Le Président du CNEN souhaite que le juge puisse exercer sa censure sur les études d’impact qui doivent précéder le dépôt d’un projet de loi. Une proposition qui soulève un nombre considérable de questions…

Dans une chronique, le président du CNEN (Conseil national d’évaluation des normes), M. Alain Lambert, ancien ministre du budget, appelle de ses voeux l’évolution vers un contrôle, opéré par le juge administratif, de la qualité des études et fiches d’impact (comme tel est déjà le cas en matière environnementale, pour schématiser) qui doivent apparaître en prélude à tout projet de loi.
Tout le problème est de savoir si le « juge » évoqué, de manière générique par M. A. Lambert, est le juge administratif ou constitutionnel, puisque dans un cas cet ancien Ministre en appelle à une révolution, et dans l’autre cas à une petite évolution.
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1/ première hypothèse, si c’est du « juge » administratif qu’il s’agit, alors c’est à une révolution qu’il est appelé, non sans difficultés considérables selon le moment d’intervention de ce contrôle opéré par ledit juge. Sauf si l’on évoque le contrôle qui existe déjà via le rôle consultatif déjà assuré par le Conseil d’Etat…

Une telle hypothèse reste assez iconoclaste car elle reviendrait à confier au juge (administratif ?) un contrôle juridictionnel, dans un domaine subtil où sur le fond seul un examen au cas par cas pourrait être opéré (contrôle limité à celui de l’erreur manifeste d’appréciation ?) pour une étape non décisoire qui ensuite conduit à une loi qui, elle, relève du Conseil constitutionnel.
A chaque étape de son raisonnement, M. A. Lambert évoque « le juge » sans précisément désigner lequel. Tout son raisonnement se fonde sur des éléments de droit administratif, et non pas de droits parlementaire et constitutionnel.
Sauf que :
  • Si une telle censure s’exerçait en référé au début de l’examen d’un projet de loi, ce serait à tout le moins original y compris en termes de séparation des pouvoirs.
  • Si une telle censure s’exerçait en aval de l’adoption de la loi, en parallèle au contrôle opéré par le Conseil constitutionnel, nous aurions à tout le moins une concurrence entre juges dans un même domaine.

NB : on rappellera en revanche le rôle consultatif du Conseil d’Etat sur les projets de loi, au titre duquel il n’hésite pas parfois à canarder de tels textes au motif de la faiblesse de leur étude d’impact, ce qui est un signal d’alerte pour ensuite le contrôle du Conseil constitutionnel, lequel se trouve culturellement et géographiquement assez proche du Conseil d’Etat pour entendre de telles critiques… 

2/ seconde hypothèse, si c’est du « juge » constitutionnel qu’il s’agit, alors c’est tout au plus à une petite évolution des pratiques des sages de la rue Montpensier qui est évoquée… sauf si c’est un contrôle au stade des QPC dont il serait question ?

 

A moins que M. A. Lambert ne fonde tout son raisonnement en droit administratif par analogie (ses propos pourraient être interprétés en ce sens) mais qu’il appelle de ses voeux un contrôle sur les études d’impact préalables à une loi opéré via le contrôle sur ladite loi tel que déjà opéré par le Conseil constitutionnel.

NB : pour l’instant, le Conseil constitutionnel a surtout eu grand soin que de telles études ne soient pas utilisées pour limiter l’ampleur des débats parlementaires ; Voir ici un article en ce sens de M. Damien CHAMUSSY – Conseiller des services de l’A.N., Chef de la division de la séance, Ancien membre du service juridique du C. Const. in nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel n° 38 janv. 2013.

Mais si tel est le propos de M. A. Lambert, alors ce n’est tout au plus qu’un coup de pouce supplémentaire qu’il appelle de ses voeux, le Conseil constitutionnel acceptant de se pencher sur le sérieux des études d’impact (C. Const., décis. n° 2010-603 DC du 11 février 2010, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, Rec. p. 58, cons. 5 ; n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, Rec. p. 252, cons. 4 ; n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, Rec. p. 8, cons. 14… ). Voir par exemple ici « Retour sur un moyen récurrent : les malfaçons de l’étude d’impact des projets de loi », par Mme Sophie Hutier, in Revue française de droit constitutionnel 2015/1 (n° 101), pages 73 à 86.  

A moins que ce ne soit pour évoquer une possible censure des lois ayant une étude d’impact trop faible… non pas au stade du contrôle initial (décisions DC) mais via les QPC ? Cette interprétation pourrait concorder avec le parallèle fait dans le propos de l’ancien Ministre avec la jurisprudence Danthony. Mais, censurer après coup un texte au motif de ce qui est un élément de légalité externe pure (ou plutôt de « constitutionnalité externe ») pour reprendre la traditionnelle distinction en recours pour excès de pouvoir… serait pour le coup un peu révolutionnaire en effet et sans doute discutable en termes de principe de sécurité juridique…

Ou à moins qu’on aie un recours devant le Conseil constitutionnel, nouveau, de l’étude d’impact en parallèle avec le début du débat parlementaire ? Là encore, le télescopage y compris temporel entre pouvoir législatif et pouvoir juridictionnel pourrait conduire à une fâcheuse concurrence des légitimités… Ou alors le Conseil constitutionnel assurerait ce contrôle en référé avant le début des travaux parlementaires ? Alourdissant la procédure ?

 

3/ Des mesures de prudence soulignées par le Président du CNEN

 

En tous les cas, le Président du CNEN appelle cette réforme de ses voeux, tout en évoquant un nécessaire encadrement de ce possible futur régime (recevabilité…), mais en concluant son propos sur le fait qu’ « aucun obstacle ne semble donc s’imposer pour étendre la compétence du juge sur le contentieux de la légalité externe des études d’impact » (formulation qui accrédite plutôt l’idée d’un recours contre l’étude d’impact distinct de celui de l’étude, ensuite, de la constitutionnalité de la loi elle-même en tous cas).
Reste qu’une telle révolution ne pourrait que difficilement être purement prétorienne, sauf hardiesse singulière de la part des juridictions du Palais Royal…

4/ Voici le texte, de 6 pages, parfois original, de M. A. Lambert :