Un maire ne peut pas, au nom de la commune, défendre la délibération lui accordant la protection fonctionnelle (selon un TA)

Seul l’organe délibérant d’une collectivité locale ou d’un établissement public de coopération intercommunal (EPCI) est compétent pour accorder la protection fonctionnelle à l’autorité territoriale.

NB1 : pour un rappel sur ce point, voir par exemple le jugement M. X c/ métropole européenne de Lille en date du 12 octobre 2021 (req. n° 1909928)

NB2 : il est question d’assouplir et parfois de rendre automatique la protection fonctionnelle, avec une loi quasiment adoptée et qui sera donc sans doute publiée en 2024 . Voir ici

Mais cette protection fonctionnelle, qui certes peut être due même en cas de responsabilité pénale, au moins pour les infractions de négligence ou d’imprudence, n’est pas due (sauf in fine en cas de relaxe définitive) pour certaines infractions, comme les prises illégales d’intérêts ou le favoritisme.

Sources : Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 8 mars 2023, 22-82.229 et voir antérieurement aussi Cass., Crim., 22 février 2012, n° 11-81476. L’arrêt du Conseil d’Etat n° 308160 du 23 décembre 2009 va dans le même sens, mais le recours sur la protection fonctionnelle est arrivé au Conseil d’Etat après condamnation pénale. Voir cependant Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 janvier 2017, 15-10.852, Publié au bulletin.

Voir :

Sur les questions d’argent, voir : ici

Tout ceci peut se révéler déjà d’une assez perverse complexité. Surtout pour l’élu de bonne foi qui par définition, se coyant croyant innocent, sous-estime les pièges et autre chausse-trappes qui s’accumulent sous ses pas.

Mais, au nombre des pire traquenards, se trouvera la prise illégale d’intérêt au carré.

Je m’explique.

Un élu aura intérêt à l’affaire consistant… à se voir octroyer la protection fonctionnelle à laquelle il a pourtant droit.

Mais alors, il pourrait, comme cela vient d’être jugé par le TA de Versailles, être considéré comme « intéressé à l’affaire ( au sens des articles L. 2122-22 et  L. 2131-11 du CGCT, voire de l’article 432-12 du Code pénal) qu’est la délibération lui accordant ladite protection fonctionnelle.

Après tout, cela a été jugé pour un élu d’opposition récemment (voir ici).

Aussi est-ce sans surprise excessive que l’on voit un TA appliquer le même mode d’emploi pour le maire lui-même.

Sauf que ledit TA en tire une conséquence un brin radicale ; toute défense du maire est virée des écritures en défense. Ce qui constitue une sorte d’exception d’illégalité assez inédite (et, selon nous, discutable… au minimum aurait-il du alors rouvrir l’instruction pour qu’un vrai contradictoire ait lieu !) :

« 3. Par délibération du 27 mai 2020, le conseil municipal de Chevreuse a, en application des dispositions précitées de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, donné à Mme J, maire de la commune, délégation pour assurer, notamment, la défense de la commune dans les actions juridictionnelles intentées contre elle. Il résulte, par ailleurs, des écritures en défense que la commune est représentée par la maire, dans les quatre instances visées ci-dessus. Cette dernière étant toutefois directement intéressée au rejet des conclusions présentées contre les délibérations du conseil municipal lui accordant le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre de sa mise en cause devant le tribunal correctionnel, sa décision de défendre la commune dans ces instances est, au regard des dispositions citées au point précédent, illégale. Par suite, elle n’avait pas qualité pour représenter la commune dans ces instances. La fin de non-recevoir opposée par les requérants et associations requérantes, tirée de ce que la maire n’a pas qualité à défendre, doit donc être accueillie, et les écritures en défense doivent être écartées des débats.»

