Protection fonctionnelle et commissaires enquêteurs

Sans grande surprise, le TA de Paris vient de poser que, même s’il n’est pas un agent public, le commissaire enquêteur est un collaborateur occasionnel du service public :

« 4. Il résulte de ces dispositions que le commissaire enquêteur, qui doit faire preuve d’indépendance et d’impartialité dans l’accomplissement de sa mission et qui contribue, dans le cadre de l’enquête publique prévue notamment par le chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement à la tenue d’un débat public au cours duquel il peut être amené à prendre en compte des intérêts autres que ceux du responsable du projet, assure une mission présentant un caractère d’intérêt général et a, à ce titre, la qualité de collaborateur occasionnel du service public.»

… et qu’à ce titre il a le droit à la protection fonctionnelle, et ce au moins pour les cas où cela se justifie sur le fond, ce pour quoi en l’espèce il est intéressant de lire les points 11 à 19 du jugement ci-dessous, afin de voir le tri opéré par le TA. Citons en quelques extraits :

« 14. Après la publication le 28 mai 2019 d’un article par le journal « Médiapart » relatif à la radiation de M. Ullmann, le préfet de l’Isère a adressé un courrier au président-directeur de ce journal le 4 juin 2019, publié le 6 juin 2019, dans lequel il indiquait que « M. Ullmann [avait eu] un comportement qui [n’était] pas conforme à la déontologie des commissaires-enquêteurs », que le « bon déroulement d’une enquête publique implique (…) que le commissaire-enquêteur s’abstienne de tout acte ou comportement de nature à faire naître un doute quant à son indépendance », que l’intéressé était « notoirement connu pour ses publications et ses prises de positions publiques qui ont pour but de dénoncer les pratiques qu’il estime condamnables des acteurs du monde agricole et du monde industriel », que « les doutes sur son indépendance [étaient] légitimes et ne [permettaient] pas d’assurer la sérénité nécessaire à une enquête publique, ni la confiance du public en son indépendance», qu’il «s’est illustré par une méthode reposant sur une multiplication des demandes auprès des services et sa propension à mener une contre- instruction à charge du dossier, ce qui est effectivement susceptible de nuire à la crédibilité et à l’efficacité des enquêtes qu’il mène », et qu’il « s’était d’ailleurs déjà illustré en ce sens par le passé lors de précédentes fonctions, ce qui lui avait valu des rappels à ses obligations en Isère en 2011 par le secrétaire général de la préfecture, en Savoie en 2017, par le préfet ».
« 15. Si certains de ces éléments n’ont été adressés par le préfet de l’Isère qu’à la commission départementale de l’Isère chargée d’établir la liste d’aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur et saisie d’une demande de radiation de M. Ullmann, les propos contenues dans sa lettre qu’il a adressée le 4 juin 2019 au journal « Médiapart », publiée le 6 juin 2019, sont constitutifs, eu égard notamment à leur véhémence, d’attaques au sens de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983. Par suite, la ministre de la transition écologique a entaché sa décision du 7 octobre 2021 d’une erreur d’appréciation sur ce point.
« 16. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que lors d’une réunion publique qui s’est tenue le 6 février 2017 relative au projet de création d’un réseau d’irrigation en Savoie, « Les services de l’Etat et la Préfecture [ont témoigné] que le commissaire enquêteur [avait] rendu un avis dont l’argumentation [paraissait] partiale et fondée, au moins en partie, sur des positions personnelles et [ont regretté] son manque d’objectivité dans l’analyse du dossier. (…) MM les Maires [ont attesté] ce manque d’objectivité et de neutralité que l’on [est] en droit d’attendre d’un commissaire enquêteur et [ont souligné] son « militantisme écologique ». Tous [ont regretté] le comportement abusif du commissaire enquêteur». Dans son rapport du 15 février 2017, le conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques a relevé que « à l’issue de cette enquête publique, le commissaire-enquêteur a rendu un avis défavorable dont l’argumentation paraît partiale et, fondée, au moins en partie, sur des positions personnelles et un raisonnement qui correspond plus à une requête en annulation qu’à un rapport d’enquête publique ». Or, de tels propos tenus publiquement constituent, eu égard notamment à leur véhémence, des attaques au sens de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 précité. Par suite, la ministre de la transition écologique a entaché sa décision par laquelle elle a implicitement refusé d’octroyer à M. Ullmann le bénéfice de la protection fonctionnelle d’une erreur d’appréciation sur ce point.»

 

On notera donc l’extrême modération qui doit être celle des administrations dans ce genre d’échanges, et que le TA ne semble pas avoir retenu d’excuse de provocation dans le cas des échanges sur le site de Médiapart, par exemple.

A noter aussi deux développements intéressants du TA sur le juge territorialement compétent :

« 6. Il résulte de ces dispositions que les litiges relatifs aux demandes de protection fonctionnelle déposées par des fonctionnaires ou agents de l’Etat et des autres personnes ou collectivités publiques relèvent du tribunal dans le ressort duquel se trouve le lieu d’affectation de l’agent que la décision concerne.
« 7. En l’espèce, d’une part, M. Ullmann n’avait pas la qualité de fonctionnaire ou d’agent public. D’autre part, si ainsi qu’il a été dit au point 4, M. Ullmann avait la qualité de collaborateur occasionnel du service public, sa seule inscription sur la liste d’aptitude des commissaires enquêteurs du département de l’Isère, de laquelle il a au demeurant été radié par la commission départementale de l’Isère le 6 décembre 2018, ne permet pas d’établir que son lieu d’affectation au sens des dispositions précitées de l’article R. 312-12 du code de justice administrative était, à la date des décisions attaquées, situé dans le département de l’Isère. Par suite, en application des dispositions de l’article R. 312-1 du même code, le tribunal administratif de Paris est territorialement compétent pour connaître de la requête présentée pour M. Ullmann et dirigée contre les décisions par lesquelles la ministre de la transition écologique a refusé de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle.»

 

Voici cette décision :

TA Paris, 22 février 2023, n° 1123252255_2126907

 

NB : il s’agit d’une des multiples branches des contentieux concernant M. G. Ullmann ancien et futur commissaire enquêteur. Voir notamment :

 

 

Sur la protection fonctionnelle, voir :