEDH, 7 septembre 2017, Lacroix c/ France, n°41519/12. Voir aussi TUE, 31 mai 2018, aff. T-770/16 et T-352/17.
- La liberté d’expression, toujours plus conquérante face à la protection contre l’injure, la diffamation ou le trouble à l’ordre public (jugements TUE du 31 mai 2018)
- La CEDH ouvre les vannes de l’invective et de la diffamation dans la vie des assemblées locales
- voir aussi par analogie : La CEDH et la charia : un arrêt clair (et protecteur)… à qui les complotistes font dire l’inverse de ce qu’il contient.
Mais même l’invective ou la provocation ont un regain de droit de cité. Voir par exemple :
- Cass. crim., 7 juin 2017, 16-80322, Publié au bulletin : cass crim marianne voilée 201706
- Voiler Marianne en une de Valeurs actuelles ne constituait pas une provocation à la haine raciale, selon la Cour de cassation
… au point que pour certains régimes juridiques, comme celui de la liberté de ton des élus d’opposition, les élus de la majorité marchent sur des oeufs (avec interdiction de les casser). Voir par exemple :
En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour, la condition de «nécessité dans une société démocratique» commande de déterminer si l’ingérence litigieuse correspondait à un besoin social impérieux, si elle était proportionnée au but légitime poursuivi, et si les motifs fournis par les autorités nationales pour la justifier sont pertinents et suffisants (SundayTimes c. Royaume-Uni (no 1), 26 avril 1979, § 62, série A no30).
La cour ajoute que :
« précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple (Karácsony et autres c.Hongrie [GC], nos42461/13 et 44357/13, § 137, 17 mai 2016, et Lacroix c.France, no41519/12, § 43, 7septembre 2017). »
Pour une confirmation plus récente, voir CEDH, 27 octobre 2020, AFFAIRE KILIÇDAROĞLU c. TURQUIE , Requête no 16558/18
Cela dit, il y a des limites : la CEDH a, par exemple, confirmé que tenir, publiquement pour un élu local, des propos négationnistes relève bien de l’abus du droit de la liberté d’expression. Il ne s’agit certes plus là de questions liées à la diffamation raciale, mais du sujet, proche, de la conciliation entre la liberté d’expression et le fait de proférer des mensonges historiques, en général pour des raisons racialistes.
Bref, pas de mensonge négationniste sous couvert de la nécessaire liberté d’expression reconnue aux élus locaux. De même, comme dans cette affaire Soral, la CEDH a-t-elle toujours accepté la censure des injures à caractère racial ou discriminant à un titre ou un autre.
Cet arrêt est confirmatif de toute une jurisprudence antérieure CEDH, 10 novembre 2015, n° 25239/13 ; CEDH, 31 janvier 2019, n° 64496/17.
Pour un cas plus complexe cependant, voir CEDH, 15 octobre 2015, n° 27510/08 et lire le commentaire « Il y aurait donc génocide et génocide… » par Farah SAFI, in Droit pénal n° 11, Novembre 2015, comm. 139).
Voir aussi en droit français : Cass. crim., 6 octobre 2015, n° 15-84.335 ; Cass. civ. 1, 16 octobre 2013, n° 12-35.434 ; TGI Paris, 17e ch. corr., 6 juin 2017, n° 14356000489 ; TGI Paris, 17e ch. corr., 14 mars 2017, aff. Alain S., n° 16113000426 ; ; TGI Paris, 17e ch. corr., 25 janvier 2017, n° 16039000585 ; TGI Paris, 17e ch. corr., 23 novembre 2016, n° 14304000511…
Voir aussi CEDH, Grande Chambre, 3 octobre 2019, n° 55225/14 : 55225 14
Plus proche encore du sujet était cette autre décision de la CEDH que nous avions en son temps commentée ici :
… au sein de laquelle la Cour de Strasbourg confirmait qu’il peut être pénalement répréhensible de faire l’apologie du terrorisme, même sous couvert de plaisanterie (Source : CEDH, Cour (Cinquième Section), 2 sept. 2021, n° 46883/15. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/CHAMBER/2021/CEDH001-211600).
NB : un peu plus lointain du sujet est cet autre arrêt intéressant : La CEDH et la charia : un arrêt clair (et protecteur)… à qui les complotistes font dire l’inverse de ce qu’il contient.
A lire toutes ces décisions antérieures, il apparaît nettement que ce nouvel arrêt concernant A. Soral, confirmant la position des juridictions pénales françaises, était couru d’avance.
La liberté d’expression est un bien précieux.
Mais ne l’est pas moins la liberté de ne pas être injurié pour des motifs haineux qui blessent un individu et fracturent la société toute entière.