Captures accidentelles de dauphins et marsouins : le Gouvernement doit agir sous 6 mois pour garantir leur survie dans le golfe de Gascogne.
Et le Conseil d’Etat confirme que c’est au jour qu’il statue que le juge apprécie la légalité de refus par l’administration de prendre des décision.
Au total, si ce sont les pêcheurs qui sortent les dauphins de l’eau, c’est l’Etat qui finit par boire la tasse.
En matière de dauphins, on savait déjà que :
- l’Etat pouvait être condamné pour avoir méconnu ses obligations en matière de protection d’espèces animales fragiles.
Voir par exemple : TA Paris, 2 juillet 2020, n°1901535/4-2. - le contrôle de cassation sur les dérogations espèces protégées reste limité à celui de la dénaturation sur le point de savoir si le projet nuit, ou non, au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle (Conseil d’État, 29 juillet 2022, n° 443420, à mentionner aux tables du recueil Lebon)
- le juge n’hésite pas à enjoindre à l’Etat de prendre des mesures d’urgence (CE, 8 juillet 2020, n° 429018)
- mais le juge n’accepte pas toujours que cela soit demandé en référé liberté, les mesures de protection utiles à ces animaux dépassant en général le cadre de l’extrême urgence qui sied à un référé liberté (CE, ord., 27 mars 2021, n° 450592)… même si le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », protégé par la Charte de l’environnement, est érigé en « Liberté fondamentale » ouvrant la voie à l’usage de référés libertés dans certains cas particuliers ; CE, ord., 20 septembre 2022, n° 451129, au rec.). Voir cette décision, nos commentaires et vidéos ici :
- Le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »… de la « Charte de l’environnement » à la « Liberté fondamentale » (au sens du référé liberté) [VERSION COMPLÉTÉE de notre article de cette nuit]
- Référé liberté en matière d’environnement « équilibré et respectueux de la santé » : encore faut-il ne pas attaquer après la bataille…
- Référé liberté : forces et déséquilibres d’une ascension [VIDEO Landot & associés ; Weka]
- Le droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé, Liberté fondamentale au sens du référé liberté [VIDEO et article]
Or, voici que le Conseil d’Etat réactive sa décision CE, 8 juillet 2020, n° 429018, précitée, en enjoignant (par une décision au fond assortie d’une injonction, mais sans astreinte) ce jour au Gouvernement de fermer des zones de pêche dans le golfe de Gascogne pour des périodes appropriées, afin de limiter le nombre de décès de dauphins communs, grands dauphins et marsouins communs, victimes de captures accidentelles lors des actions de pêche.
Ces fermetures viendront en complément des dispositifs de dissuasion acoustique par les bateaux de pêche qui ont déjà été déployés. Une estimation fiable du nombre annuel de captures accidentelles devra également être mise en place.
Saisi par trois associations de défense de l’environnement, le Conseil d’État ordonne aujourd’hui au Gouvernement de prendre des mesures, dans un délai de 6 mois, pour limiter les captures accidentelles des petits cétacés par les activités de pêche dans le golfe de Gascogne. Les mesures prises devront permettre de garantir un état de conservation favorable du dauphin commun, du grand dauphin et du marsouin commun, conformément aux obligations issues du droit européen de la pêche et de la directive « Habitats » de 1992.
Sources :
- Règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche (PCP) et règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques
- Directive de l’Union européenne 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que des espèces de la faune et de la flore sauvages
Le Conseil d’État relève que le nombre de décès par capture accidentelle imputable aux activités de pêche menace la conservation des dauphins et marsouins dans le golfe de Gascogne : depuis 2018, il dépasse chaque année la limite maximale permettant d’assurer un état de conservation favorable en Atlantique Nord-Est selon les différentes estimations disponibles. À ce jour, les trois espèces concernées sont dans un état de conservation défavorable, le dauphin commun et le marsouin commun faisant même face à un danger sérieux d’extinction, au moins régionalement.
