Droit souple : peut être attaquable une réponse à une FAQ

Le « droit souple » ne cesse d’être toujours plus étroitement pris en compte par le juge administratif, lequel maintenant étend son contrôle aux lignes directrices de l’administration même non impératives, même hors le champ étroit des actes des autorités administratives indépendantes…

Avec l’arrêt GISTI de 2020, le Conseil d’Etat avait unifié le régime juridique de ces éléments de droit souple y compris les lignes directrices, les circulaires, les guides, etc. Il en ressortait :

  • 1/ un cadre unique (ce qui est nouveau) pour les « documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif »
  • 2/ avec une recevabilité des recours contre ces actes lorsque ceux-ci sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ce qui inclut les actes impératifs (ce qui était déjà le cas) mais aussi les actes ayant un caractère de ligne directrice (ce qui est pus large qu’avant, dont sans doute, en fonction publique, les fameuses lignes directrices de gestion, sauf pour les agents chargés de les mettre en oeuvre).
  • 3/ et avec un office du juge en ce domaine qui en ressort clarifié et unifié.

 

Sources : CE, 12 juin 2020, GISTI, n° 418142 ; pour les circulaires, voir le célèbre arrêt Duvignères (CE, S., 18 décembre 2002, n° 233618 ; voir aussi CE, 20 juin 2016, n° 389730) ; pour les directives de droit national, voir CE, S, 11 décembre 1970, Crédit foncier de France, rec. p. 750 ; pour le droit souple des autorités de régulation, voir les décisions d’Assemblée du contentieux du CE du 21 mars 2016, Fairvesta International, n° 368082, et Société Numéricable, n° 390023 ; s’agissant du refus d’une autorité de régulation d’abroger un acte de droit souple, voir CE, Section, 13 juillet 2016, Société GDF Suez, n° 388150, p. 384 ; sur les recours contre les actes de droit souple susceptibles d’avoir des effets notables sur les intéressés, voir CE, Ass., 19 juillet 2019, n° 426389. A comparer avec CE, 21 octobre 2019, n°419996 419997 ; pour le cas des décisions des autorités administratives indépendantes non décisoires mais pouvant avoir une influence, voir CE, 4 décembre 2019, n° 416798 et n°415550 (voir aussi CE, 30 janvier 2019, n° 411132 ; CE, 2 mai 2019, n°414410) ; pour les guides voir CE, 29 mai 2020, n° 440452 ; sur l’état du droit quant aux lignes attaquables ou non avant ce nouvel arrêt GISTI voir CE, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu, n° 245961.

Voir aussi  :

 

Reste que les actes de droit souple, notamment ceux des autorités administratives indépendantes et autres organismes publics de régulation, demeurent en fonction de cette grille de lecture parfois (souvent) attaquables en recours pour excès de pouvoir, parfois pas… mais qu’il devient de plus en plus rare de trouver des actes ou des avis de ces structures qui n’en soient pas…

Cela dit, par exemple, les nuances ne manquent pas. Ainsi est attaquable en Justice un refus, par la Haute Autorité de santé (HAS), d’abroger une de ses recommandations de bonnes pratiques élaborées  sur la base du 2° de l’article L. 161-37 du code de la sécurité sociale (CSS), mais ce n’est pas sans nuances.

Source : CE, 23 décembre 2020, n° 428284, publié au recueil Lebon. Voir :

 

Il en va de même en matière de guides pédagogiques produits par l’administration, dont certains peuvent être, ou ne pas être, attaquables.

Voir CE, 29 mai 2020, n° 440452  :

 

Naturellement, les normes de l’ARCEP ou de la CNIL sont quant à elles des actes attaquables. Voir :

 

Idem pour une recommandation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), acte susceptible de recours, et ce alors même qu’elle est, par elle-même, dépourvue d’effets juridiques… et il en va de même pour une déclaration de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), en tant qu’autorité de supervision nationale, précisant se conformer aux orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail émises par l’Autorité bancaire européenne (ABE).

Voir CE, 4 décembre 2019, n° 416798 et n° 415550 [2 esp. différentes] :  voir : Droit souple : le juge de plus en plus dur .

Voir aussi pour les  actes portant « stratégie de trait de côte » dont les effets concrets sont indirects mais qui sont attaquables, voir TA Montpellier, 11 mars 2021, n° 1905928 :

 

Ensuite, une décision relative à l’ARJEL, a confirmé cette extension du REP à de très nombreux actes de droit souple (CE, 24 mars 2021; n° 431786, à mentionner aux tables du recueil Lebon) : voir notre article ici.

De même le Conseil d’Etat a rendu en 2022 une importante décision publiée intégral au recueil Lebon dont il ressortait qu’une interprétation de la CNIL en matière de cookies (traceurs de connexion) est bien un acte de droit souple susceptible de recours (Source : Conseil d’État, 8 avril 2022, n° 452668, à publier au recueil Lebon ;  voici notre article : Droit souple et cookies durs ).

Pour un courriel, voir CE, 21 juillet 2022, n° 449388, à mentionner aux tables du recueil Lebon. Voir notre article : Le juge, réticent à admettre que soit attaquable un courriel répondant à une demande d’information sur une réglementation (mais avec une porte ouverte sur de tels possibles recours) 

Dans ce cadre, c’est sans surprise qu’est considérée comme une décision susceptible de recours une prise de position des services du ministre de l’économie, des finances et de la relance dans une « foire aux questions » mise en ligne sur le site internet du ministère, et ce eu égard à la teneur de ces réponses.

Voici le futur résumé des tables tel que préfiguré par celui de la base Ariane, avec un contenu là encore en droite ligne avec les jurisprudences précédentes précitées :

 

« Requérant contestant le point 12 de la partie « Puis-je en bénéficier ? » d’une « foire aux questions » relative au fonds de solidarité en faveur des entreprises institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, publiée sur le site du ministère de l’économie, des finances et de la relance, apportant – à la question : « Les loueurs en meublés non professionnels sont-ils éligibles au fonds de solidarité ? » – la réponse suivante : « Non, les loueurs en meublés non professionnels ne sont pas éligibles au fonds ». Par cette question – réponse, les services du ministre de l’économie, des finances et de la relance ont fait part de leur interprétation de l’ordonnance du 25 mars 2020 ainsi que du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020, dans sa rédaction issue du décret n° 2021-129 du 8 février 2021, pris pour son application. Eu égard à sa teneur, cette interprétation du droit positif, émise par les services chargés d’instruire les demandes d’aides au titre du fonds de solidarité puis de procéder, le cas échéant, au versement de ces aides, est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui souhaitent bénéficier des mesures de soutien mises en place. Il suit de là que la réponse litigieuse est susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. La circonstance que la « foire aux questions » sur laquelle cette réponse a été publiée ne s’adresserait ni aux services en charge de l’instruction des demandes d’aides ni à ceux chargés du contrôle des aides versées est à cet égard sans incidence.

Source :

Conseil d’État, 3 février 2023, n° 451052, aux tables du recueil Lebon

VOIR AUSSI :

 

Voici une vidéo de 6 mn 16 qui tente de répondre à une question simple : on parle beaucoup de « droit souple » mais qu’est-ce que cela change pour « mon » administration ?

 

https://youtu.be/ZfBR5AHIPLE

 

 

Voir aussi cette autre vidéo de 3 mn 49 (plus juridique et un brin plus ancienne, puisque faite au lendemain de l’arrêt GISTI) :

https://youtu.be/moPk8paYT8s

Voir également :