Réforme de la haute fonction publique : l’indépendance et l’impartialité des membres des inspections générales restent effectives, selon le Conseil d’Etat.

Dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique : le Conseil d’Etat refuse de censurer le décret relatif au statut des membres des inspections générales.

Certes plusieurs moyens étaient soulevés contre ce décret, mais retenons ce qui demeure l’essentiel : le Conseil d’Etat estime que, dans ce nouveau régime, l’indépendance et l’impartialité des membres de ces inspections restent effectives. Ce que contestaient les requérants.


Au total il valide donc le décret du 9 mars 2022 (sauf pour son article 50 concernant un cas particulier d’intégration dans le corps des administrateurs de l’Etat, après certains détachements, pour ceux qui pourtant avaient opté pour leur maintien dans le corps d’origine mis en extinction progressive). 

 

  • I. Rappels sur cette réforme
    • I.A. Rappels (très généraux) sur la réforme de la Haute fonction publique de l’Etat
    • I.B. Les spécificités de l’insertion des inspections générales de l’Etat et de leur insertion dans cette réforme, moyennant quelques adaptations limitées (trop limitées pour les requérants ; suffisantes selon le Conseil d’Etat, donc).
  • II. La nouvelle décision du Conseil d’Etat 
    • II.A. La dernière bataille d’une guerre déjà perdue pour les requérants
    • II.B. Confirmation, il n’y a pas de principe constitutionnel « d’indépendance des agents assurant des missions d’inspection générale ou de contrôle ». Ce ne semble pas non plus être un PGD, mais même au lendemain de cette nouvelle décision, ce point pourrait encore être débattu.
    • II.C. S’applique bien en revanche une exigence d’indépendance et d’impartialité de ces agents, mais qui est, selon le Conseil d’Etat, suffisamment assurée en l’espèce, via un raisonnement assez partiel et indirect d’ailleurs
    • II.D. Censure de l’article 50 (intégration dans le corps des administrateurs de l’Etat pour ceux qui pourtant avaient opté pour leur maintien dans le corps d’origine mis en extinction progressive, après un détachement effectué à leur demande dans un emploi au sein d’un service d’inspection générale ou de contrôle)
  • Annexe : voici cette décision 

 

 

Source : l’extraordinaire série « le prisonnier » de s 60′ s bien sûr ! Image tirée plus précisément de https://www.teepublic.com/fr/t-shirt/2051499-i-am-not-a-number-i-am-a-free-man

 

I. Rappels sur cette réforme

 

Au delà de rappels généraux sur la réforme de la Haute Fonction publique de l’Etat, se posent des questions sur les spécificités des inspections générales de l’Etat et de leur insertion dans cette réforme, moyennant quelques adaptations limitées (trop limitées pour les requérants).

 

I.A. Rappels (très généraux) sur la réforme de la Haute fonction publique de l’Etat

 

La réforme initiale de la Haute Fonction publique (HFP) de l’Etat est multiforme avec :

  • l’ENA remplacée par l’INSP (dont le recrutement a, récemment, été plus ouvert, avec suppression du classement de sortie et de nombreux postes en opérationnel en début de carrière ; régime d’appariement profil-poste en 2024 avec acte de candidature pour les emplois et entretiens comme par exemple dans la territoriale)
  • une grande DRH (DIESE) gérant des carrières
  • dans un seul ensemble (le corps des administrateurs d’Etat) notamment (décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021)

N.B. : lien avec les lignes directrices de gestion (LDG) ministérielles voire interministérielles (à ce sujet voir d’ailleurs le décret n° 2022-441 du 29 mars 2022 et CE, 5 juillet 2022, n° 448711). 

 

I.B. Les spécificités de l’insertion des inspections générales de l’Etat et de leur insertion dans cette réforme, moyennant quelques adaptations limitées (trop limitées pour les requérants ; suffisantes selon le Conseil d’Etat, donc).

