ô surprise… le Conseil d’Etat défend l’Etat. ô surprise la Haute Juridiction épouse les intérêts de l’Etat. ô surprise le Palais-Royal défend le Roi.
Que dit la Constitution en son article 72-2, 4e alinéa ? Elle pose un bel et bon principe :
« Tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi.»
Un principe décliné ensuite au fil des articles L. 1614-1 et suivants du code général des collectivités territoriales.
Que fait l’Etat ?
D’abord, il augmente le RSA. Sans avoir à le payer puisque la compétence est désormais départementale.
Mais face à des départements courroucés par le fait qu’une telle augmentation n’est pas compensée par l’Etat, le Conseil d’Etat répond par un arrêt du 21 février 2018 qui déboute lesdits départements au motif (ce qui suit étant le futur résumé des tables du rec.) qu’il :
« […] ne ressort pas des pièces du dossier que le décret n° 2016-1276 du 29 septembre 2016 qui revalorise le montant forfaitaire du revenu de solidarité activé ferait peser sur les départements des charges qui, par leur ampleur, seraient de nature à dénaturer le principe de la libre administration des collectivités territoriales, en méconnaissance de l’article 72 de la Constitution.
« Il résulte de l’article L. 1614-1, du second alinéa de l’article L. 1614-2, du premier alinéa de l’article L. 1614-3 et de l’article L. 1614-5-1 du code général des collectivités locales (CGCT) que les règles créant des charges nouvelles pour les collectivités territoriales et impliquant une compensation par l’Etat en vertu du second alinéa de l’article L. 1614-2 du CGCT sont celles qui, tout à la fois, présentent un caractère obligatoire et sont propres aux compétences transférées. Ainsi, ne sont pas concernées par une telle compensation les charges nouvelles résultant notamment de la modification de règles de portée générale ayant une incidence financière sur l’exercice par les collectivités territoriales de leurs compétences.
« En instituant le revenu de solidarité active (RSA), le législateur a, d’une part, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2011-142/145 QPC du 30 juin 2011, procédé à un transfert de compétences, au sens du quatrième alinéa de l’article 72-2 de la Constitution, en tant qu’il remplaçait le revenu minimum d’insertion et l’allocation de parent isolé et, d’autre part, à une création ou extension de compétences en tant qu’il remplaçait le revenu minimum d’activité. Toutefois, le décret n° 2016-1276 du 29 septembre 2016 a pour seul objet de revaloriser le montant forfaitaire mensuel du revenu de solidarité active pour un allocataire tel que prévu par l’article L. 262-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF). Par suite, le Premier ministre n’a procédé ni à un transfert aux départements d’une compétence qui relevait de l’État, ni à une création ou extension de compétence.Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce décret ferait peser sur les départements des charges qui, par leur ampleur, seraient de nature à dénaturer le principe de la libre administration des collectivités territoriales, en méconnaissance de l’article 72 de la Constitution.»
Donc, schématiquement… l’Etat peut transférer des charges en les compensant à l’euro l’euro à l’instant t (ce qui déjà fait peser sur les collectivités la dynamique naturelle de ces charges)… et ensuite augmenter le poids de ces charges sans devoir compenser cette augmentation sauf cas extrême.
N.B. : à comparer (plutôt dans le même sens) avec Comp. CE, 17 avril 2015, Région Nord-Pas de Calais, n° 374179, p.567.
Soyons clairs :
- est-ce équitable ? Non. Surtout que, décision après décision, l’Etat peut ainsi se refaire une santé politique au détriment de la santé financière des collectivités territoriales, et ce vraiment à bon compte.
- est-ce conforme à la lettre même du CGCT ? Ce point peut être discuté mais si l’on retient qu’une interprétation stricte s’impose en ce domaine, l’indemnisation étant la dérogation, la position de l’Etat n’était pas sans quelque force.
- le CE eût pu-t-il trancher autrement ? Oui certes, selon nous les débats parlementaires auraient pu les conduire à d’autres interprétations des textes. Mais non sans limite. Il n’aurait pas été possible que toute mesure législative puisse toujours donner lieu à indemnisation généralisée… Le Conseil d’Etat aurait été donc bien inspiré de donner à l’obligation d’indemnisation toute sa portée, mais il aurait en ce cas été contraint de fixer des limites. Des limites qui eussent pu alors être tout de même moins iniques que celles retenues en l’espèce.
voir par analogie les applications restrictives des jurisprudences CE 14 janvier 1938, Société anonyme des produits laitiers La Fleurette, req. n° 51704 ; CE, 21 juin 1944, Caucheteux et Desmont, Rec. Lebon p. 22 ; voir aussi pour le même raisonnement concernant l’activité normative de l’Etat régulière assurée sans faute : CE, 30 novembre 1923, Couitéas, Rec. Lebon p. 789. Pour un cas récent, voir ici.
