A l’heure où se crispent les débats sur les signes religieux dans l’espace public, la loi et la jurisprudence ne cessent, en revanche, d’assouplir le droit sur les relations entre les collectivités locales, d’une part, et les bâtiments religieux, d’autre part. En témoigne un arrêt très récent du Conseil d’Etat autorisant une région à financer la restauration de la basilique Saint-Augustin d’Hippone à Annaba… Un arrêt important sur le principe de laïcité et des limites, mais aussi sur les modalités, assouplies par cet arrêt, de la coopération décentralisée.
Un principe strict
Le principe de laïcité est-il celui d’une neutralité ? S’étend-il aux bâtiments religieux ?
Une réponse nuancée s’impose de longue date à ces questions qui, dans la sphère du débat public, conduisent en revanche à des réponses très tranchées.
Le principe de laïcité s’impose avec vigueur, notamment à l’école.
NB : pour un exemple récent et sévère, voir par exemple TA, CAEN, 07.06.2005, M. et Mme K., n° 0500301. Pour un exemple en parascolaire (classe de neige), voir CAA Lyon, 18/04/2013, n° 12LY01888.
Le juge judiciaire y veille également. Dans une décision du 19 mars 2013, la Cour de Cassation a rappelé que :
« les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicable à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé » (Cour de Cassation, chambre sociale, 19 mars 2013, 12-11.690, Bulletin V, n°76).
Les subventions aux associations cultuelles sont en principe interdites, sous réserve des règles spécifiques à l’Alsace et à la Moselle.
Avait été annulée, par exemple, la mise à disposition par une commune d’une église à une association religieuse catholique traditionaliste. La jurisprudence du Conseil d’Etat était autrefois très sévère sur ce point et condamnait les subventions à des associations dès lors que ces dernières avait, même partiellement, un objet cultuel.
Sources : art. 2 de la loi du 9 décembre 1905 ; TA Amiens, 16/9/86, Labille, RFDA 87, p. 758. CE, 9 octobre 1992, Commune de Saint-Louis c/ Association Siva Soupramanien de Saint-Louis, n° 94.455, rec. p. 803.
Sur une autre base juridique que celui de la laïcité, les financements de petits groupes de pensée dont la franc-maçonnerie ont pu aussi être censurés par le juge.
Exemple amusant : TA Montpellier, 22 avril 2008, Association des contribuables de l’Hérault, req. 0500363 et 0600596.
Des assouplissements en matière de bâtiments et d’activités non directement cultuelles
Mais la loi elle-même a évolué. L’article L. 2252-4 du CGCT, à l’origine taillé sur mesure pour la cathédrale d’Evry, dispose ainsi qu’une :
« commune peut garantir les emprunts contractés pour financer, dans les agglomérations en voie de développement, la construction, par des groupements locaux ou par des associations cultuelles, d’édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux.»
Surtout, la construction d’édifices religieux par des associations cultuelles peut aujourd’hui faire l’objet d’un bail emphytéotique administratif de l’article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales.
Le Conseil d’Etat a dans le même sens modifié sa position et autorise aujourd’hui les subventions à des associations cultuelles, dès lors que ces subventions visent au financement d’activités non rattachées aux activités cultuelles de l’association (CE, 26 novembre 2012, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, n° 344379 ; voir aussi dans le même sens C.Const., QPC, 21 févr. 2013, n° 2012-297).
Par ailleurs, le Conseil d’Etat a apporté d’importantes précisions sur les subventions possibles aux associations cultuelles dans quatre décisions d’assemblée du 19 juillet 2011. Il ressort de ces décisions que :
- Une commune peut participer au financement d’un orgue qui sera placé dans une église et utilisé à la fois pour des activités cultuelles mais également culturelles et éducatives (CE Ass., 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n° 308544) ;
- Une commune peut financer un équipement attaché à un édifice religieux, qui présente un intérêt public local, en participant au rayonnement culturel de la commune en l’espèce, dans la mesure où cet équipement n’est pas utilisé pour une activité cultuelle. La circonstance que cet équipement puisse bénéficier aux utilisateurs de l’édifice religieux ne rend pas le financement irrégulier. Il s’agissait en l’espèce du financement d’un ascenseur permettant aux personnes à mobilité réduite d’accéder à la basilique de la Fourvière (CE Ass., 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône, n° 308817) ;
- Une collectivité peut financer un abattoir destiné à la réalisation d’abattages rituels dans la mesure où il y a selon le juge un intérêt public local à ce que les cultes soient exercés dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, notamment de la salubrité et de la santé publique (CE Ass., 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161) ;
- Une commune peut laisser une association cultuelle utiliser un local municipal librement, sans pouvoir lui accorder un traitement de faveur par rapport au traitement des autres usagers. La commune ne peut en tout état de cause pas refuser à une association l’accès à un local municipal sur le seul fondement de son aspect cultuel. En revanche une commune ne peut pas accorder de façon pérenne à une association cultuelle l’utilisation d’un local municipal, qui deviendrait ainsi un édifice cultuel (CE Ass., 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n° 313518).
