Le Conseil d’Etat trace une frontière entre cultuel et culturel..une frontière rigide (seules les associations cultuelles de la loi de 1905 ont accès au BEA visant à édifier des bâtiments religieux), ce qui est logique mais qui rompt un peu avec les positions antérieures des magistrats administratifs.
Les communes ne sont pas privées d’outil pour permettre la construction d’édifices religieux nouveaux nonobstant le principe de laïcité et la séparation entre les églises — lato sensu — et l’Etat.
Ainsi l’article L. 2252-4 du CGCT, à l’origine taillé sur mesure pour la cathédrale d’Evry, dispose-t-il qu’une :
« commune peut garantir les emprunts contractés pour financer, dans les agglomérations en voie de développement, la construction, par des groupements locaux ou par des associations cultuelles, d’édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux.»
Surtout, la construction d’édifices religieux par des associations cultuelles peut aujourd’hui faire l’objet d’un bail emphytéotique administratif de l’article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales.
Voir sur ces points et des points connexes : CE, 26 novembre 2012, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, n° 344379 ; voir aussi dans le même sens C.Const., QPC, 21 févr. 2013, n° 2012-297 ; CE Ass., 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n° 308544 ; CE Ass., 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône, n° 308817 ; CE Ass., 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161 ; CE Ass., 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n° 313518).
La collectivité peut ainsi conclure un bail emphytéotique avec un loyer d’un euro (mais avec transfert de propriété à la fin du bail) pour la construction d’une mosquée (art. L. 1311-2 du CGCT ; CAA, Versailles, 3 juillet 2008, Commune de Montreuil sous Bois, n° 07VE01824, arrêt confirmé mais sous d’autres motifs par CE, Ass., 19/07/2011, 320796, Publié au rec.).
L’heure est donc à la souplesse. Le juge ayant même été jusqu’à accepter :
- que soient des dépenses culturelles l’achèvement d’un édifice cultuel (l’Eglise St Pierre de Firminy de l’architecte Le Corbusier : CAA Lyon, 09/10/2008, 05LY01710… en l’espèce au motif que l’Eglise n’allait pas être consacrée, ce qui relevait en l’espèce d’un voeu pieu).
- qu’une région finance la restauration de la basilique catholique Saint-Augustin d’Hippone à Annaba, en Algérie donc… Un arrêt important sur le principe de laïcité et des limites, mais aussi sur les modalités, assouplies par cet arrêt, de la coopération décentralisée (CE, 17 février 2016, n° 368342 , à publier au recueil Lebon). Voir sur ce point :
Oui mais il y a des limites, que vient de poser le Conseil d’Etat, entre cultuel et culturel justement.
Un projet de mosquée dans le 18e arrondissement de Paris ne peut donner lieu à BEA… que si le demandeur est une association CULTUELLE et non seulement une association CULTURELLE, la frontière entre les deux étant l’assujettissement à la loi de 1905 et non à la seule loi de 1901…
En droit, cette position va plutôt de soi et il est étonnant que la Ville de Paris se soit prise les pieds dans ce tapis de prière là.
En effet, le CGCT ne permet la conclusion d’un tel bail, dérogatoire à la loi du 9 décembre 1905, que si l’édifice cultuel est exploité par une « association cultuelle », association soumise quant à elle au régime spécifique posé par le titre IV de cette loi du 9 décembre 1905.
Le Conseil d’État a donc, le 10 février 2017, confirmé l’annulation de la délibération de la ville de Paris ayant décidé de louer un immeuble à la société des Habous et des lieux saints de l’Islam en vue de la construction d’une mosquée dès lors que cette société n’est pas une association cultuelle régie par la loi de 1905.
Plus intéressant, il précise qu’une régularisation du contrat est possible pour prévoir une affectation du bien à une telle association cultuelle.
Devant le juge, le débat portait sur le sens à donner aux mots « association cultuelle » à l’article L. 1311-2 du CGCT. Le Conseil d’État a jugé que cette expression faisait référence au régime spécifique des associations cultuelles prévu par la loi de 1905. Or la société des Habous et des lieux saints de l’Islam, cocontractante de la ville de Paris pour une mosquée dans le 18e arrondissement, n’avait pas le statut d’association cultuelle et le bail prévoyait que c’était elle qui occuperait et exploiterait le local. Le Conseil d’État confirme donc l’annulation de la délibération et une application stricte du régime cultuel dans le cas du doit des BEA… selon une rigidité que l’on n’avait pas remarquée dans les affaires — placées dans un cadre distinct mais assez analogue — de Firminy ou d’Annaba précitées…
Voici cet arrêt du CE :
ce-10-fevrier-2017-ville-de-paris