Pas de demande d’indemnisation = pas de demande d’injonction de mettre fin à un comportement fautif dommageable ou à un dommage de travaux publics

En contentieux administratif, l’injonction doit être la conséquence de la décision du juge, et donc la demande d’injonction doit être l’accessoire de la demande au principal (I).
Il en a longtemps résulté un refus par le juge des demandes d’injonction en cas de contentieux indemnitaire, mais ces obstacles ont été levés par le Conseil d’Etat entre 2015 et 2019 (II).
Mais, hier, le Conseil d’Etat a refusé de faire un pas de plus en ce sens : il a refusé qu’il puisse être enjoint à une personne publique de mettre fin à son comportement fautif dommageable ou à un dommage de travaux publics (TP), en l’absence de conclusions indemnitaires (à charge donc pour ces requérants soit de formuler une demande indemnitaire, soit dans certains cas de glisser vers des contentieux de l’excès de pouvoir). Précisons que, au moins pour ce qui est des dommages de TP, cette nouvelle décision du Conseil d’Etat est un revirement (III).

I. L’injonction doit être la conséquence de la décision du juge (et donc la demande d’injonction doit être l’accessoire de la demande au principal) 

 

Citons l’article L. 911-1 du Code de justice administrative :
« Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution.« La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure.»

Cet article se conçoit aisément et s’applique facilement en recours pour excès de pouvoir : pour demander à une administration de mettre fin à une action, il est toujours possible d’en demander l’annulation ou (dans certains cas) l’abrogation avec demande d’injonction, dans un tel cadre d’un recours pour excès de pouvoir classique. 

II. Il en a longtemps résulté un refus par le juge des demandes d’injonction en cas de contentieux indemnitaire, mais ces obstacles ont été levés par le Conseil d’Etat entre 2015 et 2019

Oui mais qu’en est-il quand on est dans le cadre d’un recours de plein contentieux ? Car la décision du juge en matière indemnitaire, c’est l’indemnisation… nonobstant le caractère étendu, par définition, des pouvoirs du juge en plein contentieux. 

C’est pourquoi pendant des années le juge refusait des demandes d’injonction dans le cadre de contentieux indemnitaires (voir encore par exemple CAA Marseille, 17 décembre 2012, n° 10MA02795).

Cette position a évolué ensuite avec notamment l’arrêt n° 367484 du Conseil d’Etat rendu le 27 juillet 2015 (rec p. 285) :
« lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d’un préjudice imputable à un comportement fautif d’une personne publique et qu’il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut, en vertu de ses pouvoirs de pleine juridiction et lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, enjoindre à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d’en pallier les effets. »
Donc en cas de recours indemnitaire au titre de la responsabilité pour faute, un tel pouvoir d’injonction sera donc conditionné :
  • par l’existence du recours indemnitaire
  • il doit s’agir de réparer un comportement fautif
  • ce comportement fautif doit perdurer à la date où le juge se prononce (ce qui est classique : voir par exemple CE, 4 juillet 1997, n° 161105).
  • l’injonction doit être demandée par le requérant
L’injonction peut viser :
  • à mettre fin à ce comportement
  • ou à en pallier les effets
Ceci a été étendu ensuite aux cas de responsabilité sans faute :
« Lorsqu’il met à la charge de la personne publique la réparation d’un préjudice grave et spécial imputable à la présence ou au fonctionnement d’un ouvrage public, il ne peut user d’un tel pouvoir d’injonction que si le requérant fait également état, à l’appui de ses conclusions à fin d’injonction, de ce que la poursuite de ce préjudice, ainsi réparé sur le terrain de la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage, trouve sa cause au moins pour partie dans une faute du propriétaire de l’ouvrage. Il peut alors enjoindre à la personne publique, dans cette seule mesure, de mettre fin à ce comportement fautif ou d’en pallier les effets ».

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 18/03/2019, n° 411462, à publier aux tables du rec. 

