OUI car lorsqu’il s’agit d’exécuter des décisions de Justice, le maire est placé dans une relation qui peut être qualifiée de hiérarchique vis-à-vis du préfet, au moins en cas d’inaction très persistante du maire. Il en va ainsi lorsque des libertés sont en cause (mais sans doute en va-t-il de même dans tous les domaines).
En l’espèce, en 2011, l’association musulmane El Fath a obtenu un permis de construire pour l’édification d’une mosquée dans la commune de Fréjus. A la suite de l’achèvement des travaux, elle a sollicité du maire de lui délivrer, au nom de l’État, l’autorisation d’ouverture du bâtiment (requise par le code de la construction et de l’habitation pour les établissements recevant du public).
En dépit de l’avis favorable de la sous-commission départementale de sécurité, le maire a rejeté cette demande le 5 août 2015, interdisant ainsi l’ouverture de la mosquée.L’association El Fath a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon d’un référé-liberté… lequel TA lui a donné raison.
Puis le maire persiste, ce qui a donné lieu à deux ordonnances du juge des référés du Conseil d’Etat en novembre et en décembre 2015.
Le maire de Fréjus persistant dans son refus d’agir, l’association a demandé au préfet du Var de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales pour y procéder d’office.
L’article L. 2122-34 du CGCT dispose en effet que :
Dans le cas où le maire, en tant qu’agent de l’Etat, refuserait ou négligerait de faire un des actes qui lui sont prescrits par la loi, le représentant de l’Etat dans le département peut, après l’en avoir requis, y procéder d’office par lui-même ou par un délégué spécial.
Cet article permet en effet au préfet, lorsque le maire refuse ou néglige de faire un des actes prescrits par la loi dans une compétence qu’il exerce au nom de l’État, de le mettre en demeure de le faire puis d’y procéder d’office par lui-même.
À la suite du refus du préfet, l’association a saisi le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Toulon. Par une ordonnance du 24 décembre 2015, celui-ci a rejeté sa demande.
Saisi en appel, le juge des référés du Conseil d’État a annulé cette ordonnance et enjoint au préfet du Var de faire usage de ses pouvoirs pour assurer l’exécution de l’ordonnance du 9 novembre 2015 dans un délai de 72 heures.
Le juge des référés du Conseil d’État a donc estimé que, face au refus persistant du maire d’exécuter l’ordonnance du 9 novembre 2015, le préfet devait faire usage de son pouvoir hiérarchique en la matière. Ainsi, en refusant de le faire, il a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours effectif, qui implique le respect des décisions de justice, ainsi que, par voie de conséquence, aux libertés fondamentales de culte et d’expression, que l’ordonnance du 9 novembre 2015 avait pour objet de sauvegarder.Le préfet du Var est donc tenu, dans les 72 heures, de mettre en œuvre son pouvoir hiérarchique pour assurer l’exécution de l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État du 9 novembre 2015 en délivrant l’autorisation d’ouverture provisoire de la mosquée de Fréjus.
Conclusion : si un maire persiste à exécuter une décision de Justice, il sera possible désormais aux requérants de se retourner contre le Préfet, au moins dans des cas d’urgence (et surtout — mais pas seulement semble-t-il — si l’exercice de Libertés publiques est en cause), le Préfet pouvant réformer la décision du maire en tant que « supérieur hiérarchique » du maire (le terme est juste, mais il est fort) dans le cadre particulier du refus de l’exécution des décisions de Justice… et le refus du Préfet d’exercer ce pouvoir pouvant donner lieu, lui aussi, à la censure du Juge.
D’un juge (et on le comprend) un peu colère de ne pas voir ses ordonnances exécutées, visiblement.
