Laïcité et écoles : pendant ce temps là, aux Etats-Unis…

Une école publique a-t-elle l’obligation d’autoriser un de ses enseignants ou autres agents à faire preuve de ses convictions religieuses (prière lors d’événements scolaires ou sportifs dans le cadre éducatif) et ce de manière démonstrative ?

En France, on connaîtrait la réponse : le principe de neutralité des agents publics est singulièrement strict tant que l’on n’est pas dans le supérieur. Plus largement, le principe de laïcité et son corollaire l’obligation de neutralité font obstacle à ce que les agents disposent, dans le cadre du service public et quelle que soit la nature de leurs fonctions, du droit de manifester leurs croyances et leur appartenance religieuses (CE, avis, 3 mai 2000, n° 217017 ; CEDH, 26 novembre 2015, Ebrahimian c. France, n° 64846/11). Voir entre autres :

 

Signalons tout de même que la CEDH a-t-elle permis des bénédictions religieuses discrètes de bâtiments publics :

… et que le régime concordataires en Alsace et en Moselle peut y conduire parfois à la présence de signes religieux dans des écoles publiques.

 

Mais le modèle français et, plus largement et avec beaucoup plus de nuances, les modèles européens garantissent un minimum de neutralité dans les écoles.

C’était le cas aussi aux Etats-Unis, en raison de décisions claires de la Cour suprême (Engel v. Vitale, 370 U. S. 421, 1962 ; voir aussi Carson v. Makin, 596 U. S., 2022 ; voir surtout Lemon v. Kurtzman, 403 U. S. 602, 1971).

C’était.

Car, ce jour, la Cour suprême états-unienne, décidément très en verve ces temps-ci, a décidé (avec la même majorité que celle rencontrée dans la décision par laquelle l’IVG est redevenue un domaine relevant entièrement du droit des Etats ; sans garantie nationale pour les femmes donc)  vient d’autoriser de telles pratiques et surtout d’interdire de les interdire.

Citons ladite Cour :

« Joseph Kennedy lost his job as a high school football coach because he knelt at midfield after games to offer a quiet prayer of thanks. Mr. Kennedy prayed during a pe- riod when school employees were free to speak with a friend, call for a reservation at a restaurant, check email, or attend to other personal matters. He offered his prayers quietly while his students were otherwise occupied. Still, the Bremerton School District disciplined him anyway. It did so because it thought anything less could lead a reason- able observer to conclude (mistakenly) that it endorsed Mr. Kennedy’s religious beliefs. That reasoning was misguided. Both the Free Exercise and Free Speech Clauses of the First Amendment protect expressions like Mr. Kennedy’s. Nor does a proper understanding of the Amendment’s Estab- lishment Clause require the government to single out pri- vate religious speech for special disfavor. The Constitution and the best of our traditions counsel mutual respect and tolerance, not censorship and suppression, for religious and nonreligious views alike.»

 

Traduction libre de notre part (voire même avec un brin de liberté excessive sur la dernière phrase qui serait assez polysémique en français) :

« Joseph Kennedy a perdu son emploi de coach de football (américain) de lycée car il s’agenouillait au milieu du terrain après les matches pour prier en remerciement. Il priait ainsi pendant des périodes où les agents de l’école étaient libres de converser, de réserver un restaurant, de regarder leurs courriels ou de s’occuper de toute autre activité personnelle. Il priait (« offrait ses prières ») dans le calme pendant que ses élèves étaient occupés par ailleurs. Cependant, le district scolaire lui a infligé une sanction disciplinaire faut de quoi l’école pensait sinon donner l’impression, à tort, de cautionner les croyances religieuses de M. Kennedy. Un tel raisonnement était fautif : les alinéas du premier amendement (à la Constitution) relatifs d’une part à la liberté d’exercice et d’autre part à la liberté de parole protègent les expressions de M. Kennedy. Une bonne compréhension dudit premier amendement ne peut conduire à imposer au Gouverment (au sens très large de ce terme aux E.-U. ; nous dirions aux administrations) de désavantager/ discriminer l’expression religieuse. Tant la Constitution que nos meilleures traditions de respect mutuel et de tolérance, d’absence de censure et de suppressions des opinions (religions comme non religieuses) vont dans ce sens. »

Je vous invite à voir cependant, à partir de la page 41 de ce document, la vive opinion dissidente du juge S. SOTOMAYOR (qui d’ailleurs narre les faits du dossier de manière également différente, photos à l’appui voir ci-dessous).

Voici cette décision :