Surtout, la collectivité peut-elle conclure un bail emphytéotique avec un loyer d’un euro (mais avec transfert de propriété à la fin du bail) pour la construction d’une mosquée (art. L. 1311-2 du CGCT ; CAA, Versailles, 3 juillet 2008, Commune de Montreuil sous Bois, n° 07VE01824, arrêt confirmé mais sous d’autres motifs par CE, Ass., 19/07/2011, 320796, Publié au rec.).
Naturellement, de telles interventions impliquent pour être légales que la collectivité en cause dispose d’une compétence en ce domaine, sans que l’on puisse trop ruser du point de vue de la collectivité sur la frontière entre culturel et cultuel (pour l’Eglise St Pierre de Firminy de l’architecte Le Corbusier et la question des compétences de la communauté d’agglomération de St Etienne, voir CAA Lyon, 09/10/2008, 05LY01710).
Bref, l’heure est à l’apaisement sur le terrain de la laïcité et des édifices religieux, alors que l’époque est à la crispation sur les signes religieux dans l’espace public, sauf dans des fractions de notre pays ayant une autre histoire en ce domaine, comme La Réunion par exemple.
Dernier signe de cette décrispation : le tout nouvel arrêt rendu le 17 février 2016 par le Conseil d’Etat sous le numéro n° 368342 et qui sera publié au recueil Lebon.
Restaurer un bâtiment historique religieux, à l’étranger, mais qui s’inscrit avec force dans le patrimoine culturel, peut donner lieu à un financement dans le cadre d’une opération de coopération décentralisée
Mais l’arrière plan de cette affaire est largement historique et, quoiqu’à l’étranger, en lien avec l’histoire de France.
La basilique Saint-Augustin d’Hippone d’Annaba (Algérie) a été construite en 1881 sur les plans de l’architecte français Joseph Pougnet. Tout en constituant un lieu de culte pour un certain nombre de fidèles de la région, elle est aussi — souligne le Conseil d’Etat — un important lieu de rendez-vous pour la population de la ville et un monument historique qui reçoit chaque année de très nombreux visiteurs. Elle abrite une bibliothèque ouverte à tous et accueille de nombreuses manifestations culturelles.
Le projet de restauration de ce monument très endommagé, engagé à l’initiative et sous la maîtrise d’ouvrage de l’association diocésaine d’Algérie, propriétaire du bâtiment, et autofinancé à hauteur de 20%, a recueilli le soutien de nombreuses collectivités publiques algériennes et étrangères, qui assurent 40% du financement des travaux. De nombreuses entreprises, algériennes et européennes, notamment d’importantes entreprises françaises, contribuent au financement du projet, sous forme de mécénat, à hauteur de 40% du montant des travaux également.
Des entreprises françaises, notamment des entreprises installées dans la région Rhône-Alpes, ont été sollicitées pour la réalisation de certains travaux de restauration ainsi que pour des actions de formation.