Voici ce premier arrêt CE, 21 février 2018, n°409286 (à publier au rec.) :
409286
Ensuite, l’Etat peut aussi créer de nouveaux diplômes. Tel le décret du 29 janvier 2016 dont la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur avait demandé l’abrogation et qui créait un diplôme d’Etat d’accompagnant éducatif et social, en remplacement des diplômes d’Etat d’auxiliaire de vie sociale et d’aide médico-psychologique.
Le CE (non sans logique cette fois-ci) a estimé que l’adoption d’un tel décret, à supposer qu’il entraîne un transfert de charges, ne serait pas illégal de ce fait. Dès lors, en cas d’un tel transfert de charges, c’est une demande indemnitaire que la région aurait du déposer et non un recours pour excès de pouvoir. Sur ce point, difficile de critiquer le Conseil d’Etat… Après, au passage, le CE tacle aussi la région au motif qu’en l’espèce il n’y a pas de transfert de charges et ce selon un raisonnement qui reprend l’arrêt n° 409286 précité du même jour, ce qui est sans surprise.
Voici le futur résumé des tables du rec. pour ce second arrêt du même jour, lequel aura lui aussi droit aux honneurs de la publication intégrale audit rec. :
« Le décret n° 2016-74 du 29 janvier 2016 relatif au diplôme d’Etat d’accompagnant éducatif et social et modifiant le code de l’action sociale et des familles et l’arrêté du 29 janvier 2016 relatif à la formation conduisant au diplôme d’Etat d’accompagnant éducatif et social, qui réforment la formation des accompagnants éducatifs et sociaux, ne font pas peser sur les régions des charges qui, par leur ampleur, seraient de nature à dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriales en méconnaissance de l’article 72 de la Constitution.
« Le décret n° 2016-74 du 29 janvier 2016 relatif au diplôme d’Etat d’accompagnant éducatif et social et modifiant le code de l’action sociale et des familles et l’arrêté du 29 janvier 2016 relatif à la formation conduisant au diplôme d’Etat d’accompagnant éducatif et social, qui réforment la formation des accompagnants éducatifs et sociaux, dans le cadre de la compétence transférée aux régions par les lois n° 2004-809 du 13 août 2004 et n° 2014-288 du 5 mars 2014 dont est issu l’article L. 451-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF), n’ont ni pour objet, ni pour effet d’emporter un transfert de compétences vers les régions ou une création ou une extension de leurs compétences, au sens de l’article 72-2 de la Constitution et des articles L. 1614-1 et L. 1614-1-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
« A supposer même que cette réforme crée pour la région des charges nouvelles, dans les conditions définies par le second alinéa de l’article L. 1614-2 du CGCT, celui-ci ne subordonne pas la légalité de la modification des règles relatives à l’exercice de compétences transférées à la compensation des charges nouvelles qui en résultent. Par suite, l’absence d’adoption de l’arrêté constatant les dépenses résultant d’un accroissement des charges prévu par l’article L. 1614-3 dans le délai de six mois fixé par l’article L. 1614-5-1 ne saurait être utilement invoquée ni pour soutenir que le décret et l’arrêté litigieux étaient illégaux, à la date à laquelle ils sont intervenus, ni même qu’ils le seraient devenus, à l’expiration de ce délai de six mois. Il appartient seulement aux régions qui estiment que la réforme litigieuse leur aurait indûment imposé de telles charges de contester l’absence de compensation, notamment en demandant l’annulation du refus des ministres compétents de prendre l’arrêté prévu par l’article L. 1614-3 du CGCT.,,,3) Les nouvelles dispositions ne font pas peser sur les régions des charges qui, par leur ampleur, seraient de nature à dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriales en méconnaissance de l’article 72 de la Constitution.»
Voici ce premier arrêt CE, 21 février 2018, n°404879 (à publier au rec.) :
404879
Il est dévastateur pour la Démocratie et l’Etat de Droit que le doute puisse s’instiller sur le fait qu’un juge puisse avoir une préférence pour une partie plutôt qu’une autre, n’est-ce pas ? On ne sait depuis fort fort longtemps par la phrase de Juvénal : Quis custodiet ipsos custodes?
Il n’est pas certain que les Satires de Juvénal aient perdu, sur ce point, toute actualité.