Si pour Tintin, choisir entre DuponD et DuponT était impensable, il n’en est pas de même pour une collectivité se retrouvant, à l’issue de sa procédure de mise en concurrence d’un contrat de concession, avec deux entreprises avec des noms proches : un choix doit être fait.
Dans un arrêt rendu par le Conseil d’État ce jeudi 24 mars 2022 a considéré qu’une telle situation ne relevait pas, de la part de l’entreprise la plus récente et créée pour présenter son offre, d’une tentative d’influer indûment sur le processus de décision.
En l’espèce, la Commune de Ramatuelle concessionnaire de la plage de Pampelone a lancé une consultation en vue de l’attribution d’une sous-cession de travaux et de services publics balnéaires. La Société « EPI plage de Pampelone », créé en 1959, a remis une candidature et une offre. Elle s’est plus tard vue informée que sa candidature avait été refusée au profit de la société « EPI », société créée spécialement en vue de cet appel d’offres.
S’offusquant, la société « EPI plage de Pampelone » a alors saisi le juge des référés invoquant l’article L. 3123-8 du Code de la commande publique, permettant à une autorité concédante d’écarter de la procédure de passation une société ayant tenté d’« influer indûment » sur le processus décisionnel, au motif que le nom choisi, fortement similaire au sien, aurait entrainé une confusion dans la procédure d’attribution de la concession. Le juge des référés, rendant son ordonnance lui a donné raison estimant que
« la dénomination sociale de la société EPI, attributaire pressentie du contrat de sous-concession en litige, créait un « grave risque de confusion » avec la société détenant l’hôtel du même nom, actionnaire unique de la société EPI plage de Pampelonne, également candidate, eu égard à la forte notoriété de cet établissement » (extrait du présent arrêt commenté).
Il convient de rappeler les différentes possibilités données par l’article L. 3123-8 du Code de la Commande Publique à l’acheteur public ou l’autorité concèdent d’exclure à son appréciation une candidature au moment de la procédure d’attribution, elles sont au nombre de trois :
- Une tentative d’influer indûment le processus de décision
- Une tentative d’obtenir des informations confidentielles
- La fourniture d’informations trompeuses pouvant avoir une influence déterminante sur la décision.
Selon l’article L. 3123-8 du Code de la Commande Publique:
L’autorité concédante peut exclure de la procédure de passation d’un contrat de concession les personnes qui ont entrepris d’influer indûment le processus décisionnel de l’autorité concédante ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du contrat de concession, ou ont fourni des informations trompeuses susceptibles d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution.
Si, selon Mireille Le Corre, Rapporteure Publique, les deux derniers cas de figure de l’article n’ont, pour l’instant pas fait l’objet de décision significative, le premier se retrouve appliquée au cas des marchés publics dans la jurisprudence CE, 24 juin 2019, n° 428866, Département des Bouches-du-Rhône (commentée ici sur notre blog). En effet, l’article L. 3123-9 du CCP traitant des concessions voit ses dispositions partagées avec l’article L. 2141-8 concernant les marchés publics. En l’espèce, cette jurisprudence instaurait la possibilité pour un acheteur d’exclure de sa procédure de mise en concurrence une entreprise lorsque celui-ci avait, précédemment pour d’autres marchés publics du même département, tenté d’influencer indûment le processus décisionnel, ayant conduit à l’ouverture d’une information judiciaire.
La Haute Juridiction était ainsi, face à cette ordonnance du juge des référés, en terra incognita, ayant peu de cas similaires précédant. Voici donc le raisonnement l’ayant amené à déclarer que la similarité des noms des sociétés ayant soumises leur candidature ne relevait pas d’une tentative d’influer indûment sur le processus de décision.
En premier lieu, et cela relève effectivement du bon sens, la candidature d’une société ne contient pas que son nom, celle de la société « EPI » ne dissimulait nullement son nom véritable, ainsi que le détail de son actionnariat et de sa structure juridique. Dès lors s’il plaisait à la société « EPI plage de Pampelone » d’attaquer la société « EPI » en justice au titre d’une utilisation abusive relative au droit des marques, il lui était possible d’ouvrir un autre contentieux.
De plus, Mireille le Corre fait état d’une qualification inexacte des faits de la part du juge des référés du Tribunal Administratif de Toulon, le nom de la société « EPI », nommée ainsi pour convenir au nom du secteur ainsi concerné, s’il créait une certaine ambiguïté, ne relevait pas d’une « manœuvre » mentionnée à l’article L. 3123-8 précité.
Enfin, faisant état que les deux entreprises étaient concurrentes au même lot du contrat de concession, il était invraisemblable d’estimer que l’une s’était faite passée pour l’autre.
Il reste à noter, que hormis cette question entièrement nouvelle, l’arrêt annule tout de même la procédure de passation du lot en question au stade de l’examen des candidatures. En effet, la candidature de la société EPI était irrégulière, présentant une surface allouée aux bains de soleil inférieure à celle requise dans les stipulations du cahier des charges techniques.
Source : Conseil d’État, 24 mars 2022, n° 457733, à mentionner aux tables du rec.
- article rédigé avec l’assistance de Lucas Blondiaux, stagiaire.