Mémoire en réclamation : le formalisme respecté est payant !

Dans un arrêt du 14 avril 2022 n°22BX00534, la CAA de Bordeaux reconnait le titre de mémoire en réclamation à un document auquel est joint l’ensemble des demandes de payements antérieurs.

Il s’agit ici d’une application positive du formalisme dû au mémoire en réclamation précisé par le Conseil d’État dans une décision datant du 27 septembre dernier (CE, 27 septembre 2021, commune de Bobigny, req. n° 442455) auquel nous avions déjà consacré un article.

Dans les faits de l’arrêt ici commenté, il s’agissait de l’exécution du marché de travaux « Viaduc en mer » à la Réunion, pour lequel la région Réunion était maître d’ouvrage, et la société V, maître d’œuvre.

À la suite d’un ordre de service prescrivant la réalisation d’une protection supplémentaire destinée à assurer la sécurité d’une pille du viaduc, la société V. avait adressé une première lettre en décembre 2019 réclamant le paiement d’une somme de 4 586 206, 24€, au titre de cet ordre de service. Restée sans réponse, la société V renvoie en février 2020 un document se présentant sous la forme d’un mémoire en réclamation demandant à nouveaux la somme due, joignant la facture détaillée et la lettre de décembre 2019 précédemment citée.

Il serait aisé de considérer ce formalisme comme un excès de zèle de la part de la société, renvoyant, avec à peine 3 mois d’intervalle, une lettre restée sans réponse dans son mémoire, cependant, il est nécessaire pour comprendre l’importance de ce formalisme de se référer à la définition des CCAG concernant les mémoires en réclamation présente à l’article 50.1 « Mémoire en réclamation » des CCAG travaux de 2009 alors applicables :

« Si un différend survient entre le titulaire et le maître d’œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. […] Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n’ont pas fait l’objet d’un règlement définitif » (art. 50.1.1 des CCAG-Travaux de 2009).

N.B : les nouveaux CCAG reprennent en substance les mêmes termes pour définir le mémoire de réclamation, pour une mise à jour sur les CCAG depuis le 1er avril 2021, vous pouvez consulter notre présentation des nouveaux CCAG ; voir aussi une table ronde détaillée ici).

En effet, on déduit de cette définition du mémoire en réclamation que celui-ci doit comporter :

  • D’une part les motifs du différend, les montants éventuels des réclamations et leurs justifications
  • D’autre part reprendre les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n’ont pas fait l’objet d’un règlement définitif

Cela avait donné l’occasion au Conseil d’État de sanctionner le titulaire d’un marché donc le mémoire se contentait de citer simplement les documents antérieurs sans les joindre. (CE, 27 septembre 2021, commune de Bobigny, req. n° 442455)

L’arrêt de la CAA de Bordeaux ici commenté fait alors référence à la fois aux stipulations des CCAG Travaux de 2009 et à la décision du Conseil d’État précitée :

« Un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des stipulations précitées que s’il comporte l’énoncé d’un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d’une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d’autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. Si ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d’œuvre sans le joindre à son mémoire ».

 

Le juge des référés du TA de la Réunion avait, dans une ordonnance (n° 2000119 du 9 février 2022), rejeté la demande de la société Vinci de condamner la région Réunion de lui verser la somme due en motivant sa décision par le fait que le document en question ne pouvait être regardé comme un mémoire en réclamation au sens des stipulations de l’article 50 des CCAG Travaux. La CAA de Bordeaux rappelle par cet arrêt que, lorsque son formalisme est respecté, le mémoire en réclamation doit voir son bien-fondé évalué par le juge des référés. Tel étant le cas ici, la CAA de Bordeaux renvoie l’affaire au juge des référés du tribunal administratif pour son évaluation.

*article rédigé avec l’aide de Lucas Blondiaux, stagiaire.