Les maires du printemps 2020 avaient bien toute leur verdeur

A compter de mars 2020, les élus municipaux dont les mandats avaient été prolongés… avaient bien une plénitude de compétence jusqu’à l’installation de leurs successeurs (en vertu d’une disposition législative spécifique).

Les pouvoirs des édiles aux mandats finissants  n’étaient donc pas, comme à l’accoutumée, limités aux affaires urgentes et courantes (et ce en raison d’une loi et d’une ordonnance spécifiques). 

Au total, le Covid nous avait tous affaiblis. Il continue d’affaiblir certains raisonnements juridiques aux faiblesses évidentes. Mais le droit covidien avait donc bien revigoré les pouvoirs des maires aux mandats finissants. 


A la fin de leur mandat, avant l’installation de leurs successeurs, par défaut, sauf texte contraire, les élus ont bien des compétences limitées aux affaires urgentes et courantes.

Sources : voir par exemple et par analogie : TA Toulouse, 12 septembre 2016, n° 1603714 ; voir plus directement CAA Bordeaux, 7 avril 2016, 14BX01371 : cela dit, à lire cet arrêt, on pourrait dire que les affaires susceptibles d’êtres traitées par les élus sont les affaires urgentes, d’une part, et d’autre part ceux des actes qui pourraient même être accomplis en vertu de la notion de « fonctionnaire de fait » : sur cette notion, voir par exemple CE, 16 mai 2001, Préfet de police c/M. Ihsen; n° 231717 (pour l’origine de cette notion voir l’affaire dite des mariages de Montrouge : Cour de cassation, 17 août 1883 ; voir ici).

Notons à ce sujet :

  • qu’en ce domaine, le juge peut se révéler d’une grande sévérité.
    Depuis 2011 et 2013 le juge administratif a vigoureusement restreint la notion d’affaires urgentes et courantes entre le 1er tour d’une élection et la recomposition des organes considérés.
    Sources ; CE, 23 décembre 2011, req. n°348647 ; CE, 28 janvier 2013, Syndicat mixte Flandre Morinie, req. n° 358302 ; CE, 28 janvier 2013, req. n° 358302, CE, 29 janvier 2013, n°242196.
  • les collectivités et leurs organes ont toujours compétence pour prendre des décisions qui visent de manière proportionnée à répondre à la situation de crise sanitaire et sociale, et qui à ce titre s’inscrivent dans la théorie dite « des circonstances exceptionnelles » (développée et amplifiée depuis les arrêts Dames Dol et Laurent puis Heyriès).
    Sources : CE, 28 février 1919, n°61593 ; CE, 28 juin 1918, n°63412.
  • Dans les phases d’intérim (au sens que cette expression prend en droit administratif) de vacance, le juge a toujours pris en compte la durée dudit intérim pour calibrer la notion d’affaires urgentes et courantes (voir par exemple, et par analogie, ici)…
    Exemples frappants de clarté : CAA Lyon, 29 novembre 2016, n° 15LY00905 ; CAA Bordeaux, 7 juillet 2016, n° 14BX03439 ; CAA Marseille, 22 mars 2018, n° 16MA04756 ; CE, 18 janvier 2013, n°360808 ; CAA Paris, 5 août 2004, Commune de Gagny, n° 01PA00072 ; CAA Marseille, 26 novembre 2014, n° 13MA01136…
  • l’incompétence d’un auteur d’un acte, parce que celui-ci n’a pas ou plus la compétence pour l’adopter, n’entraîne pas obligatoirement l’illégalité dudit acte. Cela
    s’est notamment concrétisé par une très vieille et constante jurisprudence sur le « fonctionnaire de fait » (voir par exemple CE, 16 mai 2001, Préfet de police c/M. Ihsen; n° 231717 ; cette théorie a d’abord reçu application à propos des actes pris par les maires dans l’exercice de leurs fonctions d’officier d’état-civil : son illustration la plus fameuse est sans doute l’affaire dite des mariages de Montrouge, dans laquelle la Cour de cassation déclara par un arrêt du 17 août 1883 que des mariages célébrés dans les formes par un conseiller municipal qui n’avait pas rang pour le faire étaient néanmoins valables.