 

La logique de ces réformes, et notamment de l’accès aux ex grands corps et aux inspections générales après quelques années de terrain, ainsi que de la fusion desdits corps de la haute fonction publique avec une grande DRH créée à cette occasionconduit à la fusion/suppression — annoncée — aussi des grands corps d’inspection générale.

Une première étape sur ce point a été opérée par l’article 13 du décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021, précité, portant statut particulier du corps des administrateurs de l’Etat.

Par ce texte, un grand nombre de corps, dont des corps d’inspection, ont été mis en extinction avec intégration à terme dans le corps des administrateurs de l’Etat (nous avons mis en souligné dans cette liste ce qui concerne les corps d’inspection générale ou de contrôle qui y ressemblent) :

I. – Les membres du corps des administrateurs civils régi par le décret n° 99-945 du 16 novembre 1999 portant statut particulier du corps des administrateurs civils et du corps des conseillers économiques régi par le décret n° 2004-1260 du 25 novembre 2004fixant le statut particulier du corps des conseillers économiques sont intégrés dans le corps des administrateurs de l’Etat à la date d’entrée en vigueur du présent décret.
Les attributions dévolues aux administrateurs civils et aux conseillers économiques sont exercées par les administrateurs de l’Etat régis par le présent décret.
II. – A compter du 1er janvier 2023, sont placés en voie d’extinction :
1° Le corps des sous-préfets régi par le décret n° 64-260 du 14 mars 1964 portant statut des sous-préfets ;
2° Le corps des préfets régi par le décret n° 64-805 du 29 juillet 1964 fixant les dispositions réglementaires applicables aux préfets ;
3° Le corps des conseillers des affaires étrangères et le corps des ministres plénipotentiaires régis par le décret n° 69-222 du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires ;
4° Le corps de l’inspection générale des finances régi par le décret n° 73-276 du 14 mars 1973 relatif au statut particulier du corps de l’inspection générale des finances ;
5° Le corps de l’inspection générale de l’administration au ministère de l’intérieur régi par le décret n° 81-241 du 12 mars 1981 portant statut de l’inspection générale de l’administration au ministère de l’intérieur ;
6° Le corps de l‘inspection générale de l’agriculture régi par le décret n° 2001-1038 du 8 novembre 2001 portant statut particulier du corps de l’inspection générale de l’agriculture ;
7° Le corps de l’inspection générale des affaires culturelles régi par le décret n° 2003-446 du 19 mai 2003 portant statut du corps de l’inspection générale des affaires culturelles ;
8° Le corps des inspecteurs généraux et inspecteurs de l’administration du développement durable régi par le décret n° 2005-367 du 21 avril 2005 relatif au statut particulier du corps des inspecteurs généraux et inspecteurs de l’administration du développement durable ;
9° Le corps du contrôle général économique et financier régi par le décret n° 2005-436 du 9 mai 2005 portant statut particulier du corps du contrôle général économique et financier ;
10° Le corps des administrateurs des finances publiques régi par le décret n° 2009-208 du 20 février 2009 relatif au statut particulier des administrateurs des finances publiques ;
11° Le corps des administrateurs du Conseil économique, social et environnemental régi par le décret n° 2009-940 du 29 juillet 2009 fixant les dispositions statutaires applicables aux corps des administrateurs et des administrateurs adjoints du Conseil économique, social et environnemental ainsi que les dispositions applicables aux emplois de chef de service, de directeur de projet et de chef de mission ;
12° Le corps de l’inspection générale des affaires sociales régi par le décret n° 2011-931 du 1er août 2011 portant statut particulier du corps de l’inspection générale des affaires sociales ;
13° Le corps de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche régi par le décret n° 2019-1001 du 27 septembre 2019 relatif au statut particulier du corps de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche.
III. – Les membres des corps mentionnés au II peuvent, à compter du 1er janvier 2023, demander leur intégration dans le corps des administrateurs de l’Etat régi par le présent décret. Un droit d’option est ouvert à ce titre, jusqu’au 31 décembre 2023, aux membres de ces corps, quelle que soit la position statutaire dans laquelle ils se trouvent, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. Il est exercé de façon expresse par chaque agent, par un écrit daté et signé. En l’absence de choix exprès dans le délai imparti, l’agent est maintenu dans son corps d’origine.

