Une redevance est calculée selon le service rendu. S’il en existe plusieurs pour un seul service rendu global, l’équilibre peut-il être global ou doit-il être calculé pour chacune d’entre elles ?

Une redevance doit être calibrée pour ne pas excéder le montant du service rendu, à quelques ajustements près.

Au nombre de ces ajustements, se trouve-t-il une possibilité de faire masse des différentes redevances dues par les usagers pour des services rendus qui en réalité forment un tout ?

A cette question le Conseil d’Etat vient de répondre… OUI… MAIS tout en s’assurant que les compensations entre redevances d’un même ensemble restent limitées. Fort heureusement la définition de ce qu’est une telle « compensation limitée » est donnée par le juge. Même si ladite définition reste bien sûr assez malléable. 

 

L’affaire concerne le cas très particulier (et donc à transposer avec précaution) des redevances aéroportuaires que sont :
  • la redevance pour l’utilisation du système informatique d’enregistrement et d’embarquement de l’aéroport, dite « redevance CREWS » (objet du litige ayant conduit à cet arrêt du Conseil d’Etat)
  • la redevance relative à l’atterrissage,
  • la redevance relative au stationnement
  • la redevance par passager.

 

La redevance CREWS a baissé.

Une compagnie aérienne à bas prix (mais à haut bruits tant commerciaux que contentieux) a estimé que cela signifiait que ladite redevance, auparavant, était donc excédentaire et, partant, illégale.

D’où un contentieux judiciaire avec question préjudicielle conduisant à un litige finissant par remonter au Conseil d’Etat. Car ce n’est pas qu’en aérien qu’on a parfois des correspondances aux trajectoires complexes ; en droit aussi…

Le juge administratif est depuis 15 ans, cela dit, sur une trajectoire admettant de légers excédents pour les redevances et quelques souplesses quant aux calculs sur ce point.

Citons un arrêt d’Assemblée de 2007 qui fut un tournant en ce domaine :

« une redevance pour service rendu doit essentiellement trouver une contrepartie directe dans la prestation fournie par le service ou, le cas échéant, dans l’utilisation d’un ouvrage public et, par conséquent, doit correspondre à la valeur de la prestation ou du service ; que, si l’objet du paiement que l’administration peut réclamer à ce titre est en principe de couvrir les charges du service public, il n’en résulte pas nécessairement que le montant de la redevance ne puisse excéder le coût de la prestation fournie ; qu’il s’ensuit que le respect de la règle d’équivalence entre le tarif d’une redevance et la valeur de la prestation ou du service peut être assuré non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire ; »
CE, Ass.,  16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital, n° 293229-293254

NB : il en va de même pour les impôts dédiés. Voir sur ce point la longue et complexe prospérité de la jurisprudence Auchan en matière de TEOM qui justement précise désormais assez clairement ce que sont ces ajustements selon un raisonnement très transposable aux redevances de SPIC (voir ici). Pour les RODP à plus strictement parler, idem (voir par là).

Oui mais cette souplesse va-t-elle jusqu’à apprécier l’ensemble de ces redevances comme formant une seule et même masse à laquelle dans sa globalité serait appréciée ledit équilibre ?

Mises ensemble, ces redevances forment-elles un tout ou doivent-elles être (plus ou moins donc) être équilibrées chacune séparément ?

A cette question, le Conseil d’Etat répond en acceptant des compensations limitées entre les différentes redevances, tout en donnant un mode d’emploi afin d’apprécier que ladite compensation reste bien limitée.

Le juge :

  • commence par rappeler que le tarif d’une redevance aéroportuaire, établi de manière objective et rationnelle, en tenant compte des critères définis par l’article L. 6325-1 du code des transports et des dispositions réglementaires prises pour son application, peut ne pas être strictement proportionné au coût du service correspondant
  • impose que naturellement le produit global des redevances (dont on fait donc masse) ne doit pas excéder le coût des prestations servies (certes…)
  • mais il encadre cette faculté d’une manière très stricte en posant que la compensation entre les différentes redevances doit rester limitée.

 

Il est donc possible de mélanger… mais un peu seulement. Un mixer, mais juste quelques secondes à faible vitesse :

 

Donc un verre à moitié plein avec un critère qui risquait d’être flou. Certes mais à tout le moins le juge nous a-t-il pour partie sorti du brouillard en donnant un début de mode d’emploi pour apprécier le caractère limitée desdites compensations :

« Le caractère limité de la compensation opérée entre redevances s’apprécie au regard, d’une part, du rapport entre le montant compensé et le produit de l’ensemble des redevances et, d’autre part, de l’écart entre le tarif fixé pour la redevance concernée et la valeur de la prestation ou du service correspondant.»

Cette définition a le mérite d’exister. Elle a aussi l’avantage (ou l’inconvénient, c’est selon) de rester assez malléable. Comme d’habitude, cette histoire se finit par l’annonce de délicates applications au cas par cas, donc.

 

Source : Conseil d’État, 21 juillet 2022, n° 459433, à mentionner aux tables du recueil Lebon

Voir ici les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public