Marché de travaux publics : n’oubliez pas le mémoire en réclamation avant toute saisine du juge !

Lorsqu’il s’agit de résoudre les différends qui opposent l’administration et les titulaires de ses marchés publics, il y a de nombreuses années déjà que le droit a pris le pli d’inciter la voie amiable avant toute saisine du juge.

Lorsqu’il s’agit de l’exécution d’un marché public de travaux, le CCAG-Travaux de 2009, dans sa version modifiée en 2014, prévoit à son article 50 que le pouvoir adjudicataire et le titulaire s’efforceront de régler tout différend à l’amiable. À ce titre, l’article 50.1.1 impose au titulaire d’envoyer un mémoire en réclamation au pouvoir adjudicateur, en adressant une copie du maître d’œuvre, si un différend survient sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme. À défaut, la saisine du juge du contrat sera irrecevable.

Toutefois, d’autres dispositions du CCAG-Travaux prévoient des mécanismes dédiés à des différends plus définis. C’est notamment le cas de l’article 46.2.1, qui ouvre droit à l’indemnisation des frais et investissements du titulaire lorsqu’il sollicite une résiliation pour tardiveté d’un ordre de service, en lui imposant au préalable d’effectuer une demande écrite au pouvoir adjudicateur.

Dans une affaire jugée par le Conseil d’État le 29 décembre 2022 (n°458678, Mentionné aux tables du recueil Lebon), celui-ci a précise que la demande d’indemnisation effectuée au titre de l’article 46.2.1. du CCAG Travaux, lors d’une résiliation pour tardiveté d’un ordre de service, ne dispense pas le titulaire d’être également soumis à l’envoi d’un mémoire de réclamation, sous peine de voir sa requête frappée d’irrecevabilité.

Dans cette affaire, le Grand port maritime de Marseille avait confié des travaux de dragage à la société C. L’ordre de service n’étant intervenu qu’après un délai de plus de six mois, le titulaire a demandé la résiliation du marché en raison de sa tardiveté, ainsi qu’une indemnisation, sur le fondement de l’article 46.2.1. du CCAG-Travaux. L’indemnisation a été rejetée par le Grand port maritime de Marseille, qui a prononcé une résiliation aux tords de la société. Celle-ci a contesté le rejet devant le tribunal administratif de Marseille, sans envoyer au préalable au pouvoir adjudicateur de mémoire de réclamation contre son refus, comme le prévoit pourtant l’article 50.1.1. du CCAG-Travaux.

Afin de savoir si la requête était recevable, le Conseil d’Etat a donc dû examiner si la demande de résiliation et d’indemnisation envoyée dispensait le titulaire de présenter un mémoire en réclamation.

Voici son raisonnement :

«  Il résulte de ces stipulations [l’article 50.1.1 du CCAG-Travaux] que, lorsqu’intervient, au cours de l’exécution d’un marché, un différend entre le titulaire et l’acheteur, résultant d’une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans le délai qu’elles prescrivent, un mémoire en réclamation, à peine d’irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. 

Il ne résulte pas des stipulations de l’article 46.2.1 du CCAG Travaux que le titulaire du marché, s’il entend être indemnisé sur le fondement de ces stipulations et qu’un différend intervient à ce propos à la suite de sa demande écrite dûment justifiée, dans les conditions mentionnées au point 2, soit dispensé de présenter un mémoire en réclamation répondant aux conditions prévues à l’article 50.1.1 du CCAG Travaux avant de saisir le juge. » 

Le Conseil d’État a ainsi privilégié la multiplication des tentatives de résolution amiable des différends, avant de pouvoir introduire un recours.

Ainsi, le titulaire d’un marché de travaux  :

  • doit tout d’abord demander la résiliation du marché pour tardiveté de l’ordre de service, et présenter dans un délai de deux mois une demande d’indemnisation des frais et investissements éventuellement engagés pour le marché et nécessaires à son exécution (art. 46.2.1. du CCAG-Travaux).
  • Ensuite, il devra présenter au pouvoir adjudicateur un mémoire en réclamation contre le refus de la demande initiale, en adressant une copie au maître d’œuvre (art. 50.1.1. du CCAG-Travaux).

Ainsi, il nous semble que face à tout différend, définit comme une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanent du titulaire et faisant apparaître un désaccord, et indépendamment des éventuels autres mécanismes prévus, le titulaire devra s’assurer d’avoir envoyé un mémoire en réclamation avant toute saisine du tribunal administratif.

Toutefois, un peu de souplesse est encore possible. Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat a jugé que la demande de résiliation et d’indemnisation, dont une copie avait également été envoyée au maître d’œuvre (comme pour les mémoires en réclamation), et qui comportait toutes les informations nécessaires à un mémoire en réclamation, permettait d’écarter la fin de non-recevoir.

Pour rappel, le Conseil d’Etat avait déjà précisé les informations qui devaient se trouver dans un mémoire en réclamation :

« 3. Un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des stipulations précitées que s’il comporte l’énoncé d’un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d’une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d’autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. Si ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d’œuvre sans le joindre à son mémoire. » (CE, 27 septembre 2021, n° 422455, Mentionné dans les tables Lebon)

*article rédigé avec la collaboration de Yasmine Chevreul, juriste