L’article 15 de ce décret est ainsi rédigé :

Les fonctionnaires détachés dans les corps mentionnés au I de l’article 13 peuvent, à la date d’effet du présent décret :
1° Soit poursuivre leur détachement dans le corps des administrateurs de l’Etat pour la durée restant à courir ;
2° Soit demander à être intégrés dans le corps des administrateurs de l’Etat.
Les services accomplis dans leur corps d’origine par les fonctionnaires reclassés en application du présent article sont considérés comme des services effectifs dans le corps des administrateurs de l’Etat.

Selon Acteurs publics , 2 917 personnes étaient concernées par ce régime de droit d’option :

 

 

 

Puis vint le décret n° 2022-335 du 9 mars 2022 relatif aux services d’inspection générale ou de contrôle et aux emplois au sein de ces services (NOR : TFPF2139304D)… c’est-à-dire le décret attaqué devant le Conseil d’Etat et dont la légalité vient d’être validée par celui-ci (voir ci-après « II ») :

Ce décret :
  • fixe les dispositions communes à l’ensemble des emplois au sein des services d’inspection générale ou de contrôle, ainsi que les dispositions relatives aux chefs de ces services. Il s’agit des services suivants :
    • 1° Le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ;
    • 2° Le Conseil général de l’environnement et du développement durable ;
    • 3° Le Contrôle général économique et financier ;
    • 4° L’Inspection générale de l’administration ;
    • 5° L’Inspection générale des affaires culturelles ;
    • 6° L’Inspection générale des affaires sociales ;
    • 7° L’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche ;
    • 8° L’Inspection générale des finances ;
    • 9° L’Inspection générale de la justice, pour les emplois d’inspecteurs généraux et d’inspecteurs de la justice régis par le décret du 10 mai 2017 susvisé.
  • prévoit les modalités de sélection des candidats à ces emplois, en définit le vivier et fixe les conditions d’expérience professionnelle exigées pour les occuper :
    • Toute création ou vacance d’un des emplois relevant de l’un des services mentionnés à l’article 1er, constatée ou prévisible, fait l’objet d’un avis publié sur l’espace numérique commun aux trois fonctions publiques
    • Sous réserve des dispositions particulières relatives à l’organisation de chaque service, le chef d’un service d’inspection générale ou de contrôle dirige et organise le service, répartit les missions et fait connaître les conclusions des travaux des agents du service aux ministres intéressés et, le cas échéant, au Premier ministre. Il veille à la qualité et à l’impartialité des travaux des agents du service ainsi qu’au respect des obligations déontologiques par ses agents.
    • des règles sont posées pour la nomination et la fin des fonctions dans l’emploi d’un chef d’un de ces services, avec quelques garanties déontologiques qui sans doute donneront lieu à débats sur le point de savoir si celles-ci sont, ou non, suffisantes
    • Sans préjudice des dispositions législatives et réglementaires concernant chaque service d’inspection générale ou de contrôle, les personnes nommées pour occuper des emplois d’inspection générale ou de contrôle dans les services mentionnés à l’article 1er exercent des missions d’inspection, de contrôle ou d’évaluation. Elles peuvent également exercer des missions de conseil, d’appui, d’audit, d’enquête et d’expertise.
      Ces missions peuvent être effectuées à la demande du Premier ministre.
    • Les agents exerçant des fonctions d’inspection générale ou de contrôle au sein des services mentionnés à l’article 1er sont recrutés, nommés et affectés dans des conditions garantissant leur capacité à exercer leurs missions avec indépendance et impartialité.
    • Les emplois régis par le présent chapitre sont répartis en trois groupes, dénommés groupe I, groupe II et groupe III, en fonction des missions susceptibles d’être confiées aux membres du service, du niveau de responsabilité, du degré d’expertise exigé ou de la diversité du parcours professionnel antérieur.
      Les nominations dans les emplois du groupe I sont décidées par décret du Président de la République, sur proposition du ou des ministres sous l’autorité desquels le service est placé. Les nominations dans les emplois des groupes II et III sont décidées par arrêté du Premier ministre, sur proposition des mêmes ministres. Un grand nombre de règles de ce décret dépendent ensuite de cette ventilation en trois groupes.
    • Les fonctionnaires, les officiers supérieurs et les magistrats de l’ordre judiciaire nommés dans l’un des emplois de ces inspections ou administrations de contrôle sont placés en position de détachement.Les autres agents recrutés sur ces emplois des services d’inspection générale ou de contrôle le sont par contrat écrit. Dans tous les cas, une période probatoire de 6 mois est prévue.
    • Toute nomination dans un tel emploi est prononcée après avis d’un comité de sélection qui procède à l’examen préalable des candidatures.
      Le chef du service peut écarter toute candidature qui, de manière manifeste, ne correspond pas au profil recherché pour l’emploi à pourvoir.
    • Le comité auditionne les candidats qu’il a présélectionnés.
      Le comité de sélection comprend au moins trois personnes :
      1° Le chef du service d’inspection générale ou de contrôle concerné ou un membre de ce service occupant un emploi relevant du groupe I, désigné par lui ;
      2° Une ou plusieurs personnalités qualifiées dans les domaines de compétence de l’emploi à pourvoir ;
      3° Une personnalité qualifiée justifiant de compétences en matière de ressources humaines, extérieure au ministère dont relève le service.
    • Les personnes régies par le présent chapitre sont nommées pour une durée initiale maximale de cinq ans, qui est renouvelable, sans que la durée d’exercice continue des fonctions dans l’emploi concerné puisse excéder dix ans. Trois mois au moins avant le terme de la période initiale de cinq ans, l’agent peut demander à être reconduit dans son emploi. La décision de renouvellement intervient deux mois au plus tard avant le terme de cette période de cinq ans.
  • procède à la modification des dispositions des statuts particuliers des corps d’inspection générale ou de contrôle placés en extinction en vertu du II de l’article 13 du décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021, précité. Voir sur ce point les articles 20 à 32 du décret publié au JO de ce matin.