In fine, la défense de la commune est ensuite assez largement écrasée, sans que l’on sache bien si c’est juste sur la base des éléments de la requête et de quelques informations d’instruction (ce qui pose un petit problème de contradictoire…) ou si tout de même certains éléments de la défense ont été utilisés (mais a priori non puisque les écritures en défense ont été écartées). Ce qui vu les accusations faites à la maire en cause conduit à un résultat non anodin sur une base déséquilibrée en termes de contradictoire :

« Il ressort des indications non contestées des requérants que le parc de stationnement concerné par les travaux d’aménagement est situé dans les abords du Château de la Madeleine, classé au titre des monuments historiques, et qu’il est visible, notamment, depuis le château. Il est donc établi que ces travaux, quelle que soit leur importance, devaient être précédés de la délivrance d’un permis d’aménager, lequel a d’ailleurs été sollicité après leur exécution, au terme de l’année 2019, et nécessitaient l’accord de l’architecte des bâtiments de France (ABF). La maire de Chevreuse, en ordonnant, notamment par la signature des marchés afférents, la réalisation de ces travaux sans recueillir au préalable ces deux autorisations, a méconnu les dispositions précitées des codes de l’urbanisme et du patrimoine. Il ressort, par ailleurs, des indications, non contestées, de la requête, que l’ABF a alerté la maire de Chevreuse au début du mois de juillet, soit quelques temps après l’engagement des travaux, qui ont débuté le 24 juin 2019, afin d’en signaler la non-conformité aux exigences du code du patrimoine, faute d’obtention préalable d’un accord de l’ABF. Il ressort des pièces du dossier que, par lettre datée du 1er août 2019, la maire de Chevreuse a indiqué aux services de l’ABF qu’eu égard à la consistance des travaux, une autorisation d’urbanisme n’était pas nécessaire. Il est ainsi établi qu’à tout le moins à cette date, la maire de Chevreuse était informée de la nécessité de solliciter l’accord de l’ABF et qu’elle avait ainsi la possibilité d’ordonner l’interruption immédiate des travaux engagés sur le parc de stationnement. Eu égard, par ailleurs, aux fonctions qu’elle a précédemment occupées au sein de l’équipe municipale, Mme J ne pouvait ignorer la nécessité de solliciter les autorisations précitées au titre des codes de l’urbanisme et du patrimoine. Enfin, il est constant que le parc de stationnement est situé en zone Ns (zone naturelle) du PLU. S’il n’est pas établi que les arbres supprimés constituaient des arbres de haute tige, il ressort des pièces du dossier que les travaux ont conduit à substituer un enrobé composé de béton bitumineux à la quasi-totalité des espaces verts présents sur le parking, ainsi qu’aux surfaces en terre et en graves qui composaient l’ancien revêtement. En autorisant de tels travaux, la maire de Chevreuse a ainsi méconnu également les dispositions précitées de l’article Ns13 du règlement du PLU qui, pour les aires de stationnement, imposent de privilégier aux espaces bitumés ou enrobés les espaces minéraux sablés, ou pavés ou d’autres techniques perméables. Ces multiples manquements à la règlementation nationale et locale, commis par la maire de la commune, autorité en charge de la police de l’urbanisme, constituent des fautes d’une particulière gravité et doivent donc être regardées comme détachables de l’exercice des fonctions. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir qu’en accordant à Mme J le bénéfice de la protection fonctionnelle, le conseil municipal a méconnu les dispositions de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales. Ils sont, dès lors, fondés à demander l’annulation des délibérations n° 2021-30 du 31 mai 2021 et n°2021-40 du 7 octobre 2021, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés, contre ces délibérations, dans les instances n° 2106710 et n° 2110754.»