Donc en cas de recours indemnitaire au titre de la  « réparation d’un préjudice grave et spécial imputable à la présence ou au fonctionnement d’un ouvrage public », un tel pouvoir d’injonction sera donc conditionné :
  • par l’existence du recours indemnitaire
  • le cadre est celui d’une indemnisation sans faute mais il se trouve qu’il y a en l’espèce (quoique ce ne soit pas utile pour l’indemnisation elle-même) une faute du propriétaire de l’ouvrage (étrange que le Conseil d’Etat n’ait pas ajouté « ou affectataire » après  « propriétaire »). Plus précisément, le requérant doit faire état « de ce que la poursuite de ce préjudice, ainsi réparé sur le terrain de la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage, trouve sa cause au moins pour partie dans une faute du propriétaire de l’ouvrage »
  • ce comportement fautif doit perdurer à la date où le juge se prononce (ce qui est classique : voir par exemple CE, 4 juillet 1997, n° 161105), même si le juge ne l’a pas précisé très explicitement.

 

Et comme précédemment, l’injonction peut viser :

  • à mettre fin à ce comportement
  • ou à en pallier les effets

 

Soit ce résumé :

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J’avais en 2019, au lendemain de cette jurisprudence, commis cette courte vidéo à ce propos (5mn et des poussières) :

 

III. Mais, hier, le Conseil d’Etat a refusé de faire un pas de plus en ce sens : il a refusé qu’il puisse être enjoint à une personne publique de mettre fin à son comportement fautif dommageable ou à un dommage de travaux publics (TP), en l’absence de conclusions indemnitaires (à charge donc pour ces requérants soit de formuler une demande indemnitaire, soit dans certains cas de glisser vers des contentieux de l’excès de pouvoir). Précisons que, au moins pour ce qui est des dommages de TP, cette nouvelle décision du Conseil d’Etat est un revirement. 

 

Le juge allait-il aller plus loin dans ce sens ? Pouvait-il raisonnablement s’éloigner de la formulation même de l’article L. 911-1 du CJA en admettant des demandes d’injonctions qui en réalité seraient autonomes de toute demande au principal ?

La réponse négative vint hier.

Le Conseil d’Etat a :

  • rappelé que la personne qui subit un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d’une personne publique peut former devant le juge administratif une action en responsabilité tendant à ce que cette personne publique soit condamnée à l’indemniser des conséquences dommageables de ce comportement…. et qu’elle peut également, lorsqu’elle établit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du préjudice qu’elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d’en pallier les effets.
  • mis une limite à cette faculté en posant que de telles conclusions à fin d’injonction ne peuvent être présentées qu’en complément de conclusions indemnitaires. De la même façon, le juge administratif ne peut être saisi, dans le cadre d’une action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics, de conclusions tendant à ce qu’il enjoigne à la personne publique de prendre les mesures de nature à mettre fin au dommage ou à en pallier les effets, qu’en complément de conclusions indemnitaires.

 

Sur ce tout dernier point (celui des dommages de TP), cette décision revient implicitement sur CE, 27 janvier 2020, Syndicat mixte d’assainissement du Val Notre-Dame, n° 427079.

 

En l’espèce, une société avait demandé la condamnation d’une commune et d’un syndicat intercommunal de rivière « à installer des clapets anti-retours sur les exutoires des réseaux d’eau de pluie et à procéder au nettoyage complet » d’un cours d’eau.

La société ne demandait pas l’annulation d’un refus qui lui aurait été opposé et qui eût pu donner lieu à un recours pour excès de pouvoir avec demande d’injonction, éventuellement sous astreinte.

Elle ne demandait pas non plus une indemnisation derrière laquelle eût pu se profiler une demande d’injonction.

Donc son recours était voué au rejet. Je n’aimerais pas être l’avocat de la société requérante devant lui expliquer cet échec d’ailleurs…

 

Source : Conseil d’État, 12 avril 2022, n° 458176, à publier au recueil Lebon