Le Conseil d’État relève également, à partir des connaissances scientifiques disponibles, que l’équipement des bateaux de pêche en dispositifs de dissuasion acoustique, déjà engagé ou envisagé par l’État, ne permet pas de réduire suffisamment les captures accidentelles. Il considère, au vu des constatations scientifiques actuelles, que ces mesures de dissuasion ne permettent pas de garantir un état de conservation favorable des espèces de petits cétacés dans le golfe de Gascogne et qu’il est nécessaire de prendre des mesures plus efficaces par la fermeture de la pêche sur des zones et pendant des périodes appropriées.
C’est pourquoi il ordonne au Gouvernement de prendre des mesures de fermeture de la pêche appropriées sous six mois, en complément des dispositifs de dissuasion acoustique.
Le Conseil d’État relève en parallèle que le système de contrôle des captures accidentelles mis en place demeure insuffisant pour connaître encore plus précisément leur ampleur : il laisse persister des niveaux élevés d’incertitude sur la fréquence et les causes des captures accidentelles des cétacés. Pour cette raison, le Conseil d’État ordonne également que, sous six mois, des mesures complémentaires soient prises pour permettre d’estimer de manière plus précise le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d’observation en mer.
Les futures tables du rec., telles que préfigurées par celles de la base Ariane, retiennent divers aspects de cette décision selon les entrées desdites tables. Retenons pour notre part deux enseignements parmi les nombreux paragraphes de ces tables :
L’un au regard des règles de pêche maritime et de règlementation européenne (notion de capture notamment) :
« Il résulte des termes mêmes tant des règlements relatifs à la politique commune de la pêche, qui mentionnent l’impératif de réduction des captures accidentelles à un niveau tel qu’elles ne représentent pas une menace pour l’état de conservation de l’espèce, et énumèrent diverses mesures destinées à favoriser la réduction des captures accidentelles de cétacés, que de la directive « Habitats », dont l’article 12 impose aux Etats membres de mettre en place un système de contrôle des captures accidentelles d’espèces animales protégées et de prendre les mesures de conservation appropriées pour faire en sorte que ces captures involontaires n’aient pas une incidence négative importante sur les espèces en question, que la capture de cétacés relevant d’une espèce protégée, dans le cadre d’une activité de pêche d’autres espèces, ne saurait, sauf si le pêcheur concerné ne respecte pas les règles édictées pour prévenir ces captures, être qualifiée de capture intentionnelle au sens de l’article 12 de la directive « Habitats », prohibée par l’article L. 411-1 du code de l’environnement.»
L’autre en matière de refus d’adopter des mesures de protection complémentaires relatives à la pêche maritime et d’apprcaiton de la légalité de tels refus à la date à laquelle le juge statue (voir CE, Assemblée, 19 juillet 2019, Association des Américains accidentels, n°s 424216 424217, rec. p. 296 ; CE, 7 février 2020, Confédération paysanne et autres, n° 388649, rec. p. 25) :
« L’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à une demande tendant à prendre des mesures complémentaires de nature à réduire au minimum les captures accidentelles de petits cétacés à l’occasion des activités de pêche menées dans le golfe de Gascogne réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l’autorité compétente, de prendre les mesures jugées nécessaires. La légalité de ce refus doit, dès lors, être appréciée par ce juge au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. »
Pour Elodie Martinie-Cousty pilote du réseau Océans de FNE :
« La réunion de travail sur les fermetures spatio-temporelles est prévue le 5 avril, nous attendons du gouvernement qu’il soit en capacité de nous présenter le meilleur scénario de fermeture, le scénario dit « N » du CIEM (Conseil International pour l’Exploration de la Mer) avec un mois de fermeture dès cet été, et 3 mois l’hiver prochain 2023/2024. »
Ce n’est donc qu’un début. Mais pour FNE, qui a pris avec quelques autres requérants l’Etat dans ses filets, c’est un franc succès.
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