 

NB pour savoir quelle procédure de déport utiliser, voir cette vidéo d’un peu moins de 20 mn (et… pour qui veut se protéger, il faut bien cela… désolé !) :

https://youtu.be/2R5BpzAe0DM

 

Sources par ordre d’apparition à l’écran : Art. 432-12 du Code pénal ; loi 2021-1729 du 22 décembre 2021 ; C. Const., décision n° 2021-830 DC du 17 décembre 2021 ; art. L. 2131-11, L. 2541-17 L. 2122-26 du CGCT ; art. L. 421‑2‑5 et L. 315‑1‑1 du Code de l’urbanisme ; art. 1596 du Code civil ; art. L. 214-9 du Code forestier ; loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ; art. 6ter, 25, 25 bis, 25octies, puis 28 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 (codifié au CGFP à compter du 1er mars 2022) ; décret n° 2017-519 du 10 avril 2017, relatif au référent déontologue dans la fonction publique ; décret n°2017-105 du 27 janvier 2017 ; décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 ; loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte ; art. L. 1132-3-3 code du travail combiné avec l’art. 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ; art. 432-12 (mais voir pour les agents aussi le 432-13…) du code pénal ; Cass. Crim., 20 mars 1990 : Bull. crim., n. 121 ; J.C.P., 1990, IV, 237. Voir aussi Cass. crim., 23 déc. 1952 : Bull. .crim., n. 324. Cass. crim., 2 nov. 1961 : Bull. crim., n. 438. A comparer, dans le même sens, avec Cass. crim. 19 mai 1999, De la Lombardière de Canson et Vittoz (2 espèces) : Droit pénal 1999 n° 139. Cass.crim. 20 févr. 1995 (Inédit). Voir Cass. crim., 22 sept. 1998, Tepa Taratiera : Droit pénal, 1999 n° 21 (intérêt pour la signature d’un contrat d’embauche d’une sœur). Cass. crim., 29 sept. 1999, Procureur général près la CA de Colmar, Kauffmann : Droit pénal, 2000, n° 15 ; voir aussi Cass. crim., 4 mars 2020, 19-83.390, Publié au bulletin ; Cass. crim., 15 décembre 1905, Lanoix (ou Lacroix, selon les publications…) :D., 1907‑1‑195. Pour un autre cas, concernant un agent : CA Rennes, 13 décembre 1994, Dép. du Finistère : D. 1997, Jurisp. p. 361, note J. Bénoit. Cass. crim., 23 février 1988,Petit (cité par A. Vitu, Jurisclasseur pénal, art. 432‑12, 1999, n. 19. Voir aussi p. ex. Trib. corr. Poitiers, 19 mars 1980, X. : J.C.P., 1980, II, n. 19409, note R. de Lestang ou Trib. corr. Valence, 30 juin 1987, Faiella : G.P., n. 296‑297, 23, 24 octobre 1987, p. 12. Voir aussi Cass. crim., 25 juin 1996 : Bull. crim. 273. Or, dans ce cadre, cela fait belle lurette que le juge pénal sanctionne l’élu qui recrute des membres de sa famille au titre de l’article 432-12 du Code pénal (voir par exemple Tbl. corr. Meaux, 19 octobre 2006, C., CM-4011). Pour un cas de relation amicale voir Cass. crim., 5 avril 2018, 17-81.912. Pour un cas amusant, voir T. corr. Bobigny, 1erjuin 2011, D., n° 082738085) ; Loi 3DS n°2022-217 du 21 février 2022 ; Art. L. 1111-6 du CGCT ; art. L. 1524-5 et suiv. du CGCT ; CE, 25 novembre 2021, Corsica Networks a c/ collectivité de Corse et NXO France, n° 454466, au rec. ; Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 7 septembre 2022, 21-83.121, Publié au bulletin ; article L. 2131-11 du CGCT ; CE, 19 janvier 1983, Chauré, Rec. 7 ; article L. 214-9 du Code forestier, articles 117 à 122-2 du décret 91‑1197 du 27 novembre 1991 ; article 1596 du Code civil ; Cass.crim., 14 janv. 1943, Reglain, Bull.crim., n. 4. Cass.crim., 2 févr. 1988, Bull.crim. n. 51. CE, 8 juin 1994, M. Mas, n. 141026. CE, 26 octobre 1994, M. Monier, n. 121717 ; T.A. Marseille, 30 janv. 1974, Sieur Pelat : rec., p. 679. CE, 26 février 1982, Assoc. «renaissance d’Uzès» : rec., T., p. 549. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 janvier 2021, 19-86.702, Inédit ; Cass. crim. 19 mai 1999, De la Lombardière de Canson et Vittoz (2 espèces) : Droit pénal 1999 n° 139 ; article L. 422-7 du Code de l’urbanisme ; CE, 12 février 1986, Cne Ota, Rec. 39 ; CE, 8 juin 1994, M. Mas, req. n° 141026 ; CE, 23 février 1990, Commune de Plouguernevel c/ Lenoir, req. n° 78130 ; CE, 26 février 1975, Garrigou, Rec. 154 ; CE, 11 décembre 1992, Stehly, req. n° 89121 ; TA Lille, 7 mai 1969, Sieur Kahn, Rec. tables 632 ; CE, 22 février 1995, Commune de Menotey, req. n° 150713 ; article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013, modifiée en 2017, précisé par l’article 5 du décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014 ; Conseil d’État, 30 janvier 2020, n° 421952, aux tables ; art. L. 5214-16-1, L. 5215-27, L. 5216-7-1 du CGCT. 

