Faut pas prendre les enfants de l’Etat de droit pour des canards sauvages. Ni pour des oies sauvages.

Fallait pas que Ségolène Royal (encore elle !) prenne les justiciables pour des canards sauvages. Ni pour des oies sauvages. D’où un tir groupé du Conseil d’Etat ce jour, annulant coup sur coup deux décisions de la Ministre d’alors. 

 


 

 

Le présent blog le signalait ce matin : un Préfet ne peut quand même pas refuser d’exercer ces pouvoirs de police au motif qu’il refuse de faire constater une infraction, stade en deçà duquel il devait ensuite utiliser lesdits pouvoirs de police. Il y a des limites à l’inaction lorsque des infractions sont constituées. Voir :

Quelques heures après, le Conseil d’Etat affirme plus clairement le même point de vue dans un tout autre cadre juridique… et un cran au dessus dans la hiérarchie politico-administrative.

Le tout dans un cadre où le droit, face aux relations entre humains et animaux, évolue très nettement depuis quelques années et, singulièrement, depuis quelques mois. Voir :

 

Résumons.

Le 25 janvier 2017, lors d’une séance de questions orales au Gouvernement, la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargée des relations internationales sur le climat, bref Ségolène Royal (oui ! encore elle : voir ici : Dauphins : l’arrêté de Ségolène Royal boit de nouveau la tasse) a été interrogée par un parlementaire sur ses intentions concernant l’éventualité d’un report de la date de clôture de la chasse aux oies cendrées au-delà du 31 janvier 2017.

Elle lui a répondu que s’il était impossible de reporter la date de clôture de la chasse au-delà du 31 janvier dans la mesure où cette décision ne manquerait pas d’être déférée au juge administratif et annulée par lui, elle entendait en revanche « renouveler le dispositif de bon sens (…) trouvé l’année dernière et l’année d’avant, si bien qu’il n’y aura pas de verbalisation jusqu’au 10 février ».

Les services de la ministre ont ainsi donné instruction aux agents compétents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage de ne pas verbaliser du 1er au 12 février 2017 les personnes pratiquant la chasse des oies cendrées.

Un ministre peut-il/elle donner expressément l’ordre de ne pas verbaliser des infractions ?

Contestant la décision de la ministre ainsi révélée par ces éléments concordants, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) a saisi le Conseil d’État d’une demande d’annulation de cette décision.

A titre d’élément de contexte, une précédente décision de la ministre, prise le 28 janvier 2015, de ne verbaliser les contrevenants qu’à compter du 9 février suivant, avait été annulée par une décision du Conseil d’État du 8 juin 2016.

Errare humanum (Segolenum) est, sed perseverare diabolicum….

 

Après avoir rappelé les textes applicables, et notamment l’arrêté du 19 janvier 2009 relatif aux dates de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d’eau qui fixe la date de fermeture de la chasse aux oies au 31 janvier de chaque année, le Conseil d’État juge que la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargée des relations internationales sur le climat, en donnant instruction de ne pas verbaliser du 1er au 12 février 2017 les contrevenants à la date de fermeture de la chasse, a méconnu les textes applicables. Par conséquent, il annule la décision attaquée.

Bref il ne fallait pas prendre les enfants de l’Etat de droit pour des canards sauvages, ni pour des oies sauvages.

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Aux dernières nouvelles, les oies en rient encore, tout en ayant migré loin, bien loin.

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Aux dernières nouvelles (Paris Match…), l’ex-Ministre S. Royal en sourit encore, tout en ayant, elle aussi, migré loin, bien loin :

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Voici cet arrêt du CE :

CE, 29 janvier 2018, Ligue pour la Protection des Oiseaux, N° 407350

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux (Section du contentieux, 6ème et 5ème chambres réunies), sur le rapport de la 6ème chambre de la Section du contentieux

