Le TA de Montpellier vient d’estimer que les carences des services vétérinaires de l’Etat pouvaient engager la responsabilité de celui-ci, au nom de l’article L. 214 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) posant que les animaux, êtres sensibles, ne doivent pas être soumis à des mauvais traitements.
En soit, c’est intéressant. Mais le juge administratif a dans le passé estimé que seule une faute lourde peut engager la responsabilité de l’Etat au titre de ses services vétérinaires dans le cas particulier de la lutte contre les épizooties. L’exigence d’une faute lourde, ou non, en cas de défaillance dans les contrôles sur les abattoirs reste en revanche plus incertaine. Implicitement, le TA de Montpellier a retenu une faute sans la qualifier de lourde, à supposer cela dit que ce moyen ait été évoqué en défense, ce qui ne ressort pas nettement du jugement.
Au point 96 de l’excellent Fascicule 370-20 du JurisClasseur Responsabilité civile et Assurances, les Professeurs Michel Paillet et Marie-Christine Rouault (mise à jour 02/2022) écrivent :
« On admet généralement en doctrine (par ex., R. Chapus, préc. n° 34, n° 1473) que la responsabilité des collectivités publiques chargées d’exercer une mission de contrôle sur les personnes privées ou sur d’autres personnes publiques est conditionnée par l’existence d’une fautelourde . Il s’agit de l’un des domaines où la faute lourde a longtemps le mieux résisté, tant est puissante l’idée que l’action en responsabilité ouverte contre le contrôleur ne doit pas conduire à transférer sur celui-ci une responsabilité qui pèse, à titre principal, sur la personne contrôlée, qui est chargée d’assurer le service. Mais la faute simple se rencontre de plus en plus fréquemment dans les domaines du contrôle et de la tutelle, bien que l’exigence de la faute lourde soit maintenue en principe, à l’exception notable de l’absence de contrôle en matière d’amiante […] »
Reste que la faute lourde reste exigée pour les activités de contrôle et de tutelle opérés par l’Etat :
« faute lourde, seule susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat à raison de l’exercice du pouvoir de tutelle » (CE, 10 janvier 2001, n° 208766).
Tel est le cas par exemple en matière de contrôle les organismes privés de protection sociale (CE, 16 mars 2012, n° 342490), ou encore en matière de responsabilité pour défaillances dans le contrôle, sur les opérateurs, assuré par l’ARCEP (voir par exemple TA Paris, 29 décembre 2020, n° N° 1605470/5-2) ou de responsabilité de l’Etat pour faute dans les procédures de mandatement d’office au profit d’un créancier d’une collectivité (dans le cadre donc du contrôle financier des collectivités : CE, 5 juillet 2018, Ministre de l’intérieur c/ Département des Bouches-du-Rhône, n° 406671), etc.
Au nombre de ces cas de responsabilité qui n’est engagée qu’en situation de faute lourde, le juge administratif a pu dans le passé ranger le cas des contrôles opérés par les services vétérinaires de l’Etat dans le cas particulier de la lutte contre les épizooties :
« Considérant, cependant, qu’eu égard aux difficultés particulières que présentent les mesures prises par les services vétérinaires de l’Etat dans le cadre de la police sanitaire et dans l’intérêt de la protection de la santé publique en vue d’assurer effectivement l’exécution d’un arrêté portant déclaration d’infection et compte-tenu de l’urgente nécessité d’éviter la propagation de l’épizootie et de la gravité de la situation résultant notamment de la déclaration tardive de l’infection à l’autorité administrative compétente, les agissements des services vétérinaires n’ont pas, dans les circonstances de l’espèce, en raison notamment de la passivité des intervenants professionnels ayant assisté aux opérations de désinfection litigieuses, revêtu le caractère d’une faute lourde, seule susceptible d’engager en l’espèce la responsabilité de l’Etat ; »
CAA Nancy, 2 décembre 2004, 98NC01732
NB : voir antérieurement, dans le même sens: CE, 12 février 1992, Lequertier, RDP 1993, p. 254 ; CAA Lyon, 22 décembre 2009, 07LY02147 ; etc. Voir aussi CE, 5 juillet 2010, 309634.
En revanche, s’agissant du contrôle des abattoirs, il n’est pas inédit que le juge ait statué sur les fautes de l’Etat sans entrer dans distinction entre faute simple ou lourde :
« Considérant que ces défaillances constatées dans l’accomplissement des missions confiées aux services sanitaires de l’Etat quant au contrôle des conditions de stockage et de transport des viandes résultant de l’abattage d’animaux et destinées à la consommation, compte tenu tant du caractère répétitif et de la stricte définition des procédures à appliquer, que des buts de santé publique poursuivis, sont constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ; que celui-ci n’est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Montpellier a considéré que sa responsabilité était engagée à l’égard de la société Harinordoquy ;»
CAA Marseille, 16 février 2009, n° 06MA00964
Voir aussi, mais pour un cas différent : CAA Bordeaux, 15 novembre 2005, n° 02BX02477.
Pour un cas d’exigence de faute lourde, mais aux frontières des pouvoirs de police en matière de maladie animale, voir CAA Nancy, 2 mai 1996, n° 93NC01219.
L’exigence d’une faute lourde, ou non, en cas de défaillance dans les contrôles sur les abattoirs reste donc plus incertaine.
Aussi est-il intéressant de noter que le TA de Montpellier vient de condamner l’Etat pour insuffisance dans son contrôle d’un abattoir, sans caractériser si la faute devait ou non être lourde, et ce alors même que lorsque les difficultés signalées par l’association L214 ont été communiquées, le Ministère a réagi.
Mais on ignore si en défense l’Etat a pensé à soulever l’éventuelle exigence d’une faute lourde pour que soit engagée sa responsabilité.
Le TA a surtout donné droit à une argumentation fondée sur les dispositions de l’article L. 214 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) au titre desquelles les animaux sont des êtres sensibles qui ne doivent pas être soumis à des mauvais traitements.
L’association L. 214 a placé des caméras dans l’abattoir de Rodez qui ont mis en évidence des maltraitances d’animaux sur la chaîne d’abattage des ovins. Elle a mis ensuite, plusieurs mois après, en ligne, ces vidéos.
A la suite de cette dénonciation, le ministre de l’agriculture avait suspendu l’exploitation de l’abattoir.
Mais pour le TA, la faute a été commise au titre des carences des services vétérinaires de l’Etat dans les contrôles qu’ils doivent exercer, en vertu de réglementations européennes et nationales, de manière complète deux fois par an et au quotidien de manière inopinée.
Le tribunal a notamment relevé que la faute était d’autant plus établie que des manquements graves identifiés dès 2016 s’étaient répétés en 2020. Mais sans en passer par la qualification de lourde, ou non, de cette faute.
Au final, le tribunal condamne l’Etat à verser à l’association requérante la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
Voici cette décision qui peut alimenter la réflexion, mais aussi un peu interroger en droit :
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