Pour en savoir plus, voir :

 

Voir aussi, par exemple, pour Bercy :

Voir aussi, pour un autre exemple certes assez différent pour divers aspects :

 

 

Dernière spécificité de la réforme concernant les inspections générales : un calendrier particulièrement complexe. Citons un point de l’importance décision du Conseil d’Etat CE, 19 juillet 2022, Association pour l’égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine, USMA, SJA, AAEENA, AMCC, SJF et autres, n°453971,454719,454775,455105, 455119, 455150,455155… qui avait le mérite de démêler cet écheveau redoutable :

« 5. D’autre part, l’article 6 de l’ordonnance attaquée, qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2022 en application des dispositions de l’article 11 de celle-ci, a été abrogé avant son entrée en vigueur par les dispositions du 74° de l’article 3 de l’ordonnance du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique. Si les dispositions de l’article 6 de cette ordonnance ont été reprises à l’article L. 412-4 du code général de la fonction publique, ce dernier article a lui-même été abrogé par l’article 36 du décret en Conseil d’Etat et délibéré en Conseil des ministres du 9 mars 2022 relatif aux services d’inspection générale ou de contrôle et aux emplois au sein de ces services. Dans ces conditions, alors même que certaines dispositions de ce décret reprennent des dispositions figurant initialement à l’article 6 de l’ordonnance du 2 juin 2021, les dispositions de l’article 6 de l’ordonnance attaquée doivent être regardées comme ayant été, en substance, modifiées avant d’avoir produit des effets juridiques. »

aspirine

 

 

 

II. La nouvelle décision du Conseil d’Etat 

 

La nouvelle décision du Conseil d’Etat était en fait ultime bataille, épilogue d’une guerre déjà perdue pour les requérants. Mais elle présente l’intérêt d’avoir porté sur l’existence ou non (sans doute non) d’un principe général du droit d’indépendance des membres des inspections générales, ainsi que sur l’exigence cependant que ces personnels puissent avoir un certain niveau d’indépendance et d’impartialité, lequel est jugé suffisant en l’espèce.

