Faut-il alléger, voire « réparer » notre droit ? [VIDEO]

Voici un dossier « Faut-il alléger, voire ”réparer” notre droit ? », en vidéo dont voici, également, ci-dessous, la transcription. 

 

I. VIDEO

 

En  premier lieu, voici la vidéo de 8 mn 59, réalisée à ce sujet, « Faut-il alléger, voire ”réparer” notre droit ? », préparée et présentée par mes soins avant une interview de :

  • M. Alain Lambert
    Président du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) ; Ancien Ministre du budget

https://youtu.be/z-VvLs1ScuY

 

Il s’agit d’un extrait de notre chronique vidéo hebdomadaire, « les 10′ juridiques », réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés : http://www.weka.fr

 

II. Transcription du contenu de ladite vidéo (et renvoi vers une autre vidéo connexe)

 

En 2000, le Conseil d’Etat avait déjà fait un décompte : la France comptait 9 000 lois et 120.000 décrets. 

Huit ans après, on en était semble-t-il à 10 500 lois et 127 000 décrets (source politique.net), selon les calculs de Philippe Sassier et Dominique Lansoy.

La XIVème législature (2012-2017) aura vu l’adoption de 448 lois (sur ce point, voir l’éditorial du SGG Marc Guillaume dans la lettre de la DAJ).

En 2017, la circulaire du 26 juillet 2017 (NOR : PRMX1721468C) a prescrit la règle du « 2 pour 1  ». Il s’agissait d’imposer deux abrogations, deux suppressions pour tout  nouveau texte :

 

Cette règle fut en quelque sorte appliquée dans les premières années, avant que la pandémie n’impose un rythme de production normative inédit.

Mais on mesure un peu aussi le caractère un peu artificiel de ce décompte :

  • Oui il y a eu dans les textes de la première moitié du premier quinquennat d’E. Macron de très nombreuses abrogations et simplifications. Beaucoup plus que dans le passé.
  • Mais on mesure nettement aussi le caractère un peu artificiel de ce décompte car une nouvelle norme, multiple et complexe, peut remplacer aisément trois anciennes normes simples… ce qui fausse la statistique.

 

Ainsi l’inflation est-elle demeurée en nombre de mots. M. Christophe Éoche-Duval, conseiller d’État, en 2022, au 25 janvier 2022 le stock net de « mots » pour dire des « normes » s’élève à 44,1 millions de « mots Légifrance », sur une pente de + 93,8 % depuis 2002.

Source : C. Éoche-Duval, « Un « mal français » : son « é-norme » production juridique ? » : RDP mars 2022, p. 421. 

Abordons aussi ceci avec un prisme un brin plus large :

  • 1) une partie de cette production normative résulte de la transposition du droit européen, nos marges de manœuvre trouvant alors vite leurs limites.
  • 2) La notion même de norme évolue :• d’une part on assiste à une montée en puissance du droit souple (référence principale CE, 12 juin 2020, GISTI, n° 418142)
    • d’autre part le CE a admis qu’une norme législative puisse proclamer un principe sans qu’il soit obligatoire de rendre cette norme effective, assortie par exemple de sanctions (CE, 24 octobre 2019, n° 407932)
  • 3) ne fantasmons pas non plus sur la supposée beauté d’un Etat qui serait peu normatif car les sociétés complexes ont toujours produit un droit complexe.
  • 4) il y a aussi un problème surtout de la qualité du droit et de qui l’a produit. Si nous constatons une forte augmentation du nombre d’ordonnances, cela peut aussi être considéré par exemple comme un dysfonctionnement de notre régime parlementaire (ou pas).

 

D’ailleurs, sur ces deux derniers sujets, je vous renvoie à la lecture très intéressante de l’ouvrage  de Denis BARANGER, avec qui nous avions déjà échangé sur ce sujet précis en 2019 (en lien avec Weka) :

https://youtu.be/iyXOIxX3v4o

 

Ce sujet est toujours d’actualité et d’ailleurs, le 14 octobre 2022, le Conseil d’Etat avec le Conseil National d’évaluation des Normes a organisé un colloque intéressant sur la simplification normative. Ça peut être vu en rediffusion sur internet aisément, ici :

 

Dans une chronique, le président du CNEN (Conseil national d’évaluation des normes), M. Alain Lambert, par ailleurs ancien ministre du budget, a cet été 2022 appelle de ses voeux l’évolution vers un contrôle, opéré par le juge administratif, de la qualité des études et fiches d’impact (comme tel est déjà le cas en matière environnementale, pour schématiser) qui doivent apparaître en prélude à tout projet de loi.