Voici cette ordonnance :
CE, ord., 19 janvier 2016, Association musulmane El Fath, n° 396003
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale » ;
2. Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’association musulmane El Fath a obtenu par un arrêté du maire de Fréjus du 8 avril 2011, modifié par arrêté du 19 août 2013, un permis de construire pour l’édification dans cette commune d’une mosquée et la démolition de garages servant antérieurement de lieu de culte ; que, par arrêté du 17 novembre 2014, le maire de Fréjus a mis en demeure cette association d’interrompre les travaux entrepris sur le terrain d’assiette du projet ; que, par ordonnance du 19 décembre 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a suspendu l’exécution de cette décision ; qu’ayant ainsi pu achever les travaux de construction, l’association a sollicité du maire, le 5 juin 2015, la délivrance d’une attestation d’achèvement et de conformité des travaux ainsi que l’autorisation d’ouverture de la mosquée, requise par les dispositions du code de la construction et de l’habitation relatives aux établissements recevant du public ; qu’en dépit de l’avis favorable émis le 18 juin 2015 par la sous-commission départementale de sécurité, le maire a implicitement rejeté cette demande le 5 août 2015, interdisant ainsi l’ouverture de la mosquée ; que, par une ordonnance du 9 novembre 2015, le juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au maire de Fréjus d’accorder à l’association musulmane El Fath, à titre provisoire, l’autorisation permettant l’ouverture au public de la mosquée de Fréjus et décidé de prononcer une astreinte de 500 euros par jour à l’encontre de la commune s’il n’était pas justifié de l’exécution de cette ordonnance dans un délai de huit jours à compter de sa notification ; que, par une ordonnance du 3 décembre 2015, le juge des référés du Conseil d’Etat, après avoir relevé que le maire de Fréjus devait être regardé comme n’ayant pas, à cette date, exécuté l’ordonnance du 9 novembre 2015, a procédé, au bénéfice de l’association musulmane El Fath et autres, à la liquidation de l’astreinte pour la période du 21 novembre 2015 au 3 décembre 2015 inclus, au taux de 500 euros par jour, soit 6 500 euros ; que, parallèlement à ces procédures, l’association musulmane El Fath a demandé au préfet du Var, le 24 novembre 2015, qu’il donne suite au courrier du 21 octobre 2015 par lequel il avait mis en demeure le maire de Fréjus de délivrer, sous quinzaine, l’autorisation provisoire d’ouverture au public de la mosquée et indiqué qu’en l’absence de décision en ce sens, il userait du pouvoir hiérarchique que lui confère l’article L. 2131-5 du code général des collectivités territoriales ; qu’à la suite du courrier du 4 décembre 2015 que lui adressé le préfet du Var, l’association musulmane El Fath a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint audit préfet en lieu et place du maire de Fréjus d’assurer l’exécution de l’ordonnance du 9 novembre 2015 du juge des référés du Conseil d’Etat ; qu’elle relève appel de l’ordonnance du 24 décembre 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2131-5 du code général des collectivités territoriales : « Les dispositions des articles L. 2131-1 à L. 2131-4 ne font pas obstacle à l’exercice, par le représentant de l’Etat dans le département, du pouvoir de substitution qu’il tient, notamment en matière de police, des articles L. 2215-1 et L. 2215-5, ni à celui de son pouvoir hiérarchique sur les actes du maire lorsque celui-ci, en application des articles L. 2122-27 et L. 2122-34, agit comme agent de l’Etat dans la commune. » ; qu’aux termes de l’article L. 2122-34 du même code : « Dans le cas où le maire, en tant qu’agent de l’Etat, refuserait ou négligerait de faire un des actes qui lui sont prescrits par la loi, le représentant de l’Etat dans le département peut, après l’en avoir requis, y procéder d’office par lui-même ou par un délégué spécial. » ;
4. Considérant, d’une part, qu’il résulte des dispositions combinées des articles L. 111-8-3 et R. 111-19-29 du code de la construction et de l’habitation que l’autorisation d’ouverture d’un établissement recevant du public est délivrée au nom de l’Etat soit par le préfet soit par le maire ;
5. Considérant, d’autre part, que les décisions du juge des référés sont exécutoires et, en vertu de l’autorité qui s’attache aux décisions de justice, obligatoires ; que les obligations qui découlent de l’exécution d’une ordonnance du juge des référés, qu’il s’agisse de la suspension de l’exécution d’une décision administrative comme de l’édiction des mesures ordonnées par le juge doivent être regardées comme prescrites par la loi au sens et pour l’application des dispositions citées au point 3 de la présente ordonnance ;
