Arrêtés mendicité : les maires doivent opérer de complexes découpages géographiques, temporels et techniques ; et au besoin quand tel semble n’être qu’imparfaitement le cas, le juge opérera lui aussi une censure très ciselée

Crédits photos : Beth Macdonald (Unsplash)

Nombre de maires tentent, au fil de leurs arrêtés de police, de réglementer la mendicité et/ou le regroupement de personnes, voire de chiens, sur la voirie : or, la règle est claire : un arrêté démesuré, c’est la censure assurée…

Et la solution s’avère tout aussi simple : un tel arrêté ne sera légal que s’il est… compliqué (parce qu’il devra très précisément être proportionné).

Un arrêt, rendu l’été dernier par le Conseil d’Etat sur un recours de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), illustrait encore (et précisait) ces questions importantes pour la tranquillité publique, pour la sécurité des piétons, mais aussi pour la liberté de chacun :

Voir l’article et la vidéo (5 mn 12) alors concoctés par nos soins (avec indication des très nombreuses jurisprudences antérieures, y compris celles admettant des « arrêtés anti-mendicité » mais dans des cadres très rigoureux dans le sens de la défense des libertés d’aller et de venir, voire de stationner sur le trottoir) :

 

Voir aussi :

 

Une nouvelle affaire illustre ceci, toujours avec la LDH comme requérante (avec la Fondation Abbé Pierre en intervenant volontaire à l’appui des observations de la requérante), avec pour cette ligue l’obtention d’une victoire contentieuse partielle.

La juge des référés du TA de Nice a en effet suspendu partiellement un arrêté portant réglementation de la mendicité sur les secteurs touristiques et à fortes fréquentations d’une grande ville touristique et sur le domaine public maritime concédé de celle-ci.

L’urgence était encore constitué, au sens du référé suspension, puisque l’arrêté était encore applicable.

Restait l’examen du doute sérieux sur la légalité, autre condition cumulative du référé suspension.

L’arrêté est ainsi résumé par l’ordonnance du TA et, tel qu’ainsi décrit, il semble d’un niveau de détail et de complexité de nature à en sécuriser le contenu :