Les autres moyens de la requête, vite balayés par le Conseil d’Etat, retiendront moins l’attention, sauf sans doute la censure de l’article 50 (intégration dans le corps des administrateurs de l’Etat pour ceux qui pourtant avaient opté pour leur maintien dans le corps d’origine mis en extinction progressive, après un détachement effectué à leur demande dans un emploi au sein d’un service d’inspection générale ou de contrôle)

 

II.A. La dernière bataille d’une guerre déjà perdue pour les requérants

 

C’est par une simple décision, qui n’aura même pas l’honneur des tables, que le Conseil d’Etat a rejeté le recours contre le décret 2022-335 du 9 mars 2022, précité.

Car il s’agit d’une ultime bataille pour les requérants, épilogue (ou presque, d’autres recours sont peut-être pendants ?) pour eux d’une guerre perdue.

Car la messe est dite depuis le rejet des recours contre la matrice même de cette réforme (i.e. l’ordonnance 2021-702 du 2 juin 2021), par 

En effet, les principaux moyens du recours rejeté contre le décret du 9 mars 2022 avaient été déjà balayés lors de ces deux décisions. Ce que les requérants savaient, à la date de leur recours, pour la partie constitutionnelle de leurs moyens, mais qu’ils ne pouvaient savoir pour les aspects de pur droit administratif (la décision du 19 juillet 2022 étant bien évidemment postérieure au recours contre le décret du 9 mars 2022, lequel recours a été déposé le 10 mai 2022 ; un recours gracieux eût permis de déposer le recours en ayant connaissance de la décision du 19 juillet 2022, mais la date de rendu de l’arrêt sur l’ordonnance n’était pas connue avec précision, bien évidemment).

 

II.B. Confirmation, il n’y a pas de principe constitutionnel « d’indépendance des agents assurant des missions d’inspection générale ou de contrôle ». Ce ne semble pas non plus être un PGD, mais même au lendemain de cette nouvelle décision, ce point pourrait encore être débattu.

 

Le premier moyen du recours étudié par le Conseil d’Etat était celui de la supposée « méconnaissance du principe constitutionnel ou du principe général du droit »[PGD] « d’indépendance des agents assurant des missions d’inspection générale ou de contrôle ».

Sur un principe constitutionnel, la décision de l’aile Montpensier du Palais Royal rendait le moyen peu solide. En effet, par sa décision 2021-961 QPC du 14 janvier 2022, précitée, le Conseil constitutionnel avait jugé :

  • d’une part, qu’aucune exigence constitutionnelle n’impose que soit garantie l’indépendance des services d’inspection générale de l’État
  • et, d’autre part, que l’article 6 de l’ordonnance du 2 juin 2021, qui se bornait à définir les conditions d’affectation à des emplois au sein de services d’inspection de l’État, ne met pas en cause des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires de l’État.

Oui mais sans être un principe constitutionnel, peut-être cette indépendance pourrait-elle être un PGD ?

Ce point était plus nouveau en droit, et donc potentiellement plus prometteur pour les requérants me semble-t-il. En effet, la décision précédente du Conseil d’Etat, précitée, du 19 juillet 2022, si elle traitait abondamment des principes d’indépendance des membres des juridictions administratives ou de l’application d’une forme de ce principe à la « commission d’intégration »… n’abordait pas frontalement ce sujet.

Mais le Conseil d’Etat semble, en termes certes qui eussent mérités un peu plus de clarté, nier l’existence même d’un tel PGD  :

« 2. S’il découle de l’objet même du décret attaqué, relatif aux services d’inspection générale et de contrôle et aux emplois au sein de ces services, qu’il doit assurer que les agents chargés des missions d’inspection générale et de contrôle soient recrutés et travaillent dans des conditions garantissant l’exercice de celles-ci avec indépendance et impartialité, les requérants ne peuvent en revanche utilement se prévaloir, à l’appui de leur requête, en l’absence d’une exigence constitutionnelle imposant que soit garantie l’indépendance des services d’inspection générale de l’Etat, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décisionn° 2021-961 QPC du 14 janvier 2022, ou d’un principe général du droit consacrant l’indépendance des agents chargés des missions d’inspection générale et de contrôle de l’Etat, d’une telle exigence ou d’un tel principe.»

