Dans un arrêt récent, le Conseil d’Etat (CE, 18 septembre 2019, SEMSAMAR, n°425716 et 426120) a reconnu la possibilité pour un sous-traitant de mettre en œuvre l’action en paiement direct envers non seulement le maitre d’ouvrage mais également son mandataire.
Dans le cadre de cette affaire, un certain nombre des factures émises par un sous-traitant accepté n’avaient pas été honorées. Il a alors saisi le juge du référé provision afin de se voir allouer une somme de 561 772,96 euros. La particularité de la situation tenait au fait que le maitre d’ouvrage avait délégué la maitrise de l’ouvrage à un mandataire. Alors que le sous-traitant avait demandé la condamnation solidaire du maitre d’ouvrage et de son mandataire, se posait la question de savoir si l’action en paiement direct de l’article 6 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 pouvait être exercée contre le mandataire du maitre d’ouvrage. Le juge des référés du TA de la Guadeloupe avait rejeté la requête avant que la CAA de Bordeaux n’y fasse droit. Le mandataire s’est alors pourvu en cassation.
Tout d’abord, le Conseil d’État rappelle les conditions classiques permettant de bénéficier de l’action en paiement direct envers le maitre d’ouvrage : le sous-traitant doit avoir été accepté et les conditions de paiement agréées par le maitre d’ouvrage (ressort textuellement de l’article 6 de la loi 31 décembre 1975).
Ensuite, il précise que, malgré l’absence de contrat entre le sous-traitant et le maitre d’ouvrage, cette action n’est pas pour autant une action en responsabilité quasi-délictuelle mais simplement une action visant à « obtenir le paiement des sommes éventuellement dues ». Ainsi, le CE distingue clairement la situation du sous-traitant accepté de celle du sous-traitant occulte. En effet, afin d’obtenir le paiement des travaux réalisés, la seule action dont le sous-traitant occulte dispose envers le maitre d’ouvrage est une action en responsabilité quasi-délictuelle (CE, 28 mai 2001, SA Bernard Travaux Polynésie, n°205449).
Enfin, et c’est l’apport principal de l’arrêt, le CE considère que, lorsque le maitre d’ouvrage a délégué la maitrise d’ouvrage à un mandataire, le sous-traitant peut engager l’action en paiement direct envers le maitre d’ouvrage mais aussi envers le mandataire dès lors que le mandat prévoit que ce dernier est chargé du versement de la rémunération des travaux. Le Conseil précise qu’une telle possibilité est ouverte à la fois lors d’un recours au fond et d’un recours en référé provision.
On notera qu’une telle position s’écarte de la jurisprudence traditionnelle qui considère le mandataire comme étant transparent entre le maitre d’ouvrage et les constructeurs. En effet, traditionnellement la jurisprudence refuse de reconnaitre la possibilité pour le constructeur d’engager la responsabilité, contractuelle ou quasi-délictuelle, du mandataire pour obtenir réparation de préjudices consécutifs des fautes que ce dernier a commis dans le cadre des missions de sa maitrise d’ouvrage déléguée. Seule la responsabilité du maitre d’ouvrage peut être engagée, à charge pour ce dernier de se retourner ensuite contre son mandataire (CE, 26 septembre 2016, société Dumez Ile-de-France, n°390515).
Cette jurisprudence affirme donc la nature particulière de l’action en paiement direct dont bénéficie le sous-traitant accepté. Cette particularité justifie qu’elle produise des effets originaux, notamment à l’égard du mandataire.
*article rédigé avec l’aide précieuse d’Alexandre Panzani, stagiaire