Tout le problème est de savoir si le « juge » évoqué, de manière générique par M. A. Lambert, est le juge administratif ou constitutionnel, puisque dans un cas cet ancien Ministre en appelle à une révolution, et dans l’autre cas à une petite évolution.

Voir :

J’ai voulu aborder ces divers points avec le Président LAMBERT, je le remercie d’être avec nous.

 

Bonjour Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,

Réponse du Président A. Lambert, ancien Ministre, Président du CNEN :

Bonjour à tous,

 

Première question, quels sont vos conseils pour que nous ayons des normes moins indigestes ?

Réponse du Président A. Lambert, ancien Ministre, Président du CNEN :

« Mon conseil serait que tous les producteurs de droit prennent enfin conscience que la prolifération de leurs lois et leurs règlements créent une crise systémique qui s’apparente à ce qu’on appelle le phénomène « boule de neige ». C’est-à-dire quelque chose qui enfle en dévalant la pente, qui s’accroit inévitablement et qui créée un cercle vicieux qu’on ne peut pas arrêter. Notre droit aujourd’hui connait exactement la même situation. Les textes servent de vecteurs de communication politique sans veiller à être utiles. Donc ils pleuvent chaque jour, ils sont bourrés quelquefois de contradictions, ils obligent à des ajustements permanents, d’où l’instabilité, leur nombre insensé et leur illisibilité. Le seul moyen de sortir de cette spirale infernale c’est de fermer le robinet. C’est de fixer chaque année un nombre de signes maximum pour le Journal Officiel afin de responsabiliser toutes les Administrations Centrales sur les textes qu’elles produisent. »

Passons à votre proposition en matière d’étude d’impact. A quel stade le Juge interviendrait-il ? Comment envisagez-vous ceci ?

Réponse du Président A. Lambert, ancien Ministre, Président du CNEN :

« Personnellement, je n’ai aucun doute sur la nécessité d’une étude d’impact car elle est très utile. C’est une obligation qui a d’ailleurs été fixée par le Constituant en 2008 et qui a été confirmée par le Législateur en 2009. Elles étaient, je cite, “destinées à améliorer la qualité des projets de loi et à mieux éclairer le Parlement sur la portée des réformes que lui soumet le Gouvernement”. Fin de citation. Et voilà qu’elles ont été totalement détournées de leur objectif. On ne peut plus noble, objectif noble, utile mais elles sont été dévoyées en étant rédigées après les textes de manière désinvolte, inutile et souvent contre-productive. Alors quoi faire quand les textes les plus fondamentaux de la République sont ignorés, sont négligés par les Administrations Centrales ? Soit on les sanctionne, soit on supprime l’obligation puisque les autorités qui sont chargées de faire respecter cette obligation renoncent à le faire. C’est donc sous une forme un peu provocatrice, je le reconnais, qu’un jour j’ai proposé de les supprimer, non pas pour qu’on en arrive là mais il faut faire réagir un système resté complètement apathique et indifférent. Et c’est pourquoi, dans un second temps, dans une chronique, j’ai soumis l’idée de fragiliser, de fragiliser, dis-je bien, les textes dont les études d’impact auraient été négligées. C’est un pis-aller, j’en suis complètement conscient mais quand les Institutions chargées de faire respecter, nos institutions restent inertes, il faut essayer de les contraindre à se saisir du sujet. L’idée consistant à permettre par exemple à une administration locale dans un contentieux qui l’oppose à l’Administration Centrale d’utiliser comme l’un des moyens, ce n’est pas le seul moyen mais l’un des moyens, le défaut caractérisé de l’étude d’impact lorsque celui-ci a contribué à provoquer des difficultés d’application des textes qui est objet du contentieux. Il ne s’agit donc pas, selon moi, de créer un contrôle de toutes les études d’impact mais d’autoriser le Juge Administratif à s’en saisir lorsque sa vacuité est à la source de la dégradation de la loi qui a entraîné un contentieux. Alors cela ne résout pas tous les problèmes, j’en suis parfaitement conscient, mais cela ouvre un débat sur l’urgente nécessité de réparer notre droit qui, je vous prie de le croire, est en aussi mauvais état que nos finances publiques. »