« 7. Par arrêté en date du 13 juin 2022, le maire de la commune de XXX a interdit, pour chaque jour de la période comprise entre la publication dudit arrêté et le 30 septembre 2022 inclus, de 9 heures à 14 heures et de 16 heures à 19 heures, en l’article premier dudit arrêté, d’une part, la mendicité sur les secteurs touristiques et à forte fréquentation de la ville de XXX ainsi que sur le domaine public maritime concédé, lorsqu’elle trouble la tranquillité et la sûreté des personnes, entrave leur passage ou gêne la commodité de la circulation notamment aux abords des caisses de parkings, qu’ils soient en ouvrage ou en surface, ou aux abords des distributeurs automatiques de billets, au niveau des stations de tramways et de leurs abords et, d’autre part, la mendicité lorsqu’elle entrave le passage des personnes ou gêne la commodité de la circulation aux abords des commerces de proximité, notamment les supérettes inclus dans un périmètre compris entre l’avenue Désambrois, le boulevard Rimbaldi, l’avenue Thiers, l’avenue Georges Clémenceau (partie comprise entre l’avenue Thiers et la rue Alphonse Karr), la rue Alphonse Karr, la rue de la Liberté et rue Hôtel des Postes jusqu’au boulevard Carabacel dans son prolongement de l’avenue Désambrois, décrit sur le plan annexé, et sur le boulevard Gambetta dans sa totalité. Le maire de la ville de XXX a également interdit, pour les mêmes périodes et tranches horaires, en l’article 2 de l’arrêté susmentionné, la mendicité, lorsqu’elle occasionne une gêne pour la circulation routière et constitue un danger pour la sécurité routière aux abords des carrefours situés aux principales entrées et sorties de la ville, permettant d’accéder aux secteurs touristiques et à forte fréquentation de la ville de Nice ainsi que sur le domaine public maritime concédé, interdiction concernant les abords des secteurs ci-après tel que figuré sur le plan annexé : entre l’avenue Giscard d’Estaing et le boulevard du Mercantour, aux abords de l’autopont du Centre administratif départemental des Alpes-Maritimes, le carrefour du boulevard du Mercantour avec le chemin des arboras, accès de la voie Mathis (notamment sortie Grinda), avenue Edouard Grinda. Le maire de la ville de XXX a également interdit, pour les mêmes périodes et tranches horaires, en l’article 3 de l’arrêté susmentionné, la mendicité sur les secteurs touristiques et à forte fréquentation de la ville de Nice ainsi que sur le domaine public maritime concédé, lorsqu’elle implique des canidés non tenus en laisse ou non muselés. Le maire de la ville de XXX a également interdit, pour les mêmes périodes et tranches horaires, en l’article 4 de l’arrêté susmentionné, la mendicité agressive ou pratiquée en groupe, lorsqu’elle trouble la tranquillité et la sûreté des personnes, entrave leur passage aux entrées et sorties des lieux publics ou gêne la commodité de la circulation des personnes notamment aux abords des édifices religieux, des places et voies publiques, sur une partie du territoire de la ville de XXX ci-après définie : les places et parvis Garibaldi, Rossetti, Magenta, Général de Gaulle, Ile de beauté, Masséna, gare Sncf Nice Thiers ; la place et le parvis de la gare du Sud de l’avenue Malausséna dans sa partie située entre la place de Gaulle et la rue Thivin – l’allée Seguin – la rue Binet dans sa partie entre les rues Seguin et Pasqua – place de la gare du Sud ; les parvis des édifices religieux (cathédrale Sainte-Réparate) ; le quai Rauba Capeu, le quai des Etats-Unis, la Promenade des Anglais (dans la partie comprise entre l’avenue Max Gallo et la rue du Congrès), le vieux XXX dans sa partie située entre la place Garibaldi, la rue des ponchettes, la rue Bosio et le Boulevard Jean Jaurès ; le secteur du carré d’Or partie comprise par les rues de la Liberté, Buffa (portion comprise entre la rue du Congrès et la rue de la Liberté ), la rue du Congrès (portion entre la rue Buffa et la rue de France), la rue de France (portion entre la rue du Congrès et l’avenue de Suède), l’avenue de Suède et l’avenue de Verdun (portion entre la rue de Suède et la Place Masséna) ainsi que le jardin Alziari de Malaussène et ses abords directs ; le boulevard du Mercantour sous et aux abords directs de l’autopont situé au niveau de l’intersection avec la digue des Français ainsi que le carrefour du boulevard du Mercantour avec le chemin des arboras, tel que figurant sur le plan annexé. Un plan global de situation ainsi que des plans détaillés sont annexés à l’arrêté en litige afin de délimiter le périmètre concerné par l’interdiction. »

On le voit, les juristes qui s’étaient attelés à cette tâche semblent avoir pris soin de bien respecter les règles imposant une étroite proportionnalité entre risques, libertés et interdictions imposées par la jurisprudence assez constante du Conseil d’Etat.

De fait, de tout ceci, seul l’article 3 a entraîné les foudres du juge des référés. Qu’à eu à reprocher à cette disposition ce Zeus vengeur de nos libertés, censeur des pouvoirs de police des maires ?

D’avoir été pour cette partie là trop étendu, trop peu conditionné à des conditions particulières de dangerosité ou de difficultés. Hélas, le traditionnel laconisme (normal pour un Dieu grec me direz vous) du juge administratif nous conduit cependant à ne pas savoir précisément ce qui en l’espèce a fauté pour ce maire :

« 8. Le moyen tiré de ce que l’article 3 dudit arrêté, dès lors qu’il ne conditionne pas l’interdiction qu’il comporte, pour chaque jour de la période comprise entre la publication dudit arrêté et le 30 septembre 2022 inclus, de 9 heures à 14 heures et de 16 heures à 19 heures, sur les secteurs touristiques et à forte fréquentation de la ville de Nice ainsi que sur le domaine public maritime concédé, de la mendicité lorsqu’elle implique des canidés non tenus en laisse ou non muselés, à des atteintes à la tranquillité, à la sécurité ou à la sûreté publique, porte à la liberté d’aller et venir une atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi est, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.»

 

TA Nice, ord., 22 août 2022, LDH, n ° 2203820

 

Voir sur le site dudit TA : Voir ici le commentaire fait par ledit TA sur son propre site, ainsi qu’un accès à cette même ordonnance

 

Crédits photographiques : sinzicraciun0 (Pixabay)