🎼 Sea, law and sun… gare à ne pas ensabler vos arrêtés de police [suite] !

Voici deux exemples, un qui remonte à il y a quelques années et l’autre qui date d’il y a quelques jours, et qui démontrent que pour bâtir un arrêté de police en matière d’accès ou d’activités sur les plages, mieux vaut d’abord justifier du caractère proportionné des mesures que l’on veut adopter, et donc en tout premier constituer un solide dossier sur la réalité des difficultés à obvier.

Sinon, la moindre vaguelette contentieuse fera s’écrouler l’arrêté de police tel  le moins solide des châteaux de sable. Sous le rire des usagers de la plage. 

 

« La plage est une étendue de sable où les enfants font des pâtés et où les mères font des boulettes »… disait Georges-Armand Masson (voir ici). Les maires font, aussi, de belles boulettes sur le sable. En voici deux exemples, avec des jugements de même teneur à trois ans de distance.

Ainsi celui de Marseille qui, en 2016, a cru pouvoir interdire l’accès à une plage, la nuit.

Faute de justifier de troubles tels que cette extrémité s’imposait et qu’aucune autre mesure ne pouvait résoudre ces éventuelles difficultés, cet arrêté de police avait été sèchement censuré… et pour les habitants, c’était le retour à Vamos a la playa (pas pu m’empêcher de repêcher ce nanar des 80’s).

TA Marseille, 21 janvier 2019, Collectif de défense du littoral 13, n° 1606522. 

Sans doute dans cette affaire marseillaise la plage servait-elle en effet à abriter des pratiques discutables. Mais les preuves, les indices  sont à accumuler avant que de prendre un tel arrêté. Il faut bâtir un dossier sur des bases plus solides que celles d’un château de sable ! Sinon tout s’écroule.

Bis repetita bien plus à l’Ouest et avec quelques années de distance, en Guadeloupe.

Par arrêté du 5 janvier 2021, le maire de la commune de Port-Louis (Nord-Ouest de la Grande-Terre) a subordonné l’installation et la circulation sur les plages en vue d’y exercer une activité commerciale ou artistique à la délivrance d’une autorisation et a interdit d’utiliser des embarcations à moteur (bateau, scooters des mers) et des planches à voiles dans la zone des trois cents mètres.

L’association des marchands ambulants dont les membres proposent au public la vente d’articles de manière ambulante et la société Caraïbes Flyboard, qui propose des activités nautiques sur la plage de la commune ont saisi le tribunal administratif de ces nouvelles prescriptions, faisant valoir que si le maire est chargé du maintien de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publiques dans la commune, ses mesures doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public et doivent se concilier avec le respect des libertés garanties par les lois, notamment la liberté du commerce et de l’industrie ainsi qu’avec le droit d’usage libre et gratuit des plages du domaine public maritime.

La commune n’a pas défendu devant le tribunal (assez classique localement, pour diverses raisons)… Et le tribunal administratif a jugé qu’il n’était pas établi que les activités commerciales ambulantes sur les plages, tout comme l’utilisation d’embarcations à moteur et de planches à voiles dans la zone des trois cents mètres, engendreraient des troubles à la tranquillité, la sécurité et la salubrité publique de nature à justifier un régime d’autorisation préalable pour les premières ou d’interdiction pour la seconde.

Source : TA Guadeloupe, 20 avril 2022, n°2100212

Guadeloupe – Sainte-Anne (Grande Terre) – coll. pers.

 

Rappels connexes :

• à ne pas confondre avec les schémas d’aménagement de plage, sur lesquels voir par exemple : https://blog.landot-avocats.net/2017/10/18/sous-le-scot-le-schema-de-plage/

• à mettre à part aussi du sujet, déjà mouvant, des concessions de plage :

Mis à part ce régime, donc, l’occupation précaire mais privative du littoral est entre deux eaux puisqu’elle relève de deux régimes contraires :

  • d’un coté, l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques pose que « Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous »…
  • et c’est justement à tous qu’est réservé l’accès et l’usage libre et gratuit des piétons aux plages (article L. 2124-4 du même code et, surtout, art. L. 321-9 du code de l’environnement).

N.B. : sur le droit d’usage du domaine public appartenant à tous, CE, 31 mars 2014, Commune d’Avignon, n° 362140, T. pp. 652-653.

 

• sur les « locations d’accessoires de plage », voir l’arrêt CE, 12 mars 2021, n°443392, à publier aux tables du recueil Lebon : et notre article ici. 

• sur le droit covidien, voir : https://blog.landot-avocats.net/2020/05/20/plages-plans-deau-lacs-activites-nautiques-et-de-plaisance-le-juge-confirme-la-large-marge-de-manoeuvre-du-prefet/

 

• rappels de base sur les pouvoirs de police administrative :

Tout reste résumé par la maxime plus que centenaire du commissaire du Gouvernement Corneille (sur CE, 10 août 1917, n° 59 855) :

« La liberté est la règle et la restriction de police l’exception» 

Le juge administratif impose en effet avec constance cette proportionnalité et cette mesure dans les pouvoirs de police :

• limitation de la mesure de police en termes :
– de durée,
– de zonages
– et d’ampleur,
• en raison des troubles à l’Ordre public, à la sécurité ou la salubrité publiques, supposés ou réels qu’il s’agissait d’obvier.
Voir par exemple CE Sect.., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14 265, Rec. p. 44 ; CE, 14 août 2012, n° 361 700 ; CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00 590 et 02 551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107 309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360 024…