Le Conseil d’Etat ne dit pas nettement que ce principe n’existe pas, mais qu’un tel principe ne peut être utilement soulevé… mais il le fait en parlant « d’un » principe et non « du » principe, ce qui conduit à penser que ledit principe n’existe pas, sans pouvoir l’affirmer avec une totale certitude. Bref, soulever l’existence de cet éventuel PGD pour l’avenir sera fort difficile, mais pas une mission totalement impossible pour les plus audacieux des avocats.

 

II.C. S’applique bien en revanche une exigence d’indépendance et d’impartialité de ces agents, mais qui est, selon le Conseil d’Etat, suffisamment assurée en l’espèce, via un raisonnement assez partiel et indirect d’ailleurs

 

S’applique bien en revanche une exigence d’indépendance et d’impartialité de ces agents, mais qui est, selon le Conseil d’Etat, suffisamment assurée en l’espèce. .. avec un raisonnement qui peut surprendre (ou à tout le moins sembler aussi indirect que partiel), puisque c’est via les garanties de nomination des chefs de ces inspections (avec en sus les garanties offertes au stade du comité de sélection) que l’indépendance et l’impartialité des agents de ces services se trouvent, elles aussi, par ricochet, garanties :

« 8. En premier lieu, il résulte des dispositions du chapitre III du décret contesté citées au point 4 que ne peuvent être nommés dans l’emploi de chef d’un service d’inspection générale ou de contrôle que les membres du corps des administrateurs de l’Etat, les fonctionnaires appartenant à des corps et cadres d’emplois de niveau comparable, les officiers supérieurs et les magistrats de l’ordre judiciaire ou les personnes n’ayant pas la qualité de fonctionnaire mais ayant exercé des responsabilités d’un niveau comparable à celles dévolues aux fonctionnaires des corps et cadres d’emplois. Il résulte de ces mêmes dispositions que la nomination des chefs des services d’inspection générale ou de contrôle par décret du Président de la République intervient sur proposition du ou des ministres sous l’autorité desquels ce service est placé, après avis d’un comité de sélection sur l’aptitude des candidats à exercer l’emploi de chef de service, ce comité présidé par le secrétaire général du Gouvernement comprenant en outre le délégué interministériel à l’encadrement supérieur de l’Etat ou son représentant, deux personnalités qualifiées dans les domaines de compétence de l’emploi à pourvoir, dont l’une au moins est extérieure au ministère dont relève le service d’inspection générale ou de contrôle concerné, une personnalité qualifiée justifiant de compétences en matière de ressources humaines, ces nominations intervenant pour une durée de cinq ans renouvelable pour trois ans. Eu égard à l’ensemble des garanties entourant la nomination dans l’emploi de chef d’un service d’inspection générale ou de contrôle, à la durée d’exercice des fonctions et aux conditions régissant la fin anticipée des fonctions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les modalités de nomination dans ces emplois ne permettent pas d’assurer que les chefs des services d’inspection générale et de contrôle exercent leurs missions dans des conditions garantissant, en particulier, que les agents de ces services eux-mêmes exercent leurs missions avec indépendance et impartialité.