6. Considérant que la situation d’urgence particulière justifiant que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, caractérisée par le juge des référés du Conseil d’Etat, dans son ordonnance du 9 novembre 2015, se trouve encore aggravée par le défaut prolongé d’exécution de cette ordonnance ; que si le ministre de l’intérieur invoque la nécessité de prolonger l’instruction de la demande de l’association requérante afin de permettre au préfet du Var de s’assurer du respect des normes de sécurité, il résulte de l’instruction que la sous-commission départementale de sécurité a émis, le 18 juin 2015, un avis favorable à l’ouverture de la mosquée de Fréjus ; que si le ministre de l’intérieur fait également valoir l’existence d’une instance pénale en cours, les réquisitions du ministère public tendant à la démolition de la mosquée et l’intervention du jugement correctionnel le 26 février prochain, ces circonstances avaient déjà été portées à la connaissance du juge des référés du Conseil d’Etat qui a estimé, dans son ordonnance du 3 décembre 2015, qu’elles ne faisaient pas obstacle à la liquidation de l’astreinte ;
7. Considérant qu’il incombe aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu’implique le respect des décisions juridictionnelles ; qu’ainsi et alors même que l’exécution d’une décision du juge administratif doit en principe être assurée dans les conditions et selon les procédures prévues par le livre IX du code de justice administrative, le représentant de l’Etat dans le département peut recourir aux pouvoirs qu’il tient de l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales afin de prendre, en lieu et place du maire qui refuserait ou négligerait de le faire, les mesures qu’appelle nécessairement l’exécution d’une décision juridictionnelle ; qu’en dépit de l’ordonnance du 9 novembre 2015 prononçant une mesure d’injonction en ce sens et de celle du 3 décembre 2015 procédant à la liquidation de l’astreinte, il résulte de l’instruction que le maire de Fréjus a persisté à refuser de délivrer, au nom de l’Etat, l’autorisation d’ouverture au public de la mosquée de la commune ; qu’il ressort tant des écritures de la commune que des échanges au cours de l’audience publique qu’il n’entend toujours pas exécuter l’ordonnance du 9 novembre 2015 ; que, dans ces conditions, le refus du préfet du Var de prendre, dans le cadre de son pouvoir hiérarchique, la mesure ordonnée par le juge des référés du Conseil d’Etat porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à un recours effectif ainsi que, par voie de conséquence, aux libertés fondamentales que cette mesure a pour objet de sauvegarder ; qu’il résulte de ce qui précède que l’association musulmane El Fath est fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande ; qu’il y a lieu d’enjoindre au préfet du Var de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales pour assurer l’exécution de l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 9 novembre 2015 dans un délai de 72 heures à compter de la notification de la présente ordonnance sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à l’association musulmane El Fath, d’une somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761- 1 du code de justice administrative ; que les conclusions présentées au même titre par la commune de Fréjus, qui a été mise en cause pour observations et qui n’est pas partie dans la présente instance, doivent en tout état de cause être rejetées ;
O R D O N N E :
Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 24 décembre 2015 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Var de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales pour assurer l’exécution de l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 9 novembre 2015 dans un délai de 72 heures à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : L’Etat versera à l’association musulmane El Fath une somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761- 1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l’association musulmane El Fath est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Fréjus au titre de l’article L. 761- 1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association musulmane El Fath, au ministre de l’intérieur et à la commune de Fréjus.