Dès lors, cette opération pouvait donner lieu à un partenariat de coopération décentralisée, et ce nonobstant le principe de laïcité… ainsi que le retrace le Conseil d’Etat dans cet extrait d’un des résumés qui sera utilisé pour les futures tables du Recueil Lebon :
« Eu égard à l’objet et aux modalités, ainsi décrites, du partenariat que la région Rhône-Alpes a entendu nouer avec les autorités locales d’Annaba, en vue de contribuer à la restauration d’un monument qui s’inscrit dans le patrimoine culturel du bassin méditerranéen, la convention de coopération entre dans le champ des conventions de coopération décentralisée que les dispositions de l’article L.1115-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT)autorisent une région à conclure. 2) Si l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat dispose que ” la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte “, ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une telle action de coopération, qui ne peut être regardée comme ayant pour objet de salarier ou de subventionner un culte, soit menée. »
Un assouplissement aussi en matière de modalités des opérations de coopération décentralisée
Autre apport de cet arrêt : un assouplissement des modalités de la coopération décentralisée.
En l’espèce, l’accord était conclu entre la région Rhône-Alpes, la ville de Saint-Étienne (?), la wilaya et la commune d’Annaba et l’association diocésaine d’Algérie. Ce dernier signataire allait-il, par sa nature de droit privé, mettre le dispositif en échec ?
Oui répondirent le TA et la CAA, avec quelques nuances.
Sources s’agissant de ces positions antérieures aujourd’hui censurées par le Conseil d’Etat : TA Lyon 5/4/12, 1007858, AJDA 2012. 1422 ; AJCT 2012. 322, obs. O. Guillaumont ; CAA Lyon 7/3/13, 12LY01494, Région Rhône-Alpes, AJCT 2013. 359, obs. O. Guillaumont.
Non… finit par trancher la Haute Assemblée.
Sur la base des articles L. 1115-1 et L. 1115-5 du CGCT, le Conseil d’Etat reconnaît, en effet, nettement que la convention de coopération conclue entre la collectivité territoriale française et l’autorité locale étrangère peut être également signée par d’autres personnes, françaises ou étrangères, de droit public ou de droit privé (sauf un Etat, à quelques exceptions textuelles près), ce qui n’allait pas de soi:
« 2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi du 2 février 2007 relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements : ” Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, dans le respect des engagements internationaux de la France, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères pour mener des actions de coopération ou d’aide au développement. Ces conventions précisent l’objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers. Elles entrent en vigueur dès leur transmission au représentant de l’Etat dans les conditions fixées aux articles L. 2131-1, L. 2131-2, L. 3131-1, L. 3131-2, L. 4141-1 et L. 4141-2. Les articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 leur sont applicables./ En outre, si l’urgence le justifie, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en oeuvre ou financer des actions à caractère humanitaire ” ; qu’aux termes de l’article L. 1115-5 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 16 avril 2008 visant à renforcer la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale par la mise en conformité du code général des collectivités territoriales avec le règlement communautaire relatif à un groupement européen de coopération territoriale : ” Aucune convention, de quelque nature que ce soit, ne peut être passée entre une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales et un Etat étranger, sauf si elle a vocation à permettre la création d’un groupement européen de coopération territoriale ” ;
3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions, en vigueur à la date de la délibération attaquée, que le législateur a autorisé les collectivités territoriales à conduire des actions de coopération ou d’aide au développement ; que s’il a prévu qu’elles devaient, à cette fin, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères précisant l’objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers et s’il a exclu qu’elles puissent, sauf pour créer un groupement européen de coopération territoriale, contracter avec un Etat étranger, aucune disposition ni aucun principe n’interdisent qu’une convention de coopération conclue avec une autorité locale étrangère soit également signée par d’autres personnes, françaises ou étrangères, de droit public ou de droit privé, y compris par la ou les personnes qui seront chargées de la réalisation du projet qui fait l’objet de l’accord ; »
Les adeptes de frontières claires, voire rigides, vont y perdre, sinon leur latin, à tout le moins leur calme. Et il est vrai qu’en relativisant la portée du principe de laïcité et celle formant une frontière entre personnes publiques d’une part et privées d’autre part… on complexifie le droit, au risque ensuite d’ouvrir la porte à des vaticinations infernales sur chaque dossier.
Pourrait-on appliquer cette jurisprudence à d’autres édifices religieux mondiaux dont les activités culturelles seraient très mineures au regard des activités cultuelles ? On peut en douter.
Pourrait-on l’appliquer à des édifices aussi culturels que cultuels, mais de moindre ampleur ? Il est loisible de le supposer mais sans certitude…
La nuance y gagne donc au détriment des avantages que procurent des frontières claires.