 

Pour en savoir plus, voir la rediffusion en ligne, de la table ronde qui a eu lieu à ces sujets lors du 21º colloque de l’observatoire SMACL, le 20 octobre 2022 :

Revenons à notre jugement du TA de Versailles : en voici le résumé fait par ledit TA dans sa lettre de jurisprudence dont voici, ici (se rendre à la page 7 du lien que voici), la source :

« Le maire d’une commune, ayant un intérêt personnel au rejet des requêtes à fin d’annulation de délibérations du conseil municipal lui accordant le bénéfice de la protection fonctionnelle, n’a pas qualité pour agir au nom de la commune dans ces instances. Les écritures de la commune doivent, en conséquence, être écartées des débats.
« 
Le maire peut, en application des dispositions de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, être chargé par délégation du conseil municipal de défendre en justice la commune dans les actions intentées contre elle. Par ailleurs, en vertu des dispositions de l’article L. 2122-23 du même code, les décisions prises par le maire sur délégation du conseil municipal sont soumises aux dispositions de l’article L. 2131-11 de ce code, dont il résulte que la participation au vote permettant l’adoption d’une délibération d’un conseiller municipal intéressé à l’affaire qui fait l’objet de cette délibération, c’est-à- dire y ayant un intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune, est de nature à en entraîner l’illégalité.
« 
Le tribunal était saisi de requêtes dirigées contre deux délibérations du conseil municipal accordant à la maire le bénéfice de la protection fonctionnelle de la commune, dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre elle. Or, la commune était représentée dans ces instances par sa maire, alors que celle-ci avait un intérêt personnel au rejet des requêtes. Sa décision de défendre en justice, prise sur délégation du conseil municipal, étant illégale, le tribunal juge que la maire n’a pas qualité pour représenter la commune, et que les écritures de la commune doivent être écartées des débats.»

Logique pour ce qui est des règles en matière de conflits d’intérêts au stade de la légalité de la délibération. Un peu extrême pour ce qui est des conséquences sur la validité des écritures en défense de la commune.

Mais pas prudence, si un maire doit défendre une délibération lui accordant la protection fonctionnelle, il vaudra mieux faire délibérer le conseil municipal avec désignation d’un autre élu pour porter la défense. Ou utiliser les autres procédures de déport (de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013) pour les autres personnes publiques… Même si là encore ce jugement de première instance pourrait être contesté.  

Source :

TA Versailles, 1er décembre 2023, Mme C et autres, associations S et P, Mme D et autres, n° 2106710, 2106712, 2110754 et 2110755