Dans un contexte économique tendu, les personnes publiques sont particulièrement soucieuses d’assurer l’efficacité de leurs achats au stade de la passation des contrats de la commande publique, mais aussi – et de plus en plus – au stade de leur exécution.
Face à certaines entreprises peu diligentes dans l’accomplissement de leurs obligations, elles n’hésitent plus à dénouer les relations contractuelles qui n’apportent plus satisfaction. Mais toute faute contractuelle ne justifie pas nécessairement la résiliation d’un contrat, ce qu’ont tendance à oublier les pouvoirs adjudicateurs…oubli qui peut au final coûter cher.
C’est ce que rappelle un arrêt du Conseil d’Etat en date du 10 février 2016 (Commune de Bandol, req. n°387769) qui, à défaut d’innover, a le mérite de la pédagogie en soulignant un principe phare: la nécessaire proportionnalité de la sanction envisagée à la faute constatée.
Il est depuis longtemps admis que la résiliation pour faute étant avant tout une sanction, le juge s’attache à en contrôler la proportionnalité et notamment le juge veille à ce que la faute qui motive la sanction résolutoire présente un caractère de gravité suffisant (CE, 18 mars 1959, Peter, Rec. p.189).
Dans l’affaire commentée, la Commune de Bandol a conclu un marché public portant sur l’installation et l’exploitation de dispositifs destinés à la promotion et au fléchage des commerces, entreprises locales et équipements publics.
Les stipulations de ce marché prévoyaient que les lieux d’implantation des dispositifs publicitaires devaient être validés par le Maire. La Commune, constatant le non-respect de cette procédure spécifique prévue au contrat, a décidé de résilier le marché aux torts exclusifs du titulaire.
Toutefois, la Commune n’avait pas respecté les formalités de mise en demeure à l’occasion du premier courrier adressé à la Société et, plus encore, ladite Société s’était ensuite conformée au second courrier qui lui a été adressé en démontant les panneaux installés et en remettant les lieux en état.
Le Conseil d’Etat confirme que, dans ces circonstances, même s’il existe une faute contractuelle avérée, la sanction adoptée par la Commune n’est ni proportionnée, ni justifiée :
“la cour n’a pas donné à ces faits une qualification juridique erronée en jugeant que la décision de résiliation du marché prononcée le 18 septembre suivant aux torts exclusifs de la société Signacité revêtait un caractère disproportionné et n’était pas justifiée, alors même qu’elle avait relevé l’existence d’une faute de la société résultant de ce qu’elle ne s’était pas soumise à la procédure formelle de validation des emplacements destinés à l’implantation des dispositifs prévue par le contrat”.
Mais le Conseil d’Etat ne se limite pas l’examen de la régularité de la sanction.
Poussant l’analyse, il considère avec justesse que même si la sanction est disproportionnée, il n’en reste pas moins que la Société a commis une faute contractuelle dont il convient de tenir compte pour apprécier le préjudice subi.
Ainsi, il sanctionne l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille qui avait condamné la Commune à payer l’intégralité du préjudice en estimant que, du fait de sa faute, la Société doit assumer une part de responsabilité. Le Conseil d’Etat procède ainsi à un partage de responsabilité en limitant à 50% l’indemnisation due par la Commune :
“que, toutefois, elle n’a pu sans erreur de droit tout à la fois relever l’existence de cette faute et condamner la commune de Bandol à réparer l’intégralité du préjudice subi par la société sans laisser à la charge de cette dernière la part de responsabilité lui incombant ; que son arrêt doit, par suite, être annulé en tant qu’il a condamné la commune de Bandol à indemniser la société Signacité de la totalité du préjudice subi”
Ainsi, le Conseil d’Etat fait preuve d’un pragmatisme louable : même si la Commune n’a pas respecté la procédure de résiliation, le différend est initialement né du manque d’attention du cocontractant dans la mise en œuvre d’une procédure contractuellement prévue.
Mais on le voit, les personnes publiques doivent se montrer vigilantes lorsqu’elles adoptent des décisions de résiliation pour faute qui nécessitent, d’une part une véritable analyse préalable quant à la proportionnalité de la sanction envisagée et, d’autre part, le respect d’une procédure lourde qui varie au gré des CCAG applicables et des pièces particulières du marché…
A défaut, les personnes publiques risquent de régler une addition salée voire même de devoir reprendre leurs relations contractuelles comme le permet dorénavant la jurisprudence administrative (CE, 21 mars 2011, Commune de Béziers, req. n° 304806).
Vigilance au stade de la passation des contrats, certainement, mais attention à ne pas baisser la garde au stade de l’exécution car les conséquences – certes moins connues – n’en demeurent pas moins dommageables.