Mais la vie, celle qui foisonne au fil de nos jours et de nos mémoires émotives, est plus proche de la nuance que de la frontière claire. Et, en l’espèce, il n’y a pas que la souplesse et le pragmatisme qui y ont gagné. Il y a aussi une autre victoire dans cette affaire : celle d’un souvenir de Saint-Augustin et du monde méditerranéen romain unifié, celle d’une école architecturale française en Algérie en un temps où nos pays ne formaient qu’un. C’est aussi une partie de l’histoire de l’insertion de notre pays dans le patrimoine mondial qui s’en trouve un peu restaurée. Nul doute que le Conseil d’Etat, qui d’ordinaire disserte moins sur l’histoire de l’architecture dans ses considérants, n’y a pas été insensible.
Pour télécharger cet arrêt du Conseil d’Etat, qui sera publié au rec. :
CE 20160217 coop decen et laicite
Voici l’arrêt du Conseil d’Etat :
Ariane Web: Conseil d’État 368342, lecture du 17 février 2016, ECLI:FR:CESSR:2016:368342.20160217
Conseil d’État
N° 368342
ECLI:FR:CESSR:2016:368342.20160217
Publié au recueil Lebon
3ème / 8ème SSR
Mme Célia Verot, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocatsLecture du mercredi 17 février 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
MM. F…C…,A… D… et B…E…et l’association de libre pensée et d’action sociale du Rhône ont demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler la délibération du conseil régional de la région Rhône-Alpes des 21 et 22 octobre 2012 approuvant la signature d’une convention entre la région Rhône-Alpes, la ville de Saint-Etienne, la wilaya d’Annaba, la commune d’Annaba et l’association diocésaine d’Algérie, ayant pour objet la restauration de la basilique Saint-Augustin d’Hippone à Annaba en Algérie et la participation des collectivités signataires à son financement.
Par quatre jugements n° 1007886, 10079903, 1007919 et 1007858 du 5 avril 2012, le tribunal administratif de Lyon a annulé la délibération attaquée.
Par quatre arrêts n° 12LY01491, 12LY01492, 12LY01489 et 12LY01494 du 7 mars 2013, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté les appels de la région Rhône-Alpes tendant, d’une part, à l’annulation des jugements n°1007886, 1007903, 1007919 et 1007858 du 5 avril 2012 du tribunal administratif de Lyon, et, d’autre part, au rejet des demandes de MM. F… C…,A… D…, B…E…et de l’association de libre pensée et d’action sociale du Rhône devant le tribunal administratif.
Procédure devant le Conseil d’Etat :
1°, sous le n° 368342, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 mai et 6 août 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la région Rhône-Alpes demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 12LY01491 du 7 mars 2013 de la cour administrative d’appel de Lyon ;
2°) de mettre à la charge de M. C…la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
2°, sous le n° 368343, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 mai et 6 août 2013 et le 22 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la région Rhône-Alpes demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 12LY01492 du 7 mars 2013 de la cour administrative d’appel de Lyon ;
2°) de mettre à la charge de M. D…la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
…………………………………………………………………………
3°, sous le n° 368344, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 mai et 6 août 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la région Rhône-Alpes demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 12LY01494 du 7 mars 2013 de la cour administrative d’appel de Lyon ;
2°) de mettre à la charge de l’association de libre pensée et d’action sociale du Rhône la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
…………………………………………………………………………
4°, sous le n° 368352, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 mai et 6 août 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la région Rhône-Alpes demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n°12LY01489 du 7 mars 2013 de la cour administrative d’appel de Lyon ;
2°) de mettre à la charge de M. E…la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
…………………………………………………………………………
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– la convention de partenariat entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, signée à Alger le 4 décembre 2007, approuvée par la loi n° 2010-162 du 22 février 2010, publiée au Journal officiel de la République française par décret n° 2010-730 du 28 juin 2010 ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat ;
– le code de justice administrative ;Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Célia Verot, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la région Rhône-Alpes et à Me Haas, avocat de M. A…D…;
