Rappelons quelques étapes du raisonnement en matière de liberté de manifestation, d’une part, et d’application de cette liberté aux dramatiques événements touchant le Proche-Orient, d’autre part :
- les manifestations de ce type peuvent être interdites :
- soit en raison des grands risques de troubles à l’ordre public qui peuvent être alors à craindre.
Mais attention : il n’est pas uniquement question de proportionner les mesures de police au trouble à l’ordre public qu’il s’agit d’obvier à l’aune, canonique, de l’arrêt Benjamin du Conseil d’État (19 mai 1933, n° 17413, au rec.), au terme d’un équilibre entre le risque de désordre et les moyens dont on dispose.
La privation d’une liberté aussi importante que celle de manifester s’apprécie alors à l’aune, exigeante, des dangers qu’il s’agit d’obvier et des moyens dont dispose l’administration pour les limiter. Voir par exemple encore récemment : TA Paris, ord., 7 janvier 2023, n°2300303_07012023 (voir ici notre article). Voir aussi TA Lille, ord., 24 février 2023, n°2301587 ; voir plus récemment encore une application à l’intervention d’un salafiste (confirmation de l’interdiction) : CE, ord.,4 mars 2023, n° 471871 ; Inversement, mais avec le même « mode d’emploi », par une ordonnance du 22 juin 2023, la juge des référés du TA de Lyon avait suspendu l’arrêté par lequel le maire de la ville de Lyon avait interdit une conférence intitulée « Palestine-Israël- colonisation/apartheid » : TA Lyon, ord., 22 juin 2023, n°2305086, 2305087, 2305101 et 2305117. - soit en raison de quasi-certitude que des infractions seront constituées avec atteintes à la dignité de la personne humaine (voir par exemple CE, ord., 9 janvier 2014, n° 374508, au recueil Lebon).
- soit en raison des grands risques de troubles à l’ordre public qui peuvent être alors à craindre.
- ce pouvoir d’interdiction relève, pour l’Etat, des préfets, à qui le Ministre de l’Intérieur peut bien évidement donner des consignes
- Le Ministre de l’Intérieur ne pouvait évidemment pas donner pour instruction aux Préfets d’interdire toute manifestation de ce type sur le territoire national, mais le Conseil d’Etat a réussi le tour de force de le rappeler sans censurer un télégramme en ce sens du Ministre de l’Intérieur
- Une distinction est évidemment à opérer entre :
- manifestations de soutien au Hamas, organisation dictatoriale qui fait régner la terreur à Gaza et qui est terroriste même pour la CEDH (voir Hamas : un lointain écho, juridique, des massacres se fait entendre à la CEDH. Il nous fait entendre une évidence : il n’est PAS conforme à nos valeurs démocratiques, d’aider le HAMAS et de NE PAS s’en désolidariser : CEDH, 10 octobre 2023, CASE OF INTERNATIONALE HUMANITÄRE HILFSORGANISATION E. V. v. GERMANY, n°11214/19)
- et le soutien aux autres composantes, à commencer par les populations civiles de la région (ou à d’autres organismes politiques souhaitant la très légitime constitution d’un véritable Etat palestinien)…
… MAIS sur le terrain il est fort difficile d’éviter les confusions, d’ailleurs entretenues par un grand nombre d’acteurs.
Passons en revue, sur la base de ce mode d’emploi, quelques décisions :
- Rappelons déjà pour commencer une ordonnance du TA de Lyon, déjà citée, en date du 22 juin 2023, par laquelle la juge des référés du tribunal avait suspendu l’arrêté par lequel le maire de la ville de Lyon a interdit la conférence organisée par le Collectif de Soutien au Peuple Palestinien et le syndicat Solidaire Rhône, prévue le jeudi 22 juin 2023, à 18 heures 30, dans les locaux de la Bourse du travail intitulée « Palestine-Israël- colonisation/apartheid ».Voir cette ordonnance :
- Puis, juste après l’attaque du Hamas contre les civils israëliens, le juge des référés du TA de Paris a admis une interdiction d’une manifestation pro-palestinienne dans un contexte explosif, et qui n’avait ni service d’ordre, ni trajet prévisionnel en zone adaptée au maintien de l’ordre… :
- A rebours, le juge des référés du TA de Strasbourg a censuré une manifestation de même nature à Metz :
- de son côté, Saisi d’un référé liberté, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, par les associations Solidarité Palestine Toulouse et France Solidarité Palestine, le juge des référés du TA de Toulouse rejette la demande de suspension au motif que l’arrêté préfectoral attaqué n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées par les associations requérantes.
- TA Toulouse, ord., 25 octobre 2023, 2306474
- voir déjà avant dans le même sens : TA Toulouse, 25 oct. 2023, n° 2306474.
- Dans le même sens mais pour d’autres motifs, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Paris ne suspend pas l’arrêté du préfet de police interdisant de manifester en soutien à la Palestine le 28 octobre 2023 au regard notamment du contexte de tensions exacerbées liées au conflit israélo-palestinien et des conditions de déroulement de cette manifestation :
- Idem à Nice :
- Inversement, par une ordonnance du 20 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a suspendu l’exécution de l’arrêté de la préfète de la Charente du 19 octobre 2023 interdisant la manifestation de soutien à la cause palestinienne prévue samedi 21 octobre 2023 de 14h à 16h place de l’Hôtel de Ville à Angoulême. Voir :
- Idem à Bordeaux (censure de l’arrêté du Préfet) :
- TA Bordeaux, ord., 21 oct. 2023, n° 2305793.
- Mais à Bordeaux voir cette autre décision en sens inverse (un peu avant et dans d’autres conditions) : TA Bordeaux, ord., 11 oct. 2023, n° 2305595.
- censure qui s’exerce aussi contre l’arrêté du Préfet concernant une manifestation prévue à Nancy :
- Pour une censure de l’Etat à Montpellier :
- ou à Lannemezan :
- ou à Grenoble :
- ou à Lorient :
- ou à Auxerre :
- ou à Laval :
- ou à Perpignan :
- Mais en sens inverse (avec un dossier charpenté côté Etat), pour l’acceptation d’un arrêté préfectoral à Belfort :
- etc.
Avec au total une majorité d’ordonnances qui rappellent l’importance de la liberté de manifestation, chère partout à la Démocratie mais qui dans notre pays revêt, au moins pour de larges composantes de la population, une importance culturelle particulière.
En droit, on retiendra que s’impose une appréciation au cas par cas.
Une manifestation organisée dans une ville calme avec un service d’ordre sérieux par des personnes ayant fait preuve de leur sens des responsabilités… n’est pas traitée comme un appel au rassemblement, sans service d’ordre, dans une ville qui serait déjà au bord de l’incendie. Logique.
Reste que ces diversités d’appréciations casuistiques ne peuvent que glisser vers beaucoup de subjectivité, par définition. C’est inévitable. Mais regrettable bien sur.
Sans doute les manifestations demandant la libération de ceux des otages qui sont nos compatriotes seront-elles plus consensuelles.
A la condition que quelqu’un s’émeuve assez pour les organiser…
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