Séance du 12 janvier 2018 – Lecture du 29 janvier 2018

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Ligue pour la protection des oiseaux demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 25 janvier 2017 de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargée des relations internationales sur le climat de ne pas verbaliser les personnes pratiquant la chasse aux oies cendrées entre le 1er et le 12 février 2017 ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la directive 2009/147/CE du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;
– le code de l’environnement ;
– l’arrêté du 19 janvier 2009 du ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire relatif aux dates de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d’eau ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Laurence Franceschini, conseiller d’Etat,  
– les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article R. 424-9 du code de l’environnement : « Par exception aux dispositions de l’article R. 424-6, le ministre chargé de la chasse fixe par arrêté les dates d’ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d’eau, après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage. Cet arrêté prévoit les conditions spécifiques de la chasse de ces gibiers. » En application de ces dispositions, l’article 1er de l’arrêté du 19 janvier 2009 relatif aux dates de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d’eau a fixé la date de fermeture de la chasse aux oies au 31 janvier de chaque année. L’article R. 428-7 du code de l’environnement dispose enfin que : « Est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait de chasser : / En temps prohibé, en méconnaissance des articles R. 424-4 à R. 424-13 et des arrêtés préfectoraux pris pour leur application (…) ». Il résulte de ces dispositions que la pratique de la chasse aux oies au-delà du 31 janvier est interdite sous peine de l’amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe.

2. Par une lettre du 28 janvier 2015, la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, après avoir demandé au directeur de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage de donner des instructions à ses services afin d’organiser une action d’information tendant à prévenir les chasseurs de la date de fermeture de la chasse aux oies au 31 janvier 2015, avait décidé que la verbalisation des contrevenants ne prendrait effet qu’à compter du 9 février suivant. Par une décision n° 388429 du 8 juin 2016, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a annulé pour excès de pouvoir cette décision, au motif tiré de ce qu’elle méconnaissait l’interdiction mentionnée au point 1 de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d’eau après le 31 janvier.

3. Il ressort des pièces du dossier que le 25 janvier 2017, au cours d’une séance à l’Assemblée nationale consacrée aux questions orales au Gouvernement, la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargée des relations internationales sur le climat, interrogée par un parlementaire sur ses intentions concernant l’éventualité d’un report de la date de clôture de la chasse aux oies cendrées au-delà du 31 janvier 2017, a indiqué que s’il était impossible de reporter la date de clôture de la chasse au-delà du 31 janvier par un arrêté dans la mesure où il ne manquerait pas d’être déféré au juge administratif et annulé par lui, elle entendait en revanche « renouveler le dispositif de bon sens (…) trouvé l’année dernière et l’année d’avant, si bien qu’il n’y aura pas de verbalisation jusqu’au 10 février ». L’association requérante a en outre versé au dossier la copie d’un courriel interne adressé par les services de la ministre aux agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, demandant de suspendre du 1er au 12 février inclus les interventions de police dans les marais et à veiller au respect de cette instruction ainsi que des articles de presse faisant état de la mise en place en 2017 d’un dispositif de tolérance similaire à celui retenu l’année précédente et permettant, en pratique, de poursuivre la chasse aux oies cendrées durant une partie du mois de février, en méconnaissance des dispositions rappelées au point 1. La Ligue pour la protection des oiseaux demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision, révélée par ces éléments concordants, par laquelle la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargée des relations internationales sur le climat a donné instruction aux agents compétents de ne pas verbaliser du 1er au 12 février 2017 inclus les personnes pratiquant la chasse des oies cendrées. Le ministre, appelé à produire en défense, n’a pas contesté l’existence d’une telle décision, dont il ressort des pièces du dossier que sa mise en œuvre effective n’était subordonnée à aucune autre décision.

4. En donnant instructions aux agents compétents de ne pas verbaliser, sur le fondement de l’article R. 428-7 du code de l’environnement, les personnes pratiquant la chasse aux oies cendrées entre le 1er et le 12 février 2017 inclus, la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargée des relations internationales sur le climat a méconnu les dispositions rappelées au point 1 de son arrêté du 19 janvier 2009 relatif aux dates de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d’eau . L’association requérante est par suite fondée à demander l’annulation de la décision qu’elle attaque.

5. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros à verser à la Ligue pour la protection des oiseaux, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
Article 1er : La décision par laquelle la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargée des relations internationales sur le climat, a donné instruction de ne pas verbaliser du 1er février au 12 février 2017 inclus les personnes pratiquant la chasse des oies cendrées est annulée.
Article 2 : L’Etat versera la somme de 2 000 euros à la Ligue pour la protection des oiseaux, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ligue pour la protection des oiseaux et au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.