1. Considérant qu’il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par une délibération des 21 et 22 octobre 2010, le conseil régional de la région Rhône-Alpes a approuvé un projet de convention entre la région Rhône-Alpes, la ville de Saint-Etienne, la wilaya d’Annaba, la commune d’Annaba et l’association diocésaine d’Algérie, ayant pour objet la restauration de la basilique Saint-Augustin d’Hippone à Annaba (Algérie) et prévoyant la participation de la région au financement des travaux ; que, à la demande de M.C…, de M.D…, de M. E… et de l’association de libre pensée et d’action sociale du Rhône, le tribunal administratif de Lyon a, par quatre jugements du 5 avril 2012, annulé pour excès de pouvoir cette délibération ; que la région Rhône-Alpes se pourvoit régulièrement en cassation contre les quatre arrêts du 7 mars 2013 par lesquels la cour administrative d’appel a rejeté ses appels dirigés contre les jugements du tribunal administratif de Lyon du 5 avril 2012 ; qu’il y a lieu de joindre ces quatre pourvois pour statuer par une seule décision :
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi du 2 février 2007 relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements : ” Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, dans le respect des engagements internationaux de la France, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères pour mener des actions de coopération ou d’aide au développement. Ces conventions précisent l’objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers. Elles entrent en vigueur dès leur transmission au représentant de l’Etat dans les conditions fixées aux articles L. 2131-1, L. 2131-2, L. 3131-1, L. 3131-2, L. 4141-1 et L. 4141-2. Les articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 leur sont applicables./ En outre, si l’urgence le justifie, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en oeuvre ou financer des actions à caractère humanitaire ” ; qu’aux termes de l’article L. 1115-5 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 16 avril 2008 visant à renforcer la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale par la mise en conformité du code général des collectivités territoriales avec le règlement communautaire relatif à un groupement européen de coopération territoriale : ” Aucune convention, de quelque nature que ce soit, ne peut être passée entre une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales et un Etat étranger, sauf si elle a vocation à permettre la création d’un groupement européen de coopération territoriale ” ;
3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions, en vigueur à la date de la délibération attaquée, que le législateur a autorisé les collectivités territoriales à conduire des actions de coopération ou d’aide au développement ; que s’il a prévu qu’elles devaient, à cette fin, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères précisant l’objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers et s’il a exclu qu’elles puissent, sauf pour créer un groupement européen de coopération territoriale, contracter avec un Etat étranger, aucune disposition ni aucun principe n’interdisent qu’une convention de coopération conclue avec une autorité locale étrangère soit également signée par d’autres personnes, françaises ou étrangères, de droit public ou de droit privé, y compris par la ou les personnes qui seront chargées de la réalisation du projet qui fait l’objet de l’accord ;
4. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que la convention approuvée par la délibération attaquée ne pouvait constituer une convention de coopération décentralisée au sens des dispositions citées ci-dessus de l’article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, au motif qu’elle devait être signée non seulement par une autorité locale algérienne, mais aussi par l’association diocésaine d’Algérie, qui assurerait la maîtrise d’ouvrage du projet de restauration, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des pourvois, la région Rhône-Alpes est fondée à demander, pour ce motif, l’annulation des arrêts attaqués ;
5. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
6. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les dispositions de l’article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales n’interdisent pas qu’une convention de coopération décentralisée associe à une collectivité territoriale française, outre une ou plusieurs autorités locales étrangères, d’autres partenaires, y compris des personnes de droit privé françaises ou étrangères ; que, par suite, c’est à tort que le tribunal administratif a jugé que la convention que la délibération attaquée approuve méconnaissait ces dispositions au seul motif qu’elle devait également être signée par l’association diocésaine d’Algérie ;
7. Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par les requérants devant le tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Lyon ;
8. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la basilique Saint-Augustin d’Hippone d’Annaba (Algérie) a été construite en 1881 sur les plans de l’architecte français Joseph Pougnet ; que, tout en constituant un lieu de culte pour un certain nombre de fidèles de la région, elle est aussi un important lieu de rendez-vous pour la population de la ville et un monument historique qui reçoit chaque année de très nombreux visiteurs ; qu’elle abrite une bibliothèque ouverte à tous et accueille de nombreuses manifestations culturelles ; que le projet de restauration de ce monument très endommagé, engagé à l’initiative et sous la maîtrise d’ouvrage de l’association diocésaine d’Algérie, propriétaire du bâtiment, et autofinancé à hauteur de 20 %, a recueilli le soutien de nombreuses collectivités publiques algériennes et étrangères, qui assurent 40 % du financement des travaux, notamment de la wilaya d’Annaba, de la commune d’Annaba, de la République française, de la République fédérale d’Allemagne, de la région Rhône-Alpes et de la ville de Saint-Etienne, qui est jumelée avec la ville d’Annaba ; que de nombreuses entreprises, algériennes et européennes, notamment d’importantes entreprises françaises, contribuent au financement du projet, sous forme de mécénat, à hauteur de 40 % du montant des travaux également ; que des entreprises françaises, notamment des entreprises installées dans la région Rhône-Alpes, ont été sollicitées pour la réalisation de certains travaux de restauration ainsi que pour des actions de formation ;
9. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que le délai de douze jours prévu à l’article L. 4132-18 du code général des collectivités territoriales pour l’envoi d’un rapport aux membres du conseil régional n’aurait pas été respecté manque en fait ;
10. Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la convention litigieuse a été signée par le wali non pas en tant que représentant de l’Etat algérien mais au nom de la wilaya d’Annaba qui constitue, en vertu de la constitution algérienne, une collectivité territoriale algérienne ;
11. Considérant, en troisième lieu, que la convention dont la signature a été approuvée par la délibération attaquée a pour objet la participation financière de la région au projet de restauration de la basilique Saint-Augustin d’Hippone et non la définition des modalités de réalisation des travaux ; que le moyen tiré de ce que, en approuvant cette convention, la délibération attaquée méconnaîtrait la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’oeuvre privée et le code des marchés publics ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté ;
12. Considérant, en quatrième lieu, que le projet de convention approuvé par la délibération attaquée prévoit, à son article 3, paragraphe 6, que ” les financements de chacune des parties seront mis en oeuvre conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur et selon les procédures administratives propres à chacune des parties concernées ” ; que le moyen tiré de ce que la convention serait insuffisamment précise faute de garantir le contrôle de l’utilisation des fonds publics ne peut ainsi, en tout état de cause, qu’être écarté ; que, par ailleurs, aucune disposition ni aucun principe n’imposaient que la convention précise le juge compétent en cas de litige ;
13. Considérant, en cinquième lieu, que, eu égard à l’objet et aux modalités, décrits au point 8 ci-dessus, du partenariat que la région Rhône-Alpes a entendu nouer avec les autorités locales d’Annaba, en vue de contribuer à la restauration d’un monument qui s’inscrit dans le patrimoine culturel du bassin méditerranéen, la convention approuvée par la délibération attaquée entre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, dans le champ des conventions de coopération décentralisée que les dispositions de l’article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales autorisent une région à conclure ; que, par ailleurs, si l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat dispose que ” la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte “, ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une telle action de coopération, qui ne peut être regardée comme ayant pour objet de salarier ou de subventionner un culte, soit menée ;
14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées devant le tribunal administratif de Lyon par la région Rhône-Alpes, celle-ci est fondée à demander l’annulation des jugements attaqués et le rejet des demandes présentées devant le tribunal ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la région Rhône-Alpes, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M.C…, de M. D…, de M. E…et de l’association de libre pensée et d’action sociale du Rhône une somme de 1 000 euros à verser chacun à la région Rhône-Alpes au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les arrêts du 7 mars 2013 n° 12LY01489, 12LY01491, 12LY01492 et 12LY01494 de la cour administrative de Lyon et les jugements n° 1007858, 1007886, 1007903, et 1007919 du 5 avril 2012 du tribunal administratif de Lyon sont annulés.
Article 2 : Les demandes présentées par M.C…, M.D…, M. E…et l’association de libre pensée et d’action sociale du Rhône devant le tribunal administratif de Lyon sont rejetées.
Article 3 : M.C…, M.D…, M. E…et l’association de libre pensée et d’action sociale du Rhône verseront chacun à la région Rhône-Alpes une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de M. D…présentées au même titre sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la région Rhône-Alpes, à M. C…, M. D…, à M. E…et à l’association de libre pensée et d’action sociale du Rhône.
Copie en sera adressée pour information au ministre des affaires étrangères et du développement international et au ministre de l’intérieur.