SAUF QUE dans le cas particulier des élus municipaux et intercommunaux entre mars 2020 et les dates réelles des élections municipales ensuite, puis de l’installation de leurs successeurs… une loi est intervenue.

En effet, la loi Covid-19 du 23 mars 2020 puis des ordonnances du 25 mars et du 1er avril 2020 ont donné ou redonné clairement des compétences aux organes des collectivités : subventions aux associations (avec délégation au maire par défaut) ; vote du budget et quelques autres décisions financières dont les vote des taux ; certaines décisions en matière de marchés…

Dans tous ces domaines, avec les réserves propres à chacun de ces régimes, il est probable que les organes desdites collectivités aient repris leur plénitude d’action même si en ces temps de crise et d’interrègnes électoraux il serait déraisonnable de s’engager sur les années à venir.Voir nos nombreux posts, et nos vidéos à ces sujets (voir ici, , encore , puis par ici, puis par là bas… voir plus généralement de ce côté là)… NB une ordonnance est venue prévoir ce qu’il en est en cas de démissions ou de décès (voir ici).

Donc quand un agent public a été concerné par un acte d’un maire le ou la concernant pendant cette période « intérimaire » de report de mandat, NON cet acte n’était pas illégal car NON ledit maire n’avait pas ses  compétences limitées aux affaires urgentes et courantes entre mars et juin 2020… en raison de ladite loi du 23 mars 2020 et, surtout, de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020.

En l’espèce, « Mme B C, détachée sur l’emploi fonctionnel de directrice générale des services de la commune [a été placée à sa demande] en congé spécial […] par le maire sortant par un arrêté daté du 15 avril 2020 avec effet au 1er juin 2020. »

 En juillet 2020, le nouveau maire a retiré cet arrêté  accordant à Mme C le bénéfice du congé spécial, « au motif que le maire sortant n’avait plus compétence pour décider une telle mesure, excédant la gestion des simples affaires courantes ».

Mauvaise pioche pour ledit nouveau maire. Il eût pu argumenter en ce sens si nous étions au lendemain d’autres élections que celle-là. En 1959… ou 1965 ou 1971 ou 1977 ou 1983 ou 1989 ou 1995 ou 2001 ou 2008 ou 2014… MAIS PAS EN 2020.

Car en 2020 s’appliquaient les dispositions de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 (et l’ordonnance précitée).

Donc :

« 4. Si le conseil municipal de Vals-près-Le Puy a été intégralement renouvelé à l’issue du premier tour des élections qui se sont tenues le 15 mars 2020, les nouveaux élus ne sont entrés en fonction que le 18 mai 2020 et n’ont été installés que le 28 mai 2020. Il résulte des dispositions précitées que le maire sortant a continué d’exercer jusqu’au 18 mai 2020 son mandat, dans la plénitude des fonctions y afférentes, et avait, dès lors, compétence pour accorder le congé spécial en litige. Par suite, Mme C est fondée à soutenir que c’est par erreur de droit que la commune a regardé l’arrêté daté du 15 avril 2020 comme entaché d’incompétence.»

Le maire sortant n’était donc pas incompétent avant cette date pour prendre l’arrêté en litige, même s’il ne relève pas des affaires courantes.

La commune a tenté d’obtenir une substitution de motif en arguant d’une fraude, mais celle-ci n’a pas été constatée par le tribunal.

Le Covid nous avait tous affaiblis. Il continue d’affaiblir certains raisonnements juridiques. Mais le droit covidien avait donc bien revigoré les pouvoirs des maires aux mandats finissants : les maires du printemps 2020 avaient bien toute leur verdeur. 

TA Clermont-Ferrand, ch. 2, 2 décembre 2022, n° 2001449. 

 

NB : à noter, la commune a tenté un sursis à exécution de ce jugement devant la CAA. Celui-ci a été rejeté (et de toute manière rare sont les sursis à exécution de jugement qui prospèrent sans réelle et considérable urgence : CAA Lyon, 2 mars 2023, n° 23LY00312)

Voir les Conclusions de Mme Nathalie Luyckx, rapporteur public :

Voir un intéressant commentaire sur le site de ce TA (avec les conclusions mais sans la décision, au jour où j’écris ?) :