« 9. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l’article 11 du décret attaqué citées au point 5 que la nomination dans les emplois des services d’inspection générale ou de contrôle interviendra dans trois groupes différents constitués en fonction des qualifications justifiées par les missions susceptibles d’être confiées aux membres du service, du niveau de responsabilité, du degré d’expertise exigée ou de la diversité du parcours professionnel antérieur, l’autorité de nomination différant selon les groupes d’emploi. Un avis est émis par le comité de sélection sur l’aptitude des candidats à exercer l’emploi auquel ils postulent afin d’éclairer le choix de l’autorité de nomination, alors que la possibilité pour le chef du service d’inspection générale ou de contrôle concerné d’écarter toute candidature qui de manière manifeste ne correspond pas au profil recherché pour l’emploi à pourvoir s’inscrit dans le cadre du pouvoir de tout chef de service de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement du service placé sous son autorité. En outre, le décret attaqué, en établissant une période probatoire, s’est borné à poser, dans l’intérêt du service, les règles propres en particulier au recrutement des fonctionnaires, officiers supérieurs et magistrats de l’ordre judiciaire et au recrutement des personnes par voie contractuelle, alors que la durée de la période probatoire sera connue des candidats à ces emplois, dans la mesure où, en application de l’article 2 du décret attaqué, l’offre d’emploi accompagnant la création ou la vacance d’un emploi devra préciser cette durée. Si les requérants font valoir qu’il y a une rupture d’égalité dès lors que cette période probatoire n’est pas réservée aux seuls agents contractuels et qu’elle concerne ainsi des fonctionnaires qui ont déjà accompli une telle période probatoire dans de précédentes fonctions, un tel moyen doit être écarté dans la mesure où si, en règle générale, le principe d’égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Enfin, il ne peut être mis fin de manière anticipée aux fonctions de ces agents, pour l’exercice desquelles ils sont en principe nommés en application de l’article 13 du décret attaqué, cité au point 5, pour une durée initiale maximale de cinq ans qui est renouvelable, que sur leur demande ou en cas d’empêchement ou de manquement à leurs obligations déontologiques. Par suite, eu égard à l’ensemble de ces garanties, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du décret contesté ne garantissent pas l’effectivité de l’indépendance des agents chargés des missions d’inspection générale et de contrôle dans l’exercice de leurs missions.»

 

 

II.D. Censure de l’article 50 (intégration dans le corps des administrateurs de l’Etat pour ceux qui pourtant avaient opté pour leur maintien dans le corps d’origine mis en extinction progressive, après un détachement effectué à leur demande dans un emploi au sein d’un service d’inspection générale ou de contrôle)

 

Les autres moyens n’ont pas vocation à retenir l’attention :

  • le pouvoir réglementaire a pu, sans commettre d’erreur de droit ni d’erreur manifeste d’appréciation, renvoyer à un autre décret que celui contesté, pour chaque service d’inspection générale ou de contrôle, le soin de fixer les conditions et méthodes de travail permettant de garantir l’indépendance et l’impartialité des travaux des agents de ces services (et ce d’autant que chaque service d’inspection générale ou de contrôle doit élaborer sa propre charte de déontologie, publiée au JO)
  • le Conseil d’Etat valide, au terme d’un raisonnement qui me semble sans surprise, la procédure ad hoc de fin anticipée des fonctions pour manquement aux obligations déontologiques
  • les dispositions de l’article 32 du décret attaqué sur le placement dans les corps en voie d’extinction pour les agents qui refusent leur intégration dans le grand corps des administrateurs d’Etat sont jugées, par le Conseil d’Etat, suffisamment claires et précises (et idem pour les dispositions du III de l’article 13 du décret, sur les options entre l’ancien ou le nouveau corps).

 

En revanche, on notera la censure de l’article 50 de ce décret, pour défaut de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité. Cet article était interprété par le Gouvernement, en défense, comme :

« impliquant que les membres des corps des services d’inspection générale et de contrôle qui n’optent pas pour être intégrés dans le corps des administrateurs de l’Etat sont néanmoins intégrés de plein droit dans le corps des administrateurs de l’Etat à l’issue d’une première période de détachement effectuée à leur demande dans un emploi au sein d’un service d’inspection générale ou de contrôle ».

Mais, même ainsi interprété, ce texte restait peu lisible et intelligible, d’où sa censure.

 

VOICI CETTE DÉCISION :

 

Conseil d’État, 